France

Thomas Legrand: «pas vu pas pris» la nouvelle morale

Le football est devenu si puissant que les politiques ont perdu tout sens critique et tout réflexe.

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La plupart des réactions d'hommes ou de femmes politiques vont de «ce n'est pas glorieux mais c'est la loi du sport» à «ne faisons pas la fine bouche, on est qualifié». Le Président lui, oppose un «ce n'est pas nom affaire mais celles des instances internationales du football»... il ne pas veut soutenir la décision du gouvernement irlandais qui approuve la fédération de foot d'Irlande dans sa demande de voir le match rejoué. C'est donc la ligne officielle de la France. Le foot est devenu tellement important, les enjeux financiers si considérables et sa popularité si puissante qu'on en arrive à soutenir une position aussi contraire à tout ce que l'on prétend défendre par ailleurs. Le foot est une sorte de vache sacrée devant laquelle les politiques se prosternent et oublient d'avoir des reflexes normaux.

Hier soir Rama Yade, secrétaire d'Etat aux sports, pouvait en arriver à dire, pour prolonger la pensée du Président: «l'essentiel est acquis, la France sera en coupe du monde»... c'est-à-dire que Thierry Henri dit oui, j'ai touché la balle avec la main mais l'arbitre n'a rien vu»...les ministres qui s'expriment sur la question valident ça ...donc, «pas vu pas pris» c'est l'essentiel pour le gouvernement aussi ! Les hommes politiques qui se gargarisent de ce pénible slogan démago, «le vivre ensemble» valident aujourd'hui, la triche en douce, le résultat à tout prix. L'essentiel serait donc d'être qualifier, d'assurer TF1 qu'il n'a pas dépensé des millions de droits de retransmission pour rien, de rassurer les équipementiers et les sponsors de l'équipe de France... d'assurer aux millions de fans de foot français un soulagement même un peu honteux...

Imaginons simplement que le foot ne soit pas devenu une industrie pourrie et que les joueurs de foot, ou les sportifs de hauts niveau et professionnels, en général, aient encore des réflexes normaux, sportifs quoi. Thierry Henry, qui a fait une main, qui a été vu par des millions de gamins de France et du monde qui l'admirent, aurait eu alors une autre attitude. Il aurait fait un truc que tout le monde fait quand il joue au foot avec ses enfants mais qui est devenu impensable dans l'industrie du foot. Imaginons qu'il ait dit à l'arbitre «il n'y a pas but monsieur j'ai fait une main». Imaginons qu'il ait, expliqué après ça, devant les caméras qu'il ne pouvait pas qualifier son équipe sur une tricherie, il serait entré dans l'histoire du fairplay et il aurait fait un acte éducatif inestimable.

Ou alors soyons moins idéaliste. Imaginons qu'il n'ait rien dit mais que les autorités politiques (ou simplement celles du foot français) aient pris la décision hier de soutenir la demande des irlandais de rejouer parce qu'il y a eu triche. Là on aurait pu dire que l'essentiel était sauvé! Il faut simplement penser à ces milliers d'éducateurs et profs de gym à travers la France, qui toutes les semaines, avec des salaires qui représentent, par mois, dix minutes de travail pour Thierry Henry, tentent de se servir du foot, la passion de tant de gamins, pour inculquer les règles de la vie en société, le respect de l'autre.

Ces éducateurs sont catastrophés. Nous avions déjà eu un autre exemple de l'aplatissement populiste des politiques devant la puissance du foot de haut niveau. Quand Jacques Chirac avait dit qu'il comprenait que Zinedine Zidane (le héro absolu des français) ait pu préférer une mâle vengeance plutôt que la maitrise de soi et la justice, après son coup de tête contre Materazzi en finale de la coupe du monde... ce n'est pas la peine de défendre une soi-disante «politique de civilisation» pour en arriver à glorifier le «pas vu pas pris».

Avec une telle conception du foot, on comprend bien que Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur ait, en 2003 à Toulouse, tancé le patron des gendarmes local en lui expliquant qu'il n'était pas là pour jouer au foot avec les jeunes mais pour traquer les voleurs...

Notre classe politique ferait bien de rejouer un peu au foot avec leurs enfants ou de lire ou relire Albert Jacquard: «Je ne sais quel peuple africain se passionne pour le football, mais a apporté à la règle du jeu une légère modification: lorsqu'un joueur de l'équipe A marque un but contre l'équipe B, il va aussitôt jouer dans cette équipe B, en échange d'un membre de celle-ci. L'intérêt du spectacle est ainsi prolongé» Abécédaire de l'ambigüité, ed le Seuil.

Thomas Legrand

Lire également: La vérité presque nue sur le scandale du France-Irlande, Jacques Attali: Nous sommes tous des Irlandais et De Jean Sarkozy à la main d'Henry... le syndrome Nicolas Fouquet.

Image de Une: Raymond Domenech et Nicolas Sarkozy Charles Platiau / Reuters

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