Sciences / Monde

Espions, détecteurs de mensonge et kung-fu: un récit digne de l'Amérique post-factuelle

Ou comment le conseiller à la Sécurité national de Donald Trump, Michael Flynn, s'est retrouvé lié à une mystérieuse start-up lié aux biotechnologies.

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Cerveau et empreinte | Dimitris Agorastos via Flickr CC License by

Temps de lecture: 17 minutes

Le pire scandale de la transition Trump –vous savez, les électrodes posées sur le cerveau, les espions russes, le serveur e-mail d’Hillary Clinton et l’expert en kung-fu– aurait probablement dû faire davantage de bruit. Mais je ne peux hélas que constater que l’offrande des deux reporters de Bloomberg (David Kocieniewski et Peter Robinson) au journalisme, publiée au matin du 23 décembre, a été à peine remarquée avant de disparaître derrière les guirlandes de Noël.

Leur incroyable scoop, titré «Le conseiller de Trump associé à une société dont le patron aurait des liens avec le KGB», décrit le lien entre Michael Flynn, le conseiller à la Sécurité national de Donald Trump, et une mystérieuse start-up des biotechnologies, Brainwave science. En février, Brainwave, qui vend «une sorte de casque avec des senseurs» comme un outil de détection des mensonges à destination de ceux qui luttent contre le crime et le terrorisme a ainsi embauché Flynn comme conseiller. Subu Kota, entrepreneur en biotechnologie, fait alors partie de la direction de Brainwave.

Comme Kocieniewski et Robinson le racontent, Kota (dont le nom a depuis disparu du site internet de la compagnie) avait été mis en examen pour avoir vendu pour plusieurs centaines de milliers de dollars de micro-organismes volés ainsi que des informations classifiées sur les systèmes de défense anti-missiles et les bombardiers furtifs à des agents du KGB durant la Guerre froide. (Il a signé en 1996 un protocole de négociation de peine où il admettait la vente de matériel de biotechnologie.) Flynn, déjà critiqué pour sa proximité avec des dirigeants russes, aurait promis d’aider la compagnie de Kota à vendre son casque à des agences fédérales.

Des mensonges sur des mensonges

Voilà un article qui semblait résumer la nouvelle ère de Trump, réunissant dans le même panier un triste mélange d’espionnage étranger, d’accords commerciaux douteux et de pseudoscience. Mais si l’on se penche un peu plus sur ce scandale Brainwave, il apparaît encore davantage résonner avec notre présent post-factuel. Voilà une histoire où des mensonges s’empilent sur des mensonges qui, à leur tout s’empilent sur d’autres mensonges: des mensonges peuvent-ils être détectés dans les ondes cérébrales d’une personne? Des personnes mentent-elles à propos de cette méthode de détection des mensonges? D’autres personnes mentent-elles sur la tenue de ces mensonges? Et finalement, inévitablement –bizarrement– que signifie l’idée même du mensonge, puisque selon les dires du neuroscientifique au cœur de tout ce bazar, chacun d’entre nous a la capacité mentale de plier la réalité selon sa volonté?

Farwell a montré que les électrodes peuvent être utilisées pour lire les pensées d’une personne –à condition qu’elles aient été énoncées volontairement

Ce papier de Bloomberg se concentre sur Subu Kota, mais le «Braingate» a vraiment commencé avec Larry Farwell, un neuroscientifique de Seattle. Farwell vient d’une grande famille de professeurs et de marins: son grand-père Raymond, était un expert en transport naval et en commerce qui a écrit un grand classique sur la manière d’éviter les collisions en mer. Son père, George, fut un physicien qui étudia sous la direction d’Enrico Fermi et travailla sur le Projet Manhattan; sa sœur Jacqueline est pédiatre neurologue.

