France

Manuel Valls n'a pas fait renoncer François Hollande. Il l'a fait tout seul

Contraint par la pression d'une primaire qu'il voulait éviter, le président de la République n'est pas candidat à sa succession. Il laisse la gauche divisée mais quitte la scène dans un éclair de lucidité, n'ayant pas réussi à forcer le destin comme il l'avait si souvent fait.

François Hollande et Manuel Valls à l'Élysée, le 2 novembre 2016. STÉPHANE DE SAKUTIN / AFP.
François Hollande et Manuel Valls à l'Élysée, le 2 novembre 2016. STÉPHANE DE SAKUTIN / AFP.

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Obligé de renoncer à sa succession pour éviter une humiliation, François Hollande espère laisser un héritage. Son acte, pense-t-il, forcera la gauche à se rassembler. Mais rien ne dit qu'elle y parvienne vraiment. «Pour Hollande, c'est parfait: il sort par le haut. Maintenant qu'il est mort et sorti du jeu, tout ce qu'il fera sera interprété à l'aune de cette décision», justifie très sérieusement un visiteur du soir du président de la République, qui l'a vu récemment et auquel l'éternel homme de la synthèse n'avait pas dit s'il renoncerait, ou non, à une candidature.

C'est toujours pareil avec François Hollande: jusqu'au bout il consulte, réfléchit, pèse le pour et le contre, pour finalement prendre une décision en solitaire. Jusqu'au bout, il a cru qu'il pourrait retourner le cours du destin. Voilà pourquoi il est si dur de comprendre pourquoi et comment il vient de jeter l'éponge, même si sa cote de popularité, sa défaite probable à la primaire et les attaques de ceux qu'il avait fait ministres font figure d'arguments évidents pour renoncer.

Un pragmatique qui tranche au dernier moment

François Hollande est un pragmatique qui tranche souvent au dernier moment. Il ne se berce pas de concepts ni d'illusions. Depuis toujours, cet énarque, homme de parti, a une vision lucide de la Ve République. Tout son parcours peut s'interpréter autour de deux grands principes: éviter la division à gauche, déjà bien entamée depuis 2012, et ne pas provoquer de troubles institutionnels. «En réalité, François Hollande est très conformiste. C'est un homme d'ordre, d'autorité. S'il a pris cette décision, c'est aussi à cause de sa famille: Ségolène et ses enfants l'ont convaincu de renoncer», estime la même source. Ce n'est donc pas sur la pression de son Premier ministre, Manuel Valls, qu'il aurait pris cette décision. Mais bien la force des événements qui l'a contraint, après qu'il ait pensé manipuler son monde encore une fois.

Enfermé dans un corner par les ministres qui l'ont quitté et trahi, François Hollande avait un choix réduit. Il a préféré garder un coup d'avance pour éviter l'humiliation que vient d'essuyer Nicolas Sarkozy à la primaire à droite. Le bras de fer avec son Premier ministre Manuel Valls, lequel assurait lundi dernier qu'il ne serait pas candidat à sa succession, n'aura été que la goutte d'eau...

À Matignon, Manuel Valls se devait d'incarner l'autorité. Réintroduire les notions de laïcité chères à la gauche et réactiver une partie du logiciel de la gauche fidèle à Georges Clemenceau. On a souvent présenté le Premier ministre comme l'aile droite de François Hollande: il est en réalité celui qui s'inscrit dans la tradition d'une gauche ferme sur les valeurs et libérale sur l'économie, quand le président de la République échappe à toutes les cases. «Après le temps des synthèses improbables, si longtemps incarnées par François Hollande, au PS d’abord, à l’Elysée ensuite, voici enfin le temps des choix clairs et tranchés à gauche», expose ainsi l'éditorialiste Bruno Dive. «Valls contre Montebourg, et au-delà, Mélenchon contre Macron. Mais face à un Fillon impérial et face à un FN incontournable, la gauche offre une fois encore le spectacle de ses divisions et de ses rancœurs.»

