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Attentat de Berlin: le «héros» que la presse allemande aurait aimé célébrer

De la tentation de la «belle histoire».

Berlin, le 21 décembre I Odd ANDERSEN / AFP
Berlin, le 21 décembre I Odd ANDERSEN / AFP

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Dans les heures qui ont suivi l'attaque au camion-bélier du marché de Noël situé au pied de l'Église du Souvenir, à Berlin, les médias allemands ont fait preuve d'une sage prudence. Les premiers articles mis en ligne dans la soirée du 19 décembre 2016, les premiers flashs spéciaux ont usé avec une grande réserve du terme d'«attentat».

Jusqu'à tard dans la nuit, les journalistes allemands n'ont cessé de rappeler qu'il pouvait s'agir d'un accident, et ce malgré un scénario qui semble calqué sur celui de l'attentat de Nice. «Les associations d'idées vont très vite. Mais heureusement le journalisme ne fonctionne pas ainsi. La couverture de l'attentat de Breitscheidplatz montre que la critique des médias après les attentats en France, la tentative de putsch en Turquie et la fusillade de Munich a porté ses fruits», écrit par exemple le quotidien allemand Die Tageszeitung.

Redonner du courage

Mais le lendemain, le 20 décembre 2016, certains médias allemands ont cédé aux sirènes de la belle histoire qui redonne foi en l'être humain, au milieu de la désolation et du sang. C'est le quotidien Die Welt et la chaîne de télévision privée N24, qui appartiennent tous les deux au puissant groupe de presse allemand Axel Springer, connu entre autres (la liste est longue) pour son goût prononcé du sensationnalisme, qui ont ouvert le bal: «Un témoin courageux conduit la police jusqu'au suspect», titrait hier Die Welt sur son site web.

Il y est question d'un passant qui aurait pris en chasse le conducteur du camion lorsque celui-ci a sauté de la cabine, s'enfonçant à sa poursuite dans la pénombre du Tiergarten (l'immense parc de l'ouest de Berlin, qui s'étale sur plus de 200 hectares):

«Lorsqu'il a vu que le suspect prenait la fuite, il lui a couru après, tout en gardant une distance de sécurité. Pendant sa course dans l'obscurité, il est resté en contact téléphonique permanent avec la centrale d'appels d'urgence et a indiqué à mesure qu'il progressait la position du suspect aux policiers.»

Le soit-disant «suspect» a ensuite été arrêté dans une des grandes avenues qui traversent le Tiergarten, à une distance d'environ deux kilomètres du marché de Noël sur lequel a foncé la camion.

Die Welt cite un porte-parole de la police berlinoise, Winfrid Wenzel, qui lui sert la citation appropriée sur un plateau d'argent: «À l'aide de ce témoin nous avons pu arrêter le suspect. Ce courage civil peut nous redonner un peu de courage aujourd'hui.»

Engouement et méfiance

L'info est reprise dans la foulée sur plusieurs sites. Der Spiegel la reprend avec prudence, titrant sèchement «Un témoin court après le suspect» et précise dans l'article qu'«une confirmation de l'article [de Die Welt et N24, NDLR] par la police n'a pour l'instant pas été reçue».

Mais d'autres n'ont pas attendu pour s'emparer de la perle rare. À l'instar du site d'une station de radio locale de Saxe-Anhalt, Radio Saw, qui titre: «Berlin a un héros». Quelques heures plus tard , le site du vénérable quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung affichait le même titre, toutefois entre parenthèses, se référant à la titraille de Radio Saw, comme s'il cherchait ainsi à se protéger, tout en utilisant le même titre qui claque...

En France, plusieurs médias se sont également laissés prendre au piège dont le site du Monde pourtant réputé pour son extrême prudence.

Le «héros» qu'ont voulu voir certains n'en est pourtant pas un. «Grâce à» lui, c'est un innocent qui a été arrêté lundi soir –puis relâché quelques heures plus tard, faute de preuves–, sur la base de la description sommaire du suspect qu'il a donné à la police. Car l'homme qui s'est lancé à la poursuite du criminel aurait perdu peu après sa trace dans la pénombre du parc. Et l'auteur de l'attentat, lui, court toujours...

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