Comme George, Jacqueline et l’oncle de Farwell, Raymond Jr. (autre marin de renom), a obtenu son diplôme à l’université de Harvard. Au cours des dix années qui ont suivi, il a investi dans l’immobilier et étudié la méditation transcendantale, entre autres activités. (Il est également danseur swing semi-professionnel, escrimeur et ceinture noire de Kung-fu avec un penchant pour le coup de pied sauté.) Enfin, en 1984, Farwell a repris ses études et décroché un doctorat en neuroscience dans le laboratoire d’Emanuel Donchin, pionnier des électrodes sur le cerveau.

Le pouvoir de l'esprit

Farwell a produit des travaux extraordinaires comme étudiant au sein du laboratoire de Donchin. En 1988, quatre ans avant de décrocher son diplôme, lui et Donchin conçoivent une des premières interfaces ordinateur-cerveau, qui permet de convertir les pensées en paroles. Leur système fonctionne par le biais d’une électroencéphalographie (EEG) –qui mesure les oscillations de l’activité électrique du cerveau par le biais d’électrodes implantées sur le cuir chevelu.

Donchin est un expert dans un potentiel particulier d’EEG, la «P300», un bref changement de voltage qui met en lumière des traces neuronales une demi-seconde environ après que des personnes soient confrontées à un stimulus surprenant ou signifiant. (Le terme de P300 fait référence au fait que ce signal positif (P) peut apparaître dès 300 millisecondes après le déclenchement du son ou de l’image.)

En travaillant de son côté, Farwell trouve, dit-il, un moyen d’utiliser la P300 pour aider des personnes à communiquer entre elles en se concentrant sur une grille de lettres, sur un écran. Il demande alors à ses sujets de se concentrer sur une seule lettre et enregistre les réactions sur leur cerveau. Chaque ligne et chaque colonne de la grille est allumée tour à tour. Quand la lettre cible est éclairée, les ondes cérébrales du sujet affichent la hausse de voltage de la P300.

En répétant ce processus, Farwell réalise qu’il est capable d’identifier une suite de lettres à l’intérieur de la tête de ses sujets puis une phrase à deux mots. «Nous disons que la P300 peut servir de crayon, et que ce crayon est très aiguisé», écrivent Donchin et Farwell quand ils publient les résultats de leurs recherches. Mais ils ajoutent une importante mise en garde: «L’esprit, cependant, conserve le contrôle du crayon.»

Test d'information dissimulée

Farwell a montré que les électrodes peuvent être utilisées pour lire les pensées d’une personne –à condition qu’elles aient été énoncées volontairement. Le signal P300 peut-il révéler des informations que la personne souhaite dissimuler? Farwell a dans ses cartons un autre projet avec ce but précis. Il fonde son travail sur une forme de détection du mensonge baptisée «Test de Culpabilité» ou «Test d’Information Dissimulée» dans lesquels les suspects se voient posées une série de questions à réponses multiples en liaison avec un crime, par exemple: «La voiture avec laquelle ils ont pris la fuite était-elle une Ford rouge, une Toyota jaune, une Chevrolet grise ou une Plymouth blanche?»

Farwell ne signe pas des contrats de recherche avec la seule CIA, mais aussi avec le FBI et l’U.S. Navy

L’interrogateur scrute les réponses physiologiques du suspect à chacun des réponses potentielles. Selon la théorie du test, une personne coupable –et seulement une personne coupable– connaîtra la bonne réponse à cette question et peut se trahir en répondant à cette réponse d’une manière subtile ou inconsciente. Le battement de son cœur peut s’accélérer, ses paumes devenir moites. Si de telles mesures sont largement utilisées pour détecter des mensonges par le FBI, la DEA (qui lutte contre le trafic de drogues) et d’autres agences gouvernementales, ils ne sont pas très fiables.

En 1986, Farwell et Donchin annoncent qu’ils ont adapté ce Test de culpabilité avec des électrodes. Dans leur nouvelle version du test, la réponse correcte à une question –c’est-à-dire la couleur et le constructeur de la voiture –servirait de stimulus signifiant induisant une réponse P300, au moins pour ceux ayant une connaissance intime d’un crime. Pour les autres, la même stimulation n’aurait aucune signification et n’entraînerait donc aucun stimulus. Avec des financements de la CIA, Farwell et Donchin poursuivent cette idée durant plusieurs années et publient leur premiers –maigres– résultats en 1991. Il faudra encore beaucoup de recherches sur ce test pour que les résultats soient plus probants, écrivent-ils, mais cette approche est prometteuse. Les électrodes cérébrales pourraient être utilisées un jour «comme un aide lors des interrogatoires.»

