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Voilà les indicateurs qui annoncent un régime autoritaire

Ce n'est pas parce que les États-Unis sont aujourd'hui une démocratie qu'ils le resteront éternellement.

Donald Trump à Bedminton (New Jersey), le 20 novembre 2016. DREW ANGERER / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP
Donald Trump à Bedminton (New Jersey), le 20 novembre 2016. DREW ANGERER / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

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Sur le plan de la politique étrangère, il y a de bonnes raisons d'avoir peur de Donald Trump, mais il y en a aussi d'autres de croire qu'il ne fera pas pire que certains de ses prédécesseurs. Pour sûr, sous George W. Bush, les néoconservateurs aux manettes pouvaient se targuer d'une grooosse expérience, ce qui ne les a pas empêchés de tout saccager sur leur passage. Face à Donald Trump, mes craintes ont toujours été doubles: que ses objectifs stratégiques puissent être relativement sensés, mais qu'il les mette en œuvre avec une telle incompétence qu'il finisse par affaiblir la position des États-Unis dans le monde; ou alors qu'il se fasse embabouiner par les grosses légumes d'usage et répète les mêmes erreurs que le crétin du Texas. Au vu de ses premiers choix –comme la nomination de l'islamophobe Michael Flynn au poste de conseiller pour la sécurité intérieure–, on pourrait même obtenir le pire des deux mondes: l’irrationalité des objectifs et la stupidité de leur réalisation.

Sauf que pour les Américains, il y a un autre vrai motif d'inquiétude: la menace que Trump représente pour l'ordre constitutionnel des États-Unis. Son lourd et long passif dans les affaires indique qu'il est un homme rancunier, prêt à tout pour punir ses concurrents et capable de rompre une promesse en un clin d’œil, sans le moindre remord. Sa campagne présidentielle aura prouvé le peu d'estime qu'il a pour les normes et les règles existantes –il a refusé de publier sa déclaration fiscale, multiplié les mensonges, prétendu que le système électoral et politique était «truqué» à ses dépens, menacé de jeter en prison son adversaire, entre autres et nombreuses infractions– et révélé tout le mépris qu'il conçoit autant pour ses opposants que pour ses partisans. Et croyez-vous qu'il regrette ce qu'il a pu dire ou faire d'odieux durant sa campagne? Pas le moins du monde, vu qu'il a «gagné», pour citer son interview post-élection dans le Wall Street Journal. Pour Trump, semble-t-il, la fin justifie réellement les moyens.

Pour aggraver encore un peu plus la situation, dans son entourage, beaucoup sont persuadés que l'Amérique est aujourd'hui assiégée par des hordes de gauchistes, de gens de couleur, d'immigrés divers et variés et d'obscures influences étrangères. Ils savent aussi que la démographie ne leur est pas favorable: les Républicains ont perdu le vote populaire lors de six des sept dernières élections (Bush 2004 ayant été l'exception) et la proportion d'hommes blancs d'un certain âge constituant l'assise du parti va poursuivre son déclin. Un contexte qui en incitera certains à s'agripper au pouvoir par tous les moyens possibles, légitimés par leur (fausse) croyance d'un pays à «sauver» de ses prétendus ennemis.

Qu'on y ajoute le goût avoué de Trump pour les hommes «forts» comme Vladimir Poutine et les funestes conseillers dont il s'entoure –à commencer par le suprémaciste blanc Stephen Bannon– et vous avez la recette d'un bon rejet de la démocratie. En voyant l'obsession personnelle de Trump pour la «gagne» et la terreur qu'il peut ressentir face à l'humiliation, je m'interroge sur sa possible réaction lorsque son taux de bonnes opinions s'écroulera, que le marché obligataire piquera du nez ou qu'il sera incapable de réaliser ses promesses. Tous les présidents subissent des revers d'opinion –ce fut le cas pour Richard Nixon, Ronald Reagan, Bill Clinton, les deux Bush, Barack Obama, sans oublier Abraham Lincoln et Franklin D. Roosevelt. Il n'y aura pas d'exception pour Trump. Lorsque son taux d'opinions favorables sera dans les choux et que même un Congrès sous contrôle républicain ne voudra pas satisfaire ses caprices, va-t-il s'adapter et tenir la barre –comme le font tous les présidents normaux– ou va-t-il jouer le tout pour le tout et chercher des moyens de s'isoler?

