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Obama et Poutine rappellent à Trump les réalités de la politique

Avant de quitter le pouvoir le 20 janvier, le président américain a décidé de créer quelques faits accomplis pour son successeur Donald Trump.

Barack Obama à la fin de sa conférence de presse de fin d'année, le 16 décembre 2016. SAUL LOEB / AFP.
Barack Obama à la fin de sa conférence de presse de fin d'année, le 16 décembre 2016. SAUL LOEB / AFP.

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Le «canard boiteux» se rebiffe. Barack Obama n’a pas l’intention de passer les trois semaines qui lui restent à la Maison-Blanche à attendre sans rien faire l’arrivée de son successeur.

Traditionnellement, le président américain est considéré comme un lame duck (canard boiteux) dans les derniers mois de son second mandat. Tout le monde sait, ses amis politiques comme ses adversaires, qu’il ne peut pas se présenter une troisième fois. Son pouvoir, son influence, ses moyens de pression sur l’administration et le Congrès sont donc limités. C’est encore plus vrai quand le successeur élu début novembre pour prendre ses fonctions le 20 janvier n’est pas issu du même parti.

Mais Barack Obama se trouve dans une situation particulière. Donald Trump n’est pas un successeur comme un autre. Après une première visite à la Maison-Blanche au lendemain de sa victoire, le président-élu a décidé de préparer la transition dans son coin, sans en appeler aux services de l’administration sortante, notamment en politique étrangère, comme c’était le cas d'habitude.

Quelles que puissent être en effet les divergences d’appréciation entre le président sortant et le futur président, les intérêts fondamentaux du pays ne changent pas du jour au lendemain. La diplomatie exige une forme de continuité et les changements prennent du temps. Pour citer la dernière transition présidentielle, entre George W. Bush et Barack Obama en 2008, le nouveau président avait été élu pour mettre fin aux deux guerres dans lesquelles les États-Unis étaient engagés, en Irak et en Afghanistan. Il lui a fallu trois ans pour tenir sa promesse. Les forces spéciales américaines sont revenues en Irak pour combattre Daech et la coalition internationale n’a pas complètement quitté l’Afghanistan.

Compliquer la tâche de Trump

Donald Trump ne se situe pas dans le courant général (mainstream) de la politique américaine. C’est pour cela qu’il a été élu. Non seulement il ne se conforme pas aux coutumes de Washington mais il annonce des prises de décision diplomatiques qui risquent, selon ses critiques, de placer les Etats-Unis dans une position difficile. C’est vrai de son amitié proclamée avec Vladimir Poutine, qui rompt avec l’attitude bipartisane adoptée jusqu’alors par la majorité des Démocrates comme des Républicains. C’est vrai au Proche-Orient, où ses prises de positions unilatérales en faveur d’Israël sapent les fondements de ce qui pourrait être une paix avec les Palestiniens. C’est encore vrai sur le changement climatique, dont il confie le dossier à des défenseurs des énergies fossiles.

Barack Obama a donc décidé de profiter de ses derniers jours à la Maison-Blanche pour créer quelques faits accomplis, face à la Russie, face à Benjamin Netanyahou et sur le réchauffement climatique. La liste n’est sans doute pas exhaustive et les trois semaines avant le 20 janvier pourraient réserver encore quelques surprises.

Il y a eu d’abord, le 20 décembre, la décision présidentielle d’interdire des forages pétroliers et gaziers sur des milliers de kilomètres carrés dans l’Atlantique-nord et l’Arctique, décision conjointe avec le Premier ministre canadien Justin Trudeau. Donald Trump aura le pouvoir théorique de revenir sur les décrets présidentiels mais Barack Obama lui complique la tâche et l’oblige à aller à contre-courant de l’opinion internationale s’il veut rompre avec l’acceptation par les Etats-Unis de l’accord de Paris à la COP21.

Abstention à raisons multiples

Vendredi 23 décembre, et pour la première fois depuis 1979, la représentante américaine au Conseil de sécurité des Nations unies, Samantha Power, a, en s’abstenant, laissé passer une résolution condamnant la politique israélienne. La résolution 2334, présentée par le Venezuela, la Malaisie, la Nouvelle-Zélande et le Sénégal, demande à Israël de mettre fin à la colonisation dans les territoires occupés parce qu’elle est contraire au droit international et parce qu’elle crée un obstacle à la solution du conflit par la création de deux Etats. Elle a donc été adoptée par quatorze voix contre zéro. Les Etats-Unis avaient la possibilité de la bloquer, comme ils l’ont fait régulièrement quand Israël était en cause, en utilisant leur droit de veto. À la surprise générale et pour la plus grande fureur de Benjamin Netanyahou, Barack Obama a opté pour l’abstention.