Scanner en quête d'indice

Mais au moment où cette étude est publiée, Farwell a déjà été embauché comme consultant à temps plein par la CIA. (L’agence va lui octroyer près d’un million de dollars de subventions pour ses recherches entre 1991 et 1993). Il décide de monter sa propre société, Human Brain Research Laboratory Inc., fondée sur sa connaissance du Test de Culpabilité et la notion que la présence d’un suspect sur une scène de crime laisse des traces indélébiles, comparables à des empreintes digitales, dans les circuits de son cortex. Si un enquêteur était en mesure de poser les bonnes questions lors d’une session d’enregistrement des réactions du cerveau, il ou elle pourrait être en mesure de scanner le cerveau du suspect en quête d’indice. Toute connaissance dissimulée du crime serait révélée par le biais d’une P300.

Farwell ne signe pas des contrats de recherche avec la seule CIA, mais aussi avec le FBI et l’U.S. Navy. Il affirme bientôt avoir découvert un autre modèle d’ondes cérébrales –une version plus élaborée de la P300 qui dure une seconde voir plus– et qu’il dépose sous le nom de «Réponse électroencéphalographique multifacette de mémorisation et d’encodage» ou MERMER. En analysant toutes ces données, Farwell affirme qu’il a pu atteindre une impressionnante précision de 100% avec son détecteur de mensonge: pas de faux positifs, pas de faux négatifs et pas de résultats indéterminés. En 2012, dans un article résumant ses recherches, Farwell cite les conclusions de 10 études expérimentales de sa méthode, sur plus de 130 sujets. Utilisé correctement, dit-il, le système marche presque toujours –Farwell estime que le taux d’erreur de la méthode «est inférieur à 1%» car rien, dans la science n’est vérifiable à 100%.

«Le cerveau ne ment jamais»

La mémoire humaine peut être imparfaite et limitée, comme le concède Farwell dans son article, mais si une information fiable s’y cache, son système permet de la trouver. «Des témoins peuvent mentir, dit-il, mais le cerveau ne ment jamais.» Sa méthode pourrait même permettre d’éviter des crimes qui n’ont pas été commis: un membre de Daech, qui se fait passer pour un migrant innocent en provenance d’un pays ravagé par la guerre comme la Syrie pourrait être démasqué grâce à un test P300-MESMER écrit Farwell en 2015.

«Les terroristes savent qui ils sont, dit-il. Ils connaissent leur entraînement de terroriste. Ils connaissent leurs compétences dans certains domaines comme l’utilisation des armes à feu ou la fabrication des bombes… Toutes ces informations sont enregistrées dans leurs cerveaux.»

Pendant un temps, les théories de Farwell sont chaleureusement accueillies par la presse – Time le décrit comme «un des Picasso ou des Einstein du XXIe siècle», quant à CNN et à “60 Minutes”, ils l’invitent sur leur plateau pour une interview. Mais ceux qui s’intéressent en profondeur à ses travaux les regardent depuis longtemps avec scepticisme. Une étude fédérale de 2001 rapporte ainsi que les représentants de la CIA, du FBI, des Services Secrets et du département de la Défense ne sont pas intéressés par le système de Farwell. Selon cette étude, la CIA en particulier a abandonné la méthode dès 1993 quand Farwell a refusé de révéler son fonctionnement scientifique devant un panel d’experts qui avait été convié pour évaluer ses mérites. «C’est tout simplement faux, a récemment déclaré Farwell dans une interview début janvier 2017. J’ai fourni mes algorithmes, tous mes calculs et le code source.»

Risques de détournement?