La responsabilité publique est inhérente au système constitutionnel américain, mais rien ne dit que Trump n'essayera pas d'y échapper. Sur ce plan, ce n'est pas comme si les modèles manquaient. En Russie, si Poutine a pu remporter une série d'élections et conserver un taux de satisfaction élevé, c'est notamment parce qu'il aura éliminé, intimidé ou marginalisé quiconque susceptible d'affaiblir sa mainmise sur le pouvoir, tout en gavant au quotidien le peuple russe de propagande pro-Kremlin. En Turquie, la stratégie de Recep Tayyip Erdogan est comparable, avec une exaltation du conservatisme des campagnes, une mise au pas de la presse et l'exploitation de toutes les opportunités possibles et imaginables d'arrêter, menacer, réprimer ou même d'éliminer opposants et critiques. La formule est aussi appliquée, quoique dans une moindre envergure, en Hongrie et en Pologne, et elle n'est pas sans rappeler le règne depuis peu achevé de Silvio Berlusconi, qui n'aura cessé de se faire réélire malgré un bilan désastreux de Premier ministre et sa condition avérée de prédateur sexuel.

Le diagnostic pourrait vous sembler alarmiste. Il est effectivement tout à fait possible que Trump respecte son serment de défense de la Constitution et ne s'écarte jamais de la ligne légale. Mais vu ses agissements passés, son état d'esprit manifeste et ses conseillers belliqueux, il est à mon sens assez légitime d'estimer en péril l'ordre prévalant aux États-Unis depuis plus de deux siècles, ce qui devrait préoccuper tous les Américains. Certes, la réalité constitutionnelle n'a jamais correspondu aux espoirs et aux idéaux des Pères Fondateurs, mais la qualité d'autocorrection du système aura bien servi la nation américaine. Mieux encore, c'est grâce à la Constitution que les États-Unis ont pu se préserver des excès autodestructeurs et des injustices extrêmes si fréquents dans les régimes autoritaires.

J'insiste: je ne dis pas que ce sombre scénario d'une démocratie subvertie est probable, seulement qu'il est loin d'être impossible. La démocratie s'est délitée dans plusieurs pays et rien ne permet d'estimer les États-Unis vaccinés contre ce danger. Pour un bon aperçu de l'état de la science politique sur ce sujet, consultez la salutaire liste de Jeff Colgan, professeur à Brown.

La bonne nouvelle, c'est que les États-Unis ne connaissent pas les principaux facteurs de désintégration démocratique: le pays n'est pas pauvre, ses institutions sont anciennes et il n'est pas au beau milieu d'une crise économique majeure. La mauvaise nouvelle, c'est que les États-Unis possèdent un système présidentiel (a priori plus propice à la dictature que les systèmes parlementaires) où, qui plus est, l’exécutif n'a cessé de gagner en autorité. Sans compter que jamais, au grand jamais, nous n'avons eu de président un tantinet comparable à celui qui vient d'être élu.

Au vu des enjeux en présence, le mieux que nous ayons à faire est de faire attention aux éléments factuels attestant du virage autoritaire négocié par Trump et son entourage. Pour tous ceux qui aiment les États-Unis et leur Constitution plus qu'ils n'apprécient un parti ou une personnalité politiques spécifiques, j'aimerais faire œuvre de service public avec cette liste en dix points –dix signes annonciateurs d'une démocratie en péril en Amérique.

1.Une volonté systématique d'intimider les médias

Comme George Orwell l'a si puissamment montré dans 1984, la survie des autocrates exige un contrôle de l'information. Depuis longtemps, il est acquis qu'une presse libre, énergique, vigilante et contradictrice est une garantie essentielle des libertés démocratiques, car sans elle, le peuple que les dirigeants sont censés servir est privé de l'information qui lui est nécessaire pour évaluer l'action des politiciens.

Pour voguer vers la présidence, Trump a bourré sa cale de mensonges et d'exagérations, et rien ne laisse présager qu'il se découvre une passion nouvelle pour la vérité une fois entré en fonctions. Le peuple américain ne peut correctement évaluer ses performances de président sans informations fiables et indépendantes, et c'est là qu'une presse libre et contradictrice est indispensable. Si l'administration Trump commence à mettre en œuvre une politique visant à restreindre la liberté de la presse, ou même si elle se contente d'intimider les médias trop critiques à son encontre, ce sera un énorme (voire un hénaurme) porte-malheur.

