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Trump, Poutine, Erdogan: le désir d'autorité a un précédent: Jules César

Les admirateurs de César se sentaient flattés par la puissance de leur chef qu’ils confondaient volontiers avec leur propre grandeur. Des siècles plus tard, c'est aussi ce qui a permis l'arrivée au pouvoir des leaders américain, russe et turc.

Vladimir Poutine, le 29 juin 2016, Donald Trump, le 13 décembre 2016, Recep Tayyip Erdogan, le 3 novembre 2016 |Adem ALTAN, Scott OLSON, Alexander ZEMLIANICHENKO / AFP
Vladimir Poutine, le 29 juin 2016, Donald Trump, le 13 décembre 2016, Recep Tayyip Erdogan, le 3 novembre 2016 |Adem ALTAN, Scott OLSON, Alexander ZEMLIANICHENKO / AFP

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«À bas les chefs!», proclamait, il y a 150 ans, le penseur anarchiste Joseph Déjacque, s’exprimant au nom du prolétariat. Aujourd’hui, c’est l’inverse qui se produit: les pauvres et les déclassés semblent plébisciter des leaders autoritaires que les élites qualifient de «populistes». On les croyait en perte de vitesse, mais ils sont bel et bien de retour en ce début du XXIe siècle.

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les autocrates avaient progressivement disparu: fin des dictatures de droite dans les années 1970 (Espagne, Portugal, Grèce); disparition de la plupart des dictatures militaires en Amérique latine dans les années 1980 (Argentine, Brésil, Chili); et, pour terminer, effondrement des régimes communistes en Europe de l’Est, dont un des épisodes les plus frappants aura été l’exécution du «Génie des Carpates», Ceaucescu, en décembre 1989, au terme d’une procédure expéditive.

Dix ans plus tard, le mouvement de démocratisation est canalisé par Vladimir Poutine, restaurateur d’un pouvoir fort en Russie. Ce modèle inspire actuellement au président turc Erdogan une franche dérive autoritaire. La Chine, qui n’a jamais été une démocratie, renoue sous le président Xi Jinping, arrivé au pouvoir en 2013, avec une forme d’autocratie personnelle qui rappelle Mao.

Plus étonnant encore, les démocraties occidentales sont elles-mêmes atteintes par ce phénomène nouveau, comme le montre l’exemple de Viktor Orbán en Hongrie. Sans parler de la victoire, encore impensable il y a quelques mois, de Donald Trump qui a définitivement consacré ce revirement historique : la plus grande puissance mondiale vient, à son tour, de se doter d’un «homme fort».

Césarisme et servitude volontaire

Bien sûr, il ne faut pas négliger l’immense fossé séparant le monarque Xi Jinping de l’Amérique de Trump, qui demeure un État fondamentalement démocratique. Il n’empêche: il y a bien un point commun dans la manière très personnelle dont les deux leaders prétendent incarner la souveraineté.

Certains analystes emploient le néologisme «démocrature» pour désigner ce type de pouvoir. Mais cette pratique n’est pas une nouveauté: elle se nomme «césarisme». Elle est comparable à la dictature paradoxale de Jules César: l’antique maître de Rome fut assassiné par une élite d’aristocrates, attachés à leurs privilèges, tandis que le peuple pauvre pleura la mort de son chef, bien loin d’applaudir un quelconque retour de la liberté.

Avec César, Poutine ou Trump, on retrouve cette idée que la liberté politique n’a vraiment d’intérêt que pour l’élite. L’histoire nous montre que les exclus ont parfois eu d’autres priorités que la démocratie; c’est ce que La Boétie nommait «servitude volontaire». Comment expliquer cet attachement à la figure du chef?

César avait cherché à plaire au peuple pauvre par des dons d’argent et de nourriture; il lui avait aussi offert des divertissements: du pain et des jeux. Mais l’adulation allait bien plus loin que la simple satisfaction matérielle. Les admirateurs de César se sentaient flattés par la puissance de leur chef qu’ils confondaient volontiers avec leur propre grandeur. Le peuple avait fait de César «son» champion, par un processus de transfert, comme des supporters qui s’identifient à une équipe de foot et exultent lorsqu’elle remporte une compétition.