Parallèlement, d’autres chercheurs en électroencéphalographie –dont le docteur Donchin, qui a concouru à l’élaboration du test–, ont suggéré que la méthode de détection des mensonges par la P300 n’était pas aussi fiable que ce que Farwell voulait bien le dire et certainement pas utilisable dans le monde réel. Parmi d’autres problèmes potentiels, le signal P300 semble davantage lié aux croyances du sujets qu’à des faits véritables –même des souvenirs erronés produisent des résultats positifs.

L’autre gros problème est que le test ne vaut pas plus que les questions qui sont posées pour établir la culpabilité. Comment un enquêteur pourrait-il savoir exactement de quels détails spécifiques une personne donnée peut se souvenir, surtout si le test a lieu des semaines, des mois voire des années après le crime? D’autres, enfin, affirment que ce test cérébral, comme le test plus classique de polygraphie, peut être totalement détourné par un sujet malin ou bien faussé par un sujet qui n’a rien à voir avec l’affaire en question.

Donchin a fait part de ses préoccupations dans un article aussi désagréable que personnel consacré à l’article publié par Farwell en 2012, cosigné par de nombreux chercheurs et publié dans la même revue scientifique. Il y accuse son ancien étudiant d’utiliser un «langage grandiloquent», pour distordre et donner une idée fausse des empreintes cérébrales. La technique P-300 MERMER déposée par Farwell n’a jamais été décrite dans une autre revue scientifique, poursuit le papier de Donchin et il n’y a donc aucun moyen de savoir si le MERMER ajoute quoique ce soit à la P-300.

Sur les 13 études que Farwell cite pour appuyer son score de 100%, seules trois ont été publiées par des journaux scientifiques, et elles ne portaient que 30 participants en tout

Enfin, sur les 13 études que Farwell cite pour appuyer son score de 100%, seules trois ont été publiées par des journaux scientifiques, et elles ne portaient que 30 participants en tout. Pour faire court, disent Donchin et ses camarades, l’article de Farwell «viole certains des canons les mieux acceptés de la science… et il devrait se sentir obligé d’infirmer ses propres conclusions».

Échantillons biaisés

Farwell répond dans une lettre où l’indignation le dispute à l’étalage de références universitaires, accusant Donchin et les autres auteurs de distordre les faits et en insistant sur le fait que les données peuvent être utiles quand bien même elles n’ont pas fait l’objet d’une critique par des pairs. (Farwell remarque que certaines données ont été entretemps publiées. Les études originales étaient classifiées, ce qui a entraîné des délais de parution.) Ce dernier point est véridique, sans aucun doute; les données publiées ne contiennent que de petits échantillons biaisés de toutes les recherches scientifiques et il est parfois très utile d’examiner des travaux qui n’ont pas encore été publiés.

Mais cela ne change rien au caractère pour le moins contestable des affirmations de Farwell, à commencer par celle que son détecteur de mensonge serait d’une précision quasi-parfaite –une conclusion totalement à contre-courant de toutes les recherches dans ce domaine. Une analyse récente des recherches de détections de mensonge avec la méthode P-300 estiment le taux de réussite du modèle à 88% environ. C’est certes un plutôt bon score, mais pas meilleur que le genre de résultats que l’on obtient en utilisant un détecteur de mensonges plus conventionnel qui mesure la moiteur des paumes des suspects et leur pression artérielle. En fait, une version du test de reconnaissance de culpabilité qui s’appuie sur la polygraphie est couramment utilisée par la police au Japon. Farwell répond que ces méta-analyses portent sur toutes les versions du P300 et pas seulement sur la sienne. Quand le test est effectué avec sa méthode –selon sa liste de vingt standards en la matière–, il affirme que la marge d’erreur est quasi-égale à zéro.

Farwell a par ailleurs tiré des conclusions pour le moins audacieuses d’autres travaux qui n’ont jamais fait l’objet d’une revue par des pairs. Dans les années 1990, alors qu’il vient de perdre ses contrats de recherches avec la CIA et le FBI, Farwell fait une pause et travaille un an dans un institut de santé mental fermé –«pour parfaire mon expérience», m’a-t-il déclaré, «et aussi pour avoir une meilleure connaissance des personnes sérieusement dérangées». Il dit qu’il a également utilisé l’argent qui lui restait des contrats gouvernementaux pour des travaux personnels sur la nature de la réalité.

