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Le Vendée Globe, «une lessiveuse qui vous attaque les tympans»

Du bruit de fond au bruit d'alerte, les skippers doivent composer avec un univers sonore très changeant.

Le monocoque PRB de Vincent Riou au départ des Sables d'Olonne, le 6 novembre 2016. DAMIEN MEYER / AFP.
Le monocoque PRB de Vincent Riou au départ des Sables d'Olonne, le 6 novembre 2016. DAMIEN MEYER / AFP.

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Il existe un bruit plus insupportable que tous les autres lors d’une course comme le Vendée Globe: celui qui, en une fraction de seconde, fait instinctivement comprendre au navigateur que son tour du monde est peut-être en train de prendre un très mauvais chemin ou de carrément s’achever. Lors de cette édition 2016-2017, Vincent Riou a ainsi pris assez vite la mesure du malheur qui venait de le frapper à cause du son venu brutalement se glisser au creux de son oreille.

Le skipper de PRB, qui filait à vive allure en direction du cap de Bonne-Espérance au sein du groupe de tête de ce Vendée Globe, a soudain perçu l’écho d’un choc tant redouté: il venait de heurter un OFNI, l’un de ces redoutables objets flottants non identifiés dérivant sur les océans. Dans un premier temps, il n’a pas détecté de dégât majeur et a poursuivi sa progression. Hélas pour lui, trois heures plus tard, sa quille s’est mise à émettre des sifflements de plus en plus constants, signes d’un souci important au niveau de l’appendice de son bateau. Ces gémissements ont continué à grossir dans la nuit et l’ancien vainqueur de la course a bien dû se rendre à l’évidence: son Vendée Globe était terminé.

Pour Bertrand de Broc, l’impact d’un choc au large du Portugal avait également correspondu, quelques jours plus tôt, à la fin de ses illusions, son embarcation étant alors devenu une atroce caisse de résonance de sons divers, jusqu’à devenir un insupportable tintamarre avant l’abandon inéluctable. Là aussi, sa quille n’était plus en état de continuer l’aventure. «A bord d’un IMOCA [un monocoque de 60 pieds, ndlr], il y a toujours beaucoup de bruit et cela fait partie de notre quotidien, a-t-il dit alors dans une communication avec l’organisation de la course. Il y a les bruits connus, voire rassurants, et ceux qui doivent donner l’alerte.»

Mi-octobre, alors qu’il s’apprêtait à prendre le départ de cette odyssée aux Sables-d’Olonne, Vincent Riou ne voulait justement pas entendre évoquer cette hypothèse du bruit fatal car un OFNI l’avait déjà contraint à l’abandon lors du Vendée Globe 2012-2013. «Ce bruit-là, on ne le guette pas, mais, c’est vrai, on le redoute parce qu’on comprend tout de suite ce qui se passe, confiait-il alors. C’est la malchance de la course. Bing, et tout est joué.» Egalement victime d’un OFNI sur ce Vendée Globe 2016-2017 avec la même obligation de devoir renoncer, Morgan Lagravière n’avait pas eu envie non plus, au moment de s’élancer, d’imaginer le pire, après avoir heurté un animal lors d’une course précédente. «J’avais entendu la collision dans un demi-sommeil et j’avais dû vite reprendre le contrôle du bateau qui s’était mis à grincer et à partir dans tous les sens, se rappelait-il. Quand ça vous arrive, c’est un coup sur le bateau et sur votre propre tête.»

Un volume sonore terriblement envahissant

Mais cette ambiance sonore de fin du monde, avec le bateau qui paraît comme hurler à la mort au moment où il n’est plus question de croire en ses chances, correspond en réalité à l’univers presque infernal auquel les marins sont confrontés en permanence. En effet, du départ jusqu’à l’arrivée, pendant trois mois et plus, le bruit est le compagnon fidèle des concurrents du Vendée Globe. Une fois retombées les puissantes acclamations de l’innombrable foule des Sables-d’Olonne –une très jolie musique à laquelle les solitaires ne sont pas là habitués–, chaque marin doit composer avec un décor visuel très changeant, mais aussi un désagréable fond sonore régulier. «Les gens s’imaginent que nous nous mettons, en quelque sorte, au calme loin de la fureur du monde, souriait Jérémie Beyou, voilà quelques semaines, en marge du départ. Mais c’est exactement l’inverse, on en prend plein les oreilles même à petite vitesse.»