Le peuple vivait par procuration grâce à César. Il plaçait dans la figure du dictateur sa fierté et le dépassement de ses frustrations quotidiennes. Le culte rendu au chef flatte non seulement le chef, mais aussi ceux qui lui rendent un culte. Il s’agit là d’un des mécanismes de la soumission volontaire: les admirateurs se placent d’eux-mêmes sous le rayonnement du leader; disgraciés, dans leurs existences banales, ils se trouvent irradiés par le rêve de grandeur et de puissance que diffuse en eux la figure du chef.

Qu’est-ce qu’un chef charismatique?

Cet amour pour le chef peut se transformer en une véritable foi en son « charisme ». Il ne s’agit pas d’une qualité objective : le leader est dit charismatique lorsqu’il répond aux désirs de ses partisans. Trouver un homme charismatique est aussi subjectif que le considérer comme beau, sympathique ou séduisant. Le charisme ne vient pas de l’individu lui-même, mais de ses spectateurs. C’est une affaire de fascination et de libido : un amour que le chef parvient à susciter chez le peuple.

Il dispose pour cela de quelques bonnes vieilles recettes : nos apprentis-Césars doivent faire croire qu’ils mettent leurs muscles au service du peuple, contre les dangers qui le menacent. Orbán y parvient très bien, lorsqu’il prend des postures d’homme fort, contrôlant ses frontières et l’afflux des migrants, malgré les condamnations de la Commission européenne.

Erdogan et Poutine, lors du sommet du G20 en Chine, en septembre 2016. Kremlin.ru/Wikimedia, CC BY

Comme autrefois à Rome, la figure du leader est associée, dans l’imaginaire populaire, à la notion de souveraineté. Pour le peuple, il incarne l’autorité de l’État, la sécurité des citoyens et l’unité de la nation soudée autour de ses valeurs traditionnelles, tout en constituant un gage d’efficacité politique.

À la manière d’Orbán, Trump entend lui aussi se poser en rempart face au déferlement migratoire et au terrorisme, deux phénomènes souvent associés dans leurs discours. Le chef-sauveur prétend remédier à toutes les formes d’insécurité : physique (peur des attentats et des agressions), économique (crainte que les étrangers prennent la place des travailleurs locaux, que ce soit dans le pays lui-même ou bien à la faveur des délocalisations) et culturelle (peur d’une perte d’identité). Tout un répertoire facilement exploitable par celui qui cherche à se faire passer pour le sauveur. Quitte à exagérer et à sur-dramatiser les menaces réelles.

D’antiques modèles pour les présidents d’aujourd’hui

Les chefs charismatiques du XXIe siècle réactivent d’anciens modèles de domination. Erdogan s’est fait construire un gigantesque palais à Ankara, comparable à ceux des anciens rois perses, des sultans seldjoukides et des califes ottomans. En 2015, il reçoit la chancelière Angela Merkel, dans une riche demeure d’Istanbul, installé sur un grand trône doré. De quoi impressionner ses spectateurs en se faisant passer pour un leader opulent et majestueux.

Poutine aime apparaître comme un chef athlétique et héroïque, à la manière d’Alexandre le Grand ; sur les photos officielles, on le voit parfois torse nu, à la chasse ou bien en train de maîtriser un fauve.

Les partisans de Trump suggèrent que le nouveau président est une sorte de prophète et de messie que Dieu aurait mis au service de l’Amérique ; ils n’hésitent pas à le comparer à Moïse et à l’ancien roi biblique David.

Nos Césars du XXIe siècle présentent un principal point commun : la nostalgie de la grandeur passée, sentiment qu’ils tentent de faire partager au plus grand nombre afin de consolider leur propre pouvoir. Leur programme : devenir à nouveau « great », comme n’a cessé de le proclamer Donald Trump durant sa campagne victorieuse.

Qui l’eût cru ? En 2017, avec les chefs, c’est donc aussi un peu de l’Antiquité qui est de retour.

La version originale de cet article a été publiée sur The ConversationChristian-Georges Schwentzel publie « La Fabrique des Chefs, d’Akhenaton à Donald Trump », éditions Vendémiaire.

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