Contrôle du clavier à distance

En 1999, Farwell écrit le résultat de ces expériences sous a forme d’un traité scientifique sur la théorie quantique et la puissance de l’esprit, baptisé «Comment la conscience commande à la matière: la nouvelle révolution scientifique et la preuve que tout est possible.» L’ouvrage débute avec une description de l’interface ordinateur-cerveau inventée par lui et Donchin dans les années 1980 –cet outil qui permettait à des gens de contrôler un clavier avec leur esprit, en envoyant des signaux par le biais d’électrodes et d’un électroencéphalogramme. Mais Farwell commence à se demander si les électrodes ne sont pas superflus. Que se passerait-il si l’on pouvait contrôler le monde, en partant du niveau quantique, en pensant juste assez fort?

Voilà comment il se met donc à élaborer ce qu’il appelle l’Hypothèse Expérimentale de Conscience Unifiée, selon laquelle l’esprit humain peut affecter la réalité de manières tangibles et apparemment impossibles. Son père, physicien nucléaire, l’aide à préparer sa principale expérience: Farwell place un échantillon de Plutonium dans un détecteur à particules et s’assit à côté.

«Ma tâche était de commande à la matière par la conscience, écrit-il, pour mettre de l’ordre dans le processus autrement aléatoire de l’émission quantique de particules, en n’utilisant que l’influence seule de la conscience.»

Et devinez quoi…

Le livre décrit la suite: Farwell s’assied dans le silence le plus total et tente d’affecter les particules avec son esprit. Une suite de graphiques fluctue sur un moniteur, qui indique le laps de temps entre chaque émission de particules alphas du plutonium. S’il peut affecter ces intervalles avec son esprit –c’est-à-dire exercer sa volonté sur le ralentissement de la désintégration radioactive– alors il aura prouvé sa théorie. «Et devinez quoi: les intervalles comment à se décaler», me dit-il. L’esprit de Farwell a suffisamment influence les intervalles pour lui permettre de conclure «avec une certitude de 99,98%», pas moins, que «la conscience peut commander et commande la matière au niveau de la mécanique quantique».

Ce que nous avons pris pour l’ensemble de la réalité au cours des derniers millénaires n’est en fait qu’une infime portion de la réalité

Selon les propres mots de Farwell, il vient donc de prouver que «ce que nous avons pris pour l’ensemble de la réalité au cours des derniers millénaires n’est en fait qu’une infime portion de la réalité». Cela signifie que nous pouvons être les pionniers de l’exploration s’autres états plus élevés de la conscience, dit-il. «Vous pouvez créer la vie que vous voulez… Les ressources à votre disposition sont réellement infinies.»

Hélas, malgré cette révélation et les ressources infinies à sa disposition, Farwell n’a jamais pu faire accepter sa technologie de détection de mensonges. (Il n’a par ailleurs pas davantage trouvé de soutien à sa théorie sur le contrôle de la matière.) L’intérêt pour la P-300 a pourtant ressurgi après le 11-Septembre et Farwell a réorganisé sa société pour devenir prestataire de service. Il affirme en vivre, mais refuse de parler de ses clients. («Dans le domaine dans lequel je travaille, il y a des choses dont je ne peux pas parler», dit-il. OK.)

Le génie incompris

Malgré cela, ses affaires ne sont pas aussi florissantes qu’il avait pu l’espérer –un phénomène qu’il impute au conservatisme de la communauté scientifique. Sur son site personnel, il compare sa découverte des empreintes cérébrales à l’invention de l’avion, en affirmant qu’il peut s’écouler des décennies avant que des gens ne comprennent la signification d’une telle innovation. «Ceux dont le statut ou les finances dépendent des vieilles manières de faire les choses» s’opposeront toujours au progrès scientifique, dit-il et les empreintes cérébrales ne font pas exception à la règle. Malgré cela, «la science va toujours de l’avant et ne recule jamais, ajoute-t-il. Et la vérité triomphe toujours à la fin.»