Ses raisons sont multiples. D’abord, il n’est pas mécontent de se venger de l’affront que lui a infligé le Premier ministre israélien en s’adressant en 2015 devant les deux chambres du Congrès réunies sans en avoir au préalable averti la présidence américaine. Ensuite, il lance un avertissement à son successeur, qui courtise la droite israélienne. Donald Trump se félicite de ses relations amicales avec Benjamin Netanyahou, alors qu’elles étaient exécrables avec Obama. Le futur président a nommé comme ambassadeur en Israël David Friedman, un homme d’affaires partisan de l’extension des colonies et du transfert de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem. Ce transfert, qu’aucun pays important n’a mis en œuvre, serait considéré comme un signe de reconnaissance de Jérusalem comme capitale du seul Etat juif, alors que les «paramètres» toujours en vigueur à l’arrière-plan de plan de la négociation israélo-palestinienne font de la ville sainte la capitale des deux Etats.

On en arrive donc à la raison fondamentale de l’abstention de Barack Obama sur la résolution 2334. Cette raison a été soulignée quelques jours plus tard par le secrétaire d’Etat John Kerry, qui, en 2014, a passé des mois à tenter en vain de relancer le processus de paix. La solution des deux Etats reste à la base d’un éventuel règlement. La droite américaine a mis longtemps à s’y résoudre. Plus encore la droite israélienne. Mais même Benjamin Netanyahou dit en accepter le principe, même s’il torpille par ailleurs la possibilité de créer un Etat palestinien en développant les colonies de peuplement juif dans les territoires occupés.

La résolution 2334, qui condamne aussi les attaques palestiniennes contre Israël et le terrorisme, est une sorte de testament de Barack Obama sur le conflit israélo-palestinien. Il renoue ainsi avec son discours du Caire de 2009. Son erreur aura été de n’avoir rien entrepris personnellement pendant ses deux mandats pour essayer de résoudre le conflit. Peut-être était-il convaincu que les chances de réussite étaient nulles et qu’il n’y avait que des coups à prendre. Il a laissé s’épuiser son vice-président John Biden et surtout John Kerry dans d’interminables palabres qui n’ont pas abouti. Il a attendu le dernier moment pour un petit coup d’éclat. Trop peu, trop tard.

Le dernier président démocrate avant lui, Bill Clinton, avait lui aussi tenté une manœuvre de la dernière chance, quelques jours avant de quitter la Maison-Blanche en 2001. À cette différence près qu’avant, il avait réussi à réunir les divers protagonistes, le Premier ministre travailliste israélien Ehud Barak et le chef de l’Autorité palestinienne Yasser Arafat, sans réussir à les mettre d’accord. Il a relancé en janvier 2001 la négociation qui devait aboutir à la conférence de Taba en Egypte et à ce que les diplomates appellent «les paramètres de Taba». Ce sont quelques principes sur la création de deux États, le sort des réfugiés, le respect des frontières de 1967 (avant la guerre des Six-Jours), les échanges de territoires et le statut de Jérusalem. Avec quelques nuances, les principes rappelés par John Kerry avant de quitter le Département d’Etat sont très proches de ces «paramètres de Taba».

Donald Trump remettra-t-il tout en question? Après le vote du Conseil de sécurité, il a tweeté: «Nous ne pouvons pas laisser traiter Israël avec un tel mépris et un tel manque de respect […] Reste fort, Israël, le 20 janvier est très proche!»

Cadeau empoisonné

La relation avec Israël n’est pas le dernier pétard à retardement que Barack Obama laissera sous les pieds de son successeur: il y a aussi la Russie. Donald Trump se flatte de ses relations d’amitié avec Vladimir Poutine, et le président russe ne le contredit pas. L’affaire des courriels du parti démocrate piratés par les Russes –du moins si l’on en croit les agences de sécurité américaines, FBI et CIA–, risque cependant d’empoisonner les relations Washington-Moscou. Par mesure de rétorsion, pour protester aussi contre le harcèlement dont les diplomates américains en Russie et leurs familles sont l’objet, Barack Obama vient d’expulser 35 agents diplomatiques russes des Etats-Unis.

Que fera Donald Trump? S’il revient sur les expulsions, il se mettra à dos les Républicains du Congrès qui, comme les Démocrates d’ailleurs, sont très inquiets de la «menace russe». S’il les maintient, les conditions d’un nouveau départ des relations avec Moscou seront assombries. En refusant de suivre le conseil de son ministre des Affaires étrangères, qui recommandait l’expulsion de diplomates américains, Vladimir Poutine a fait un cadeau empoisonné à son «ami» Trump. Il le place devant un choix impossible, entre la fermeté et un aveu de faiblesse.

Comme quoi, sans se concerter, Barack Obama et Vladimir Poutine rappellent le magnat de l’immobilier aux dures réalités de la politique.

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