Selon les skippers, si le volume sonore est acceptable autour de 10 nœuds, il devient terriblement envahissant et gênant à partir des 20 nœuds, dans ce qui est alors un véritable brouhaha mélangeant les aigus et les graves selon une partition désordonnée. «C’est comme si vous vous mettiez au bord du périphérique à 8h30 et qu’au lieu des voitures, vous regardiez passer des paquets de mer avec en fond le bruit permanent de la ville», remarquait Vincent Riou. La mer et le vent, même dans un petit temps, sont des diffuseurs sonores permanents avec le bateau agissant comme une amplificateur de résonance, que ce soit au niveau de la voilure avec les câbles la soutenant ou de la coque en carbone, véritable tambour frappé par les vagues. «C’est épuisant et mentalement, il faut s’y préparer sur une aussi longue durée, souligne Jean-Pierre Dick, l’un des vétérans de ce Vendée Globe. Parfois, parce que c’est nécessaire d’un point de vue psychologique, existe la tentation de diminuer l’allure du bateau pour se ménager une pause relative.» «C’est une lessiveuse qui vous attaque les tympans, avec de très rares instants de silence», admet Vincent Riou. Les foils, ces ailes profilées qui se déplacent dans l'eau et dont sont équipés pour la première fois quelques bateaux de ce Vendée Globe, ajouteraient même un chuintement supplémentaire à pleine mesure.

«Pas d'impact direct sur la fonction auditive»

Pour se prémunir contre ce ramdam auditif, la grande majorité des navigateurs emploient des casques antibruit, comme ceux utilisés pour écouter de la musique, ou des bouchons, notamment au moment de dormir, même s’il y a toujours pour eux l’obligation de rester sur le qui-vive dans l’hypothèse d’un bruit étrange. «À titre personnel, je n’utilise rien de tout cela y compris lorsque je vais me coucher, confie néanmoins Armel Le Cléac’h, l’un des actuels leaders de la course. J’ai besoin d’entendre mon bateau comme si j’écoutais son cœur. C’est sa musique même si elle est souvent déplaisante. Dans ce raffut, je sais déceler la moindre faute note. Et avec un casque ou un bouchon, j’ai le sentiment de perdre ce contrôle auditif.»  

Cependant, Jean-Yves Chauve, le médecin de ce Vendée Globe, en contact avec les navigateurs depuis la France, détecte rarement des problèmes liés à une perte d’audition lors d’une cette course de cette durée plutôt sujette, comme c’est le cas des consultations depuis le départ, à des lumbagos, vertiges, plaies des doigts et du cuir chevelu, contusions simples suite à des chocs, infections cutanées, fatigue, etc. «Les bruits auxquels les skippers sont confrontés n'ont pas d'impact direct sur la fonction auditive qui, malgré tout, est beaucoup moins sollicitée qu'en écoutant de la musique avec des écouteurs ou que lors d'une soirée en discothèque, explique-t-il. L'impact des nuisances sonores est plus lié à la mauvaise qualité du sommeil engendrée par ces bruits, qui ont une influence négative à la fois sur l'endormissement et sur la capacité à dormir profondément –perturbation du sommeil lent profond et du sommeil paradoxal. À terme, cela entraîne des troubles de la vigilance et une fatigue chronique.» Il n’empêche, selon Morgan Lagravière, lors d’une précédente édition, Marc Guillemot aurait estimé avoir perdu environ 20% de ses facultés auditives avant de les recouvrer en revenant à terre.

Dans le charivari qui accompagnera les rescapés de ce Vendée Globe quand ils reviendront aux Sables-d’Olonne au début de l’année prochaine, il sera, hélas pour eux, impossible de faire le sourd face aux multiples sollicitations dont ils seront alors l’objet, particulièrement le vainqueur. Mais après, il sera bien temps de s’enfoncer pour chacun dans un silence réparateur, mais aussi troublant après tant de fureur…

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