Farwell croit donc probablement son heure venue lorsqu’il entend parler de Krishna Ika en 2012. Un précepteur indien réputé et ami mutuel a présenté à Krishna Ika les travaux de Farwell sur la P300. Ika le contacte pour lui proposer un partenariat: il va améliorer et tenter d’automatiser la technologie de détection des mensonges –en simplifiant l’interface utilisateur, par exemple et transformant les senseurs en un casque sans fil –afin que lui et Farwell puissent plus facilement vendre les empreintes cérébrales à une clientèle internationale.

Farwell accepte et prend le poste de «directeur et responsable scientifique» d’une nouvelle compagnie, Brainwave Science. Selon Ika, Farwell revend les brevets de sa technologie en échange de 45% des parts de Brainwave et un salaire de consultant de 10.000 dollars par mois. Ika rafraîchit par ailleurs le matériel marketing de Farwell en y saupoudrant du jargon d’école de commerce, en indiquant par exemple que l’empreinte cérébrale peut aider un client à «maximiser les disciplines de collecte de renseignement à travers plusieurs verticales de sécurité», mais aussi «d’influencer les capacités d’enquête à des degrés jamais atteints».

Controverses à Washington

Subu Kota, le fameux homme d’affaire lié à de l’espionnage, a rejoint le conseil d’administration de Brainwave en 2013 en 2014, Ika annonce le lancement mondial de Brainwave, et affirme avoir vendu la technologie de Farwell à la police de Singapour et à un département de police en Floride. En février 2016, Brainwave ajoute Michael Flynn –qui vient d’etre viré de son poste à la tête de la Defense Intelligence Agency au moment où la compagnie était lancée– à son conseil consultatif. Deux mois plus tard, un ami de Flynn, Brian McCauley, qui vient juste de quitter le FBI, rejoint le même conseil.

Le détecteur de mensonges de Brainwave n’est pas seulement une version contrefaite de son invention, affirme Farwell, mais en plus, un matériel qu’Ika «n’est jamais parvenu à vendre… à qui que ce soit»

La présence de McCauley au sein du conseil va bientôt démonter les nombreuses interconnexions de ce dossier et tout particulièrement avec toutes les magouilles alors en cours à Washington. Mi-octobre, le Washington Post rapporte les liens entre McCaulay et l’affaire des serveurs d’e-mails de Hillary Clinton et des documents liés à l’attaque de Benghazi. En 2015, alors qu’il travaillait encore au FBI, McCauley a proposé un accord avec contreparties au Département d’État, le FBI acceptant de ne pas classifier un message lié à Benghazi sur le serveur de Hillary Clinton. (Il dit qu’il a rapidement retiré son offre quand il a eu vent du contenu de l'e-mail en question.) Les noms de McCauley et de Flynn ont récemment disparu du site de Brainwave. Ika dit qu’il a dû couper les liens car les deux viennent d’accepter des postes dans l’administration Trump.

Farwell, pour sa part, affirme désormais qu’il a été trompé par Brainwave. Ika lui a menti, dit-il, il lui a affirmé que Brainwave allait vendre sa technologie d’empreintes cérébrales autour du monde, mais que la compagnie a proposé quelque chose d’autre –«une contrefaçon de sa technologie, qui ne remplit pas les standards scientifiques et universitaires de la prise d’empreintes cérébrales». Le détecteur de mensonges de Brainwave n’est pas seulement une version contrefaite de son invention, affirme Farwell, mais en plus, un matériel qu’Ika «n’est jamais parvenu à vendre… à qui que ce soit.»

Nouvelles accusations

En septembre, il a envoyé un e-mail à Flynn, encore conseiller de Brainwave, afin de l’avertir que les faux détecteurs de mensonges de la compagnie pouvaient présenter un danger pour la sécurité nationale. Il tente de quitter la compagnie en 2014, ajoute-t-il, mais n’est «pas parvenu à s’en extraire complètement» jusqu’à l’été dernier. Malgré ses efforts pour couper les ponts, le site de Brainwave présente toujours une série de publications de Farwell ainsi que certaines de ses présentations presse dont une qui présente le P-300 MEMER et «son degré presque infaillible de précision».