Quel genre de démarches ai-je en tête? Trump a d'ores et déjà proposé d'élargir la notion de diffamation pour que des personnalités publiques puissent s'attaquer plus facilement aux médias. Dans ce cas, les patrons de presse et les rédactions devront réfléchir à deux fois avant de risquer des procès coûteux en argent et en réputation, qu'importe qu'ils en sortent vainqueurs, ce qui ne pourra qu'émousser leur mordant. Trump pourrait aussi recourir à la Federal Communications Commission (FCC) pour harceler les médias qu'il juge trop acerbes. Il pourrait même aller encore plus loin qu'Obama en s'attaquant aux lanceurs d'alerte et en poursuivant les journalistes citant des sources anonymes. Son administration pourrait priver d'accréditation des journaux comme le New York Times, qu'elle estimerait trop négatif face à sa politique ou tout simplement trop précis dans la documentation de ses échecs. Ce n'est pas parce que le Premier amendement garantit la liberté d'expression qu'il est impossible de domestiquer certains médias ou d'en inciter d'autres à se vautrer dans les «fausses équivalences».

2.La création d'un média officiellement pro-Trump

Le deuxième signe est un corollaire du premier: tout en cherchant à faire taire certains médias, Trump pourrait user de sa présidence pour récompenser ceux qui lui sont depuis longtemps favorables. Il pourrait même tenter de créer une agence de presse officielle du gouvernement, chargée de lui tresser des lauriers.

Comme Ian Bremmer d'Eurasia Group l'a déclaré ce mois-ci lors d'une conférence à la Harvard Kennedy School, si Poutine a son RT, pourquoi Trump n'aurait pas son équivalent? Dans le monde idéal de Trump, le bon peuple américain s'abreuve d'un cocktail de Breitbart, de Fox News et de tweets présidentiels, une fontaine à «informations» hypnotique qui contribuerait grandement à isoler le président des conséquences de ses propres erreurs. Le Congrès refusera probablement de financer un média trop ostensiblement dans la poche de Trump, mais dans le cas contraire, prenez garde.

3.Une politisation de l'administration, de l'armée, de la Garde nationale ou des agences de sécurité intérieure

La bureaucratie gouvernementale est un des obstacles à la rupture démocratique –ses membres permanents sont protégés des pressions politiques par des garanties administratives rendant difficile leur limogeage arbitraire. Mais on peut parfaitement concevoir une administration Trump cherchant à rogner sur ces garanties, en demandant par exemple au Congrès de «dégraisser le mammouth» sous prétexte d'efficience gouvernementale. Je parie que les chroniqueurs du Wall Street Journal seront nombreux à se rallier à cette idée et multiplieront les tribunes arguant que virer quelques bureaucrates encroûtés, en fin de compte, ça incitera leurs collègues à se sortir les doigts.

Sauf que si le président ou ses lieutenants sont à même de purger les agences gouvernementales plus ou moins selon leur bon plaisir, la peur du licenciement poussera de nombreux fonctionnaires expérimentés à baisser la tête et à acquiescer à tout ce que le président exige, qu'importe que cela soit inepte ou illégal. Et quand vous voyez que Trump nomme ses fidèles aux plus hautes fonctions sans prendre en compte leurs qualifications (le prochain chef de cabinet, Reince Priebus, n'a ainsi jamais travaillé au sein du gouvernement fédéral), l'éventualité n'en devient que plus effrayante.

Et ne croyez pas que l'armée, le FBI, la Garde nationale ou même les agences de renseignement soient vaccinées contre ce genre d'interférences. D'autres présidents (ou leurs collaborateurs) ont déjà viré des généraux remettant en question leurs objectifs –comme l'aura fait Donald Rumsfeld, secrétaire à la Défense de la première administration de George W. Bush, avec Eric Shinseki, chef d'état-major qui avait eu l'outrecuidance d'affirmer à une commission parlementaire que l'occupation de l'Irak risquait d'être bien plus gourmande en hommes que ce qu'estimait son patron. Un message reçu cinq sur cinq par les généraux et amiraux, qui resteront le petit doigt sur la couture jusqu'à la fin de son désastreux mandat. Par le passé, on a dénombré quelques pommes de discorde du côté du contrôle de la Garde nationale, mais si Trump cherche à accentuer son autorité fédérale, il disposera d'une arme puissante pour mater toute dissidence un peu trop bruyante à son goût.

Parce qu'il existe des précédents aux tactiques que je viens de décrire, d'aucuns pourraient hausser les épaules si jamais Trump s'oriente dans cette direction, ce qui serait une grave erreur.

