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À terre, l’autre vague qui va submerger Armel Le Cléac’h, vainqueur du Vendée Globe

Après avoir battu le précédent record de François Gabart, le Français se retrouve sous le feu des projecteurs.

Armel le Cleac'h, le 19 janvier 2017 I Damien MEYER / AFP
Armel le Cleac'h, le 19 janvier 2017 I Damien MEYER / AFP

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Pour les premiers coureurs, le Vendée Globe touche à sa fin et pour Delphine Gallais et Charline Hamonic, les deux attachées de presse d’Armel Le Cléac’h, les dernières heures de la course ont été presque aussi stressantes que celles traversées par le navigateur breton harcelé jusqu’aux Sables d’Olonne par son poursuivant gallois Alex Thomson. Ces deux jeunes femmes ont été, elles aussi, sur le pont jour et nuit au cœur de ces ultimes instants brûlants couronnés de succès pour le Français arrivé après 74 jours, 3 heures 35 minutes et 46 secondes.

Il s’agissait de mettre en place fiévreusement deux plans de communication –le A: Armel gagne, le B: Armel finit deuxième– et de répondre à toutes les sollicitations prévisionnelles afin d’organiser un potentiel calendrier des événements médiatiques à venir dès jeudi 19 janvier, jour de l’arrivée. Pas évident non plus d’anticiper à quelle heure et de calculer si, à ce moment-là, la marée ne l’obligerait pas à poireauter au large une fois sa course terminée avant de pouvoir totalement savourer ses retrouvailles avec la terre ferme.

«Les choses sont en train d’être calées, confiait Charline, deux jours plus tôt, qui préférait alors retenir la meilleure des deux hypothèses. Nous savons, par exemple, qu’il partira dès samedi pour Paris pour des plateaux en direct tout au long du week-end. Puis il reviendra lundi pour accueillir Jérémie Beyou, son copain, qui devrait terminer troisième, avant de remettre le cap sur la capitale pour d’autres rendez-vous médiatiques. Sans oublier toutes ses obligations liées à son partenariat avec Banque Populaire que nous ne gérons pas.»

Au bout de l'épreuve

Un e-mail envoyé dès le mercredi au marin léonard par ses deux vigies de la com’ a dû le prévenir de ce qui allait l’attendre à son retour. Il n’était pas certain, toutefois, qu’il ait pu y jeter un coup d’œil au milieu de sa régate à haute tension avec Alex Thomson. En effet, avec des écarts plus ou moins élastiques, le Britannique l’a presque toujours accompagné au cours des quarante-cinq derniers jours de ce tour du monde en solitaire de quelque 45.000 kilomètres mené à train d’enfer avant de fondre sur lui lors ce sprint endiablé en guise apothéose -ce Vendée Globe aura été bouclé en quatre jours de moins que le précédent record de François Gabart, quatre ans plus tôt.

Mi-octobre dans l’habitacle étroit et inconfortable de son Banque Populaire VIII, Armel Le Cléac’h, deuxième du Vendée Globe en 2009 et 2013, évoquait mi-figue mi-raisin le souvenir sa dernière arrivée aux Sables d’Olonne quand il avait été coiffé au poteau par François Gabart, arrivé 3h17 seulement avant lui.

«J’étais content d’en avoir terminé, mais déçu d’avoir perdu, racontait-il. Tout ce travail pour finir deuxième d’un souffle même si j’étais, en quelque sorte, lié au premier en raison de cette proximité à l’arrivée. Mais c’était ambigu d’être associé à la fête de celui qui m’avait devancé

«Une autre excitation»

Revenir correspond à un soulagement évident pour un skipper, mais peut aussi prendre l’allure d’une petite épreuve. Le vainqueur, ou le deuxième s’il est dans son sillage comme en 2013 et 2017, passe en quelques minutes de la solitude la plus extrême à la mêlée humaine la plus désordonné au moment d’accoster au ponton de Port Olona après avoir traversé le chenal au milieu d’une haie d’honneur de milliers de spectateurs. Se crée alors comme une rupture psychologique et physique.

«En 2013, c’était un moment à la fois émouvant et complètement épuisant, se rappelait Armel Le Cléac’h sans imaginer encore quel serait son destin quelques semaines plus tard dans cette édition du Vendée Globe dont il était l’un des favoris. Tout à coup, vous ne vous appartenez plus tout à fait. Vous passez d’un stress qui vous a complètement lessivé pendant près de trois mois à une autre excitation qui vous saute littéralement à la gorge et va diriger votre vie pendant plusieurs jours sans avoir beaucoup de temps pour vos proches

En 2013, le Breton avait ainsi prolongé, à sa façon, son odyssée de sept journées supplémentaires avant de pouvoir retrouver le cocon familial dans le Finistère. «Il devenait presque urgent de pouvoir se protéger à nouveau dans ce sas de sécurité», notait-il.