Selon Ika, cette histoire a été racontée à l’envers: c’est Farwell qui a menti. Ika déclare dit que la plupart des brevets de Farwell avaient expiré quand leur accord a été signé –et que Farwell le lui a dissimulé. En octobre 2013, Farwell a réaffecté les brevets (quasi expirés) octroyés à Brainwave Science à leur propriétaire original, une compagnie appelée American Scientific Innovations, dirigées par un de ses anciens camarades d’université de Seattle. (Ces brevets ont été depuis récupérés par une autre compagnie affiliée à Farwell.)

Ika affirme que Farwell n’avait pas la moindre autorité pour effectuer ce transfert et qu’il s’est faussement présenté eu bureau fédéral des brevets comme «un membre de la direction de la compagnie», afin de dérober de la propriété intellectuelle de Brainwave. Après avoir découvert ce transfert de brevets au mois de juillet, Ika déclare avoir appelé le FBI et mis un terme au contrat de consultant de Farwell.

Ika continue par ailleurs d'affirmer avoir signé des contrats d’empreintes cérébrales avec la police de Singapour et des policiers en Floride –même si ce dernier accord, au moins, s’est finalement terminé par une période de test gratuit. Aucune transaction financière n’a eu lieu et la technologie n’a jamais été utilisée. «Je vous ai dit la vérité sur M. Ika, et n’ai vraiment aucun intérêt à vous dire autre chose», m’a dit Farwell quand je lui ai fait part de ces accusations.

La réalité qui échappe

Les propos d’Ika sont des allégations mensongères, selon lui. L’accord original de 2012 n’aurait jamais été signé, dit-il, le transfert original des brevets n’était donc qu’une tentative frauduleuse de mettre la main sur ses inventions. Lui et sa société auraient par ailleurs reçu 49% et pas 45% comme le dit Ika, des parts de Brainwave; son contrat s’élevait à 11.000 dollars et pas 10.000 dollars.

À ce stade de mon enquête, ce que je croyais avoir compris de la vérité ne s’avérait plus, comme le dit Farwell, «qu’une petite portion de la réalité». Je n’avais absolument aucune idée de qui me mentait et jusqu’à quel point. Brainwave avait-il vraiment vendu sa technologie à Singapour? Le détecteur de mensonges de Brainwave fonctionnait-il réellement de la manière dont il était présenté dans les publicités? Et celui de Farwell? Qui détient ces brevets et en quoi le fait qu’ils ont expiré change-t-il la donne? Quel a été le rôle de Michael Flynn? Subu Kota a t’il vendu des secrets au KGB? Et tant qu’on y est, d’ailleurs, que savait vraiment Hillary Clinton de Benghazi?

Il serait en fait vraiment pas mal de poser des électrodes sur le cerveau de tous ces gens et de déterminer qui ment sur quoi grâce à cette fameuse technologie et d’ailleurs, c’est ce que Farwell a fini par me proposer. «On pourrait résoudre tout cela, me dit-il. Si chacun acceptait de passer un test d’empreintes cérébrales.» Un jour, peut-être. Quoi que l’on pense des inventions de Farwell, les récentes recherches universitaires sur la détection de mensonges par la P300 sont prometteuses. Une version du test développé à la Northwest University a par exemple obtenu une précision supérieure à 90% en laboratoire. En octobre 2016, un groupe de chercheurs indépendants en Hongrie est parvenu à reproduire cette expérience avec succès. Il est donc possible que nous trouvions le moyen d’utiliser nos ondes cérébrales pour trouver des indices.

Mais avant que cela soit possible, nous sommes tous ici, sur notre petit plan de conscience –où nous avons souvent l’impression que chacun peut construire sa réalité et même remporter de grands succès en s’appuyant sur ce qui se passe dans son cerveau.

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