Est-ce sous la pression de son Premier ministre que François Hollande a renoncé? Ou parce qu'il voulait, une fois de plus, préserver l'image d'une gauche «rassemblée» et, selon le mot de son ami Jean-Pierre Mignard, pour «ne pas ajouter du désastre au désordre»? Avec cette décision surprenante pour certains mais logique pour ses soutiens, François Hollande quitte la scène sur un coup de poker: si la gauche s'affronte, s'écharpe, se détruit, il aura fait tout son possible en évitant que la primaire tourne au procès de son quinquennat. Si la gauche se rassemble, s'unit, alors il aura provoqué le choc salutaire et sera sorti par le haut. «Je ne peux me résoudre à la dispersion de la gauche, à son éclatement», a-t-il expliqué depuis l'Élysée jeudi soir, indiquant alors qu'il était «conscient des risques que ferait courir une démarche, la [sienne], qui ne rassemblerait pas largement autour d’elle».

Pression maximum

De son côté, conscient des faiblesses du chef de l'Etat, Manuel Valls s'était résolu à mettre une pression maximum sur François Hollande. D'abord par son interview dans le JDD, où il évoque la possibilité d'affronter le président de la République au risque de provoquer un séisme institutionnel. Puis par sa démission qu'il était résolu à présenter lundi matin, avant que François Hollande ne lui laisse entendre, lors de leur fameux déjeuner rituel aux allures de Grand Pardon, qu'il n'allait pas concourir en 2017. Résultat: le Premier ministre, furieux, aura ravalé sa démission et fulminé contre «Culbuto», surnom donné à François Hollande du temps où il était l'homme de la synthèse, car il parvenait toujours à se redresser après avoir beaucoup tangué.

En réalité, pour certains proches du chef de l'Etat, cette journée rocambolesque n'aura été qu'un moment de cristallisation. Tout comme le livre des journalistes du Monde Stéphane Davet et Fabrice Lhomme n'a été qu'une étape, là où le président voyait dans cet exercice un moyen de laisser une trace dans l'histoire, en détaillant point par point son quinquennat de façon très pédagogique.

Longtemps, François Hollande a cru qu'il pourrait se soustraire à la primaire à gauche et l'annuler. Jean-Christophe Cambadélis, poussé par des intellectuels de gauche critiques face au quinquennat, avait pourtant engagé une procédure qui paraissait incroyable du point de vue des institutions mais qui figurait bien dans les statuts du PS. Le premier secrétaire du parti ironisait même sur le budget dévolu aux candidats (50.000 euros chacun, donc près de 150.000 euros pour Montebourg, Hamon et Lienemann, trois candidats déclarés à l'époque): «150.000 euros pour taper sur François Hollande, ça fait une somme. Il y a des limites au masochisme», glissait cet adepte des punchlines bien senties.

Pour Manuel Valls, avoir laissé faire et avalisé ce dispositif inédit s'apparentait, de la part d'un président de la République, à un «aveu de faiblesse»: «Vous imaginez en janvier Hollande face à Lienemann et De Rugy, ça va avoir de la gueule! Et Montebourg qui viendra avec le Davet-Lhomme sous le coude et qui dira à Hollande: “Alors Monsieur le président, page tant, vous dites… page tant vous dites encore…” C’est surréaliste!», soulignait le Premier ministre le 27 octobre, selon Le Monde. Réalisant enfin cette folie, François Hollande a choisi seul et contraint de renoncer. Une décision lucide, pragmatique... et teintée de mélancolie.

Lors de son allocution depuis l'Élysée, on sentait dans ses paroles qu'il espérait que son bilan soit un jour réhabilité (Valls en sera-t-il le dépositaire?). Toute sa vie politique, François Hollande avait eu un coup d'avance. Il avait joui d'une sorte de bonne étoile qui l'avait protégé, l'empêchant de douter lorsqu'il était au fond du trou. Il semble que celle-ci l'ait abandonné ces dernières semaines. Quant à Manuel Valls, longtemps esseulé au PS, quatre ans après son score de 5% à la primaire de la gauche, on dirait que la chance commence pour une fois à lui sourire.

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