«Dire non n'est pas une chose aisée»

Ce choc du retour, qui, selon les circonstances de la course, mêle à la fois l’euphorie, la déception et la fatigue, doit être géré avec dextérité. Sous la pression médiatique, il faut tenter de trouver un juste équilibre pour garder l’envie de partager et de raconter son histoire sans se noyer dans cette autre mer qui vous emporte. Après des journées entières de mutisme, les mots doivent affluer dans un flot continu jusqu’à être répétés inlassablement et à finir par s’épuiser.

Attachée de presse de François Gabart lors du Vendée Globe 2012-2013, Aline Bourgeois avait été, presque chronomètre en main, cette «maîtresse du temps» chargée de naviguer dans la tempête médiatique avec un vainqueur qui s’était prêté volontiers à l’exercice. Elle s’en souvient plutôt comme d’un moment avant tout joyeux avec la nécessité pour elle d’offrir une aide et une protection à celui qui «débarquait» véritablement à tout point de vue.

«Le Vendée Globe donne le statut de héros à ceux qui y participent et forcément à celui qui le gagne, explique-t-elle. Tout à coup, François s’est retrouvé du jour au lendemain dans les 20 heures, reconnu dans la rue avec un peu tout le monde qui voulait lui “prendre” une toute petite partie de lui-même. Dire non n’est pas chose aisée, car cela peut ne pas être compris alors que les marins bénéficient d’un énorme capital de sympathie. Mais dans ce marathon, il est important de pouvoir souffler pour retrouver de la fraîcheur.»

En la matière, sans rechigner, François Gabart avait «tout donné» pendant quinze jours puis s’était reposé avant de reprendre un cycle médiatique plus apaisé réparti sur trois mois.

Le risque de la grosse tête

L’ombrageux Vincent Riou, vainqueur du Vendée Globe en 2005 lors de sa première participation à l’épreuve, n’est pas un animal facile à dompter dans ce registre de la communication. Il se souvient «d’avoir dit stop à un moment donné».

«Cette notoriété est un moment éphémère qu’il est agréable d’apprécier et c’est même rigolo à observer en raison de l’agitation presque comique, ajoute-t-il en souriant. Mais ce “service après vente” peut ne pas être sympa à vivre car c’est assez violent

Michel Desjoyeaux, double vainqueur du Vendée Globe en 2001 et 2009, a prévenu dans les colonnes de la Voix du Nord: «Le monde qui t’entoure va avoir un regard différent sur toi. C’est là où il faut être bien entouré, ne pas choper le melon et continuer d’avancer et de faire des choses.»

Loin des micros, le plus dur retour à terre lors d’un Vendée Globe a lieu, en définitive, lorsque le bateau n’a pas réussi à accomplir son tour du monde et que le navigateur a dû mettre le cap sur le port le plus accueillant en cours de route. «Objectif non atteint, la pire des choses et pas du tout l’envie de s’épancher», observe Vincent Riou, contraint à l’abandon dès novembre dernier après un autre «jet de l’éponge» quatre ans plus tôt. Jérémie Beyou, possible troisième de cette cuvée 2016-2017, n’avait pas réussi de son côté à rallier les Sables d’Olonne lors de ses deux précédentes tentatives et il en avait conçu une vraie douleur.

«Quand on a gagné, on est au bord du précipice parce que on se demande ce qu’il peut y avoir derrière, analyse-t-il. Mais quand on perd, on a envie de rebondir dès qu’on pose le pied sur le ponton. C’est du solitaire et il y a une très grosse fierté de soi. C’est pour ça que je suis revenu en 2016 parce que j’avais la rage des deux autres fois. Nous ne sommes pas totalement normaux et nos familles doivent le comprendre. Moi, en revenant du Vendée Globe, j’ai plutôt envie d’une semaine de ski extrême.»

Le spleen

Quelle que soit l’issue de la course, Jean-Pierre Dick, qui en est à son quatrième Vendée Globe, constate qu’en revenant «la vie a effectivement un goût différent».

«On a du mal à prendre une décision sur ce qu’on va vivre après, remarque-t-il. On se réhabitue généralement assez vite au luxe d’un bon lit et d’une bonne douche, mais pendant un certain temps, il peut manquer un soupçon de sel dans nos existences. Une petite déprime? Non, davantage un spleen passager.»

Généralement, l’appel de la mer se manifeste relativement vite. «Un mois et demi-deux mois tout au plus et je repartirai», estimait Armel Le Cléac’h cet automne sans connaître la vague qu’il se prendrait en plein visage le 19 janvier. Allez, peut-être trois mois…

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