4.L'utilisation d'outils de surveillance étatique contre des adversaires politiques nationaux

Là non plus, la manœuvre ne serait pas totalement inédite: Nixon s'est bien servi de la CIA pour infiltrer des mouvements pacifistes durant la Guerre du Vietnam. Sauf que depuis les années 1960, la capacité du gouvernement à surveiller les téléphones, les emails, les disques durs et autres activités numériques des Américains a considérablement augmenté. Et comme le révélait Edward Snowden voici quelques années, la supervision de ces activités est insuffisante et leur illégalité n'est pas impossible.

Reste qu'en l'état actuel de nos connaissances, personne n'a jamais essayé d'utiliser cette nouvelle puissance de surveillance pour pister, intimider, embarrasser, décourager ou anéantir des opposants politiques. Je ne sais pas si les révélations des frasques de l'ancien gouverneur de New York, Eliot Spitzer, ou de l'ancien directeur de la CIA, David Petraeus, sont ou non une illustration de ce problème, mais elles démontrent très certainement comment un président aux dents longues et sans scrupules pourrait en tirer profit.

Pour ce faire, il lui faudrait la coopération de hauts fonctionnaires et sans doute celle de nombreux subalternes, ce qui n'exige en fin de compte que des fidèles en haut de la pyramide et des soumis aux échelons inférieurs. Sous George W. Bush et Dick Cheney, l'autorité de la Maison-Blanche aura été suffisante pour convaincre des employés du gouvernement de torturer d'autres êtres humains. A côté de ça, faire en sorte que leurs homologues actuels acceptent de lire les emails, de compulser l'historique ou encore d'écouter les appels d'adversaires politiques du président histoire de débusquer des saloperies, ce sera un jeu d'enfant.

5.L'utilisation de la puissance publique pour récompenser les entreprises amies et punir les opposants

Une caractéristique commune à beaucoup de simili-démocraties corrompues se retrouve dans la propension de l’exécutif à puiser dans les caisses de l’État pour récompenser les patrons loyaux et punir tous ceux qui s'interposent. C'est ainsi que Poutine contrôle ses «oligarques» en Russie. En Turquie, c'est en partie comme cela qu'Erdogan a construit son pouvoir et sapé celui de ses opposants. Comme le souligne Matthew Yglesias dans Vox, telle aura aussi été la technique de Berlusconi en Italie, des manœuvres qui auront contribué à pourrir l'économie italienne et à aggraver une corruption déjà endémique dans le pays.

Je sais, je sais: la corruption n'a pas attendu Trump pour attaquer le pays de la liberté –que ce soit avec l'assiette au beurre parlementaire ou les contrats juteux que s'assurent les politiques devenant lobbyistes une fois leur mandat terminé– alors pourquoi s'en prendre spécifiquement à lui? Le problème, c'est que c'est visiblement, à ses yeux, la seule et unique bonne façon de faire des affaires est la suivante: vous graissez la patte de vos copains, et vous savonnez la planche de vos ennemis dès que vous en avez l'occasion. Si le Washington Post publie un tas d'articles défavorables à Trump et que son propriétaire, Jeff Bezos, apprend dans la foulée que de nouvelles législations nuiront bientôt à son activité principale (Amazon), que personne ne soit surpris. Mais que tout le monde soit très très inquiet.

6.Le noyautage de la Cour suprême

Il est probable que Trump se saisisse de l’occasion de nommer plusieurs juges à la Cour suprême, et ses choix seront révélateurs. Va-t-il s'orienter vers des individus qui lui sont personnellement fidèles et redevables, ou vers des magistrats célèbres pour leur indépendance et leurs qualifications astronomiques? Va-t-il choisir des gens aux opinions sur l'avortement, le mariage gay ou encore le financement politique alignées sur celles de son parti ou qui, de par leur avis connu sur l'étendue des activités de l’exécutif, ont plus de chance de regarder ailleurs si jamais il s'engage sur les voies précédemment détaillées? Et dans ce cas, le Sénat aura-t-il le cran de lui barrer la route?

