France

RSF: La visite d'Ali Bongo était dans la droite ligne de la Françafrique.

Nicolas Sarkozy n'avait pas prévu d'entretenir son homologue des atteintes à la liberté d'expression dans son pays, mais de «renforcer» les liens

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Longtemps marquées par des liens forts et stables, les relations France-Gabon ont connu des hauts et des bas depuis l'élection de Nicolas Sarkozy à l'Elysée.

On se souvient de Jean-Marie Bockel, alors secrétaire d'Etat chargé de la Coopération et de la Francophonie, appelant publiquement le locataire de l'Élysée à sonner le glas de la Françafrique. Cette déclaration, de janvier 2008, avait fortement déplu au président gabonais d'alors, Omar Bongo, si bien que le fondateur du mouvement La Gauche moderne, figure de l'ouverture, avait rapidement été prié de quitter la rue Monsieur pour être placardisé aux Anciens combattants. Il s'en était suivi quelques mois d'accalmie.

On se souvient également du dépôt, en France, de la plainte dite des «biens mal acquis» contre trois chefs d'Etat africains, dont Omar Bongo. En mai dernier, en froid avec Paris, celui-ci avait préféré se faire soigner - et finalement rendre l'âme - dans une clinique de Barcelone, plutôt qu'en France où il avait pourtant ses habitudes.

On se souvient enfin de Nicolas Sarkozy hué aux obsèques d'Omar Bongo puis des accusations, venant de toutes parts (opposition gabonaise, citoyens gabonais, observateurs et journalistes français, etc), de soutien de la France au candidat Ali Bongo. L'humoriste et chroniqueur Stéphane Guillon avait fustigé le chef de l'Etat français pour le télégramme de félicitations que ce dernier a envoyé à Bongo fils, après l'annonce de sa victoire à l'élection présidentielle.

Mais lorsque le 20 novembre 2009, Nicolas Sarkozy reçoit le successeur à Paris pour la première visite bilatérale de ce dernier hors d'Afrique, il est question de «normalisation». Bien sûr il s'agit de réaffirmer l'importance des liens entre la France et le Gabon. Bien sûr, il importe pour le président français de s'inquiéter du sort de ses concitoyens résidants dans ce pays. Bien sûr il convient pour lui, comme auparavant pour ses prédécesseurs, de se soucier de la présence militaire hexagonale en ces terres de concession pétrolière, des échanges commerciaux entre les deux pays, et de l'implantation d'entreprises françaises.

A Reporters sans frontières, nous estimons qu'il incombait également à Nicolas Sarkozy de s'inquiéter de l'état de la liberté d'informer dans ce «pays-ami».

Pourquoi? Parce que l'année a été fort délicate pour la presse étrangère au Gabon. En juin, alors que le président Omar Bongo vivait ses derniers jours en Espagne, deux journalistes de la chaîne de télévision française France 24 ont été refoulés de l'aéroport de Libreville. Pour l'élection présidentielle de la fin du mois d'août, France 24 (à nouveau!), l'Agence internationale d'images et de télévision AITV/RFO, et l'hebdomadaire français L'Express ont vu leurs demandes d'accréditation refusées et n'ont donc pas été autorisés à couvrir le scrutin depuis Libreville. «Décision souveraine que nous n'avons pas à motiver», avait rétorqué la ministre de la Communication, Laure Olga Gondjout, à Christophe Barbier, directeur de la rédaction de L'Express, en quête d'explications. Le journaliste Vincent Hugeux, dans le viseur des autorités de Libreville, relate l'incident avec beaucoup d'ironie dans une «Lettre à Madame le Ministre de la Communication et de tant d'autres choses», publiée sur le blog Nomades Express.

L'année a surtout été pénible pour la presse gabonaise. Lorsque les autorités ont imposé, ou tenté d'imposer, un black-out médiatique sur l'état de santé d'Omar Bongo, deux publications satiriques, Le Nganga et Ezombolo, ont été suspendues. Durant l'été, puis autour de l'élection présidentielle de fin du mis d'août, le climat est devenu délétère pour la profession, certains journalistes faisant état de menaces et de pressions, d'autres subissant des agressions et certains médias essuyant des dégradations ciblées.

Un journaliste en particulier vit des jours très difficiles depuis septembre. Il se nomme Jonas Moulenda, du quotidien L'Union. Pour son enquête intitulée «Je reviens de Port-Gentil», dans laquelle il révélait le rôle de l'armée dans la répression des manifestations postélectorales ayant coûté la vie à près de vingt personnes selon le journal (contre trois selon les autorités), ce journaliste a reçu des menaces de mort. Et parce que son domicile a d'abord été perquisitionné, puis visité la nuit, Jonas Moulenda a été contraint de se réfugier à l'extérieur et de se cacher.

Dernier incident en date, le Conseil national de la communication vient de sanctionner neuf médias. Le 10 novembre, en effet, six journaux et une émission de télévision ont été suspendus et deux journaux ont été mis en demeure. Leur faute? Avoir publié des articles, critiques certes, sur l'élection présidentielle, sur la nature de l'Etat au Gabon, ou encore sur certains ministres et membres du Parti démocratique gabonais (PDG, au pouvoir). Rien cependant qui puisse gravement semer le «trouble» au sein de la population gabonaise.

Tandis que du côté des autorités de Libreville, les réflexes répressifs vis-à-vis de la presse demeurent, le Quai d'Orsay s'est contenté d'affirmer que la France est attachée au principe de la liberté d'expression. Sans rien condamner fermement.

Bref, à Paris vient d'avoir lieu la première rencontre officielle entre le «président de la rupture» et celui qui promettait le changement. Pourtant tout cela sent fort l'immobilisme et la continuité.

Ambroise Pierre, Bureau Afrique

Reporters sans frontières

Image de une: Ali Bongo en visite à Paris, le 21 novembre 2009.

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