7.Une application partiale de la loi

Pour fonctionner correctement, les démocraties libérales se fondent sur une application politiquement neutre de l'État de droit. C'est un idéal qu'aucune société n'atteint totalement et les lacunes du système judiciaire américain sont connues. Mais compte tenu de la nature de la campagne de Trump, et des profondes divisions que connaissent aujourd'hui les États-Unis, ce sera un test décisif pour le président élu: sera-t-il capable de faire respecter des normes de conduite équivalentes pour ses partisans et ses adversaires? Si des manifestants anti-Trump se font tabasser par une bande de pro-Trump, est-ce que ces derniers seront jugés aussi prestement qu'en situation inverse? Est-ce que les institutions judiciaires locales et fédérales surveilleront et puniront avec autant de fermeté les propos haineux et les menaces émanant de l'extrême-droite que celles venant de l'autre bord?

Je sais pas pour vous, mais pour moi, la nomination de Jeff Sessions au poste de procureur général des États-Unis n'est pas du genre à me rassurer. Si Trump saute à la gorge de ses détracteurs, mais offre une relative impunité aux homophobes, racistes et autres sectaires parce qu'ils sont dans ses petits papiers, il faudra y voir une autre preuve d'un président cherchant à faire pencher la balance de la justice en sa faveur.

8.Le trucage  du système électoral

Quand il semblait s'orienter vers une défaite, Trump a très vite proclamé que le système était «truqué», avant de menacer qu'il n'accepterait pas le résultat de l'élection si jamais il la perdait. Bien évidemment, si quelconque trucage du système il y eut, ce fut en sa faveur, vu qu'il n'a pas obtenu la majorité du vote populaire et qu'il a pu bénéficier d'ostensibles manipulations électorales dans des zones où Hillary Clinton, son adversaire démocrate, pouvait compter sur un soutien élevé.

Dans tous les cas, en sachant quelles sont leurs promesses et la démographie électorale, Trump et le GOP ont tout intérêt à profiter des quatre prochaines années pour bourrer les urnes. Les trifouillages de circonscriptions iront sans doute croissant pour assurer des sièges aux Républicains de la Chambre; idem pour tout ce qui pourrait éloigner les sympathisants démocrates des bureaux de vote en 2018 et 2020. Cela va sans dire, mais mieux en le disant: toutes ces interférences sont fondamentalement incompatibles avec une vraie démocratie.

9.Une exaltation des peurs

Jouer sur les angoisses sécuritaires et existentielles d'une population est une tactique autocratique classique, le but étant qu'elle se tourne vers un Chef, seul capable de la protéger. C'est une carte que Trump aura exploitée avec brio lors de sa campagne, avec ses histoires de «Mexicains violeurs», de gouvernements étrangers qui «volent votre boulot», de migrants-terroristes qui «déferlent sur nos côtes», et ainsi de suite. Il a aussi laissé entendre que ses adversaires étaient complices de ces divers «ennemis». Une population effrayée, c'est une population qui pense d'abord à sa sécurité et qui oublie ses libertés fondamentales –et qui a plus de chance de regarder ailleurs lorsque son président se gave de pouvoir.

Le scénario du pire, évidemment, serait une manœuvre à la Erdogan: que Trump profite d'un attentat terroriste ou d'un autre événement tout aussi dramatique pour déclarer «l’État d'urgence» et jouir d'une autorité exécutive sans précédent. Grâce au 11-Septembre, Bush et Cheney ont pu faire adopter le Patriot Act; Trump pourrait parfaitement se servir d'une future catastrophe pour rogner un peu plus sur les libertés individuelles, la liberté de la presse et autres institutions centrales à la démocratie.

10.La diabolisation de l'opposition

Faire croire au peuple que vos opposants politiques sont cul et chemise avec les ennemis de la Nation est l'une des plus vieilles tactiques qui puisse exister –et que Trump aura mise en œuvre depuis son entrée en politique, avec ses soupçons sur la nationalité d'Obama. Sa pratique présidentielle va-t-elle consister à continuer à douter du patriotisme de ses adversaires, les accuser de soutenir les adversaires de l'Amérique, justifier ses revers politiques par l'existence de sombres complots ourdis par des Démocrates, des gauchistes, des musulmans, l’État islamique, «le monde de la finance» et autres ultrasons faisant rappliquer aussitôt ses toutous d'extrême-droite? Va-t-il suivre les conseils de certains de ses partisans et demander aux ressortissants de certains pays (la célèbre Musulmanie) de «s'enregistrer» auprès du gouvernement fédéral?

Une nouvelle fois, ce sont des stratégies qu'Erdogan et Poutine ont pu utiliser en Turquie et en Russie afin de cimenter leur autorité sur le long terme par l'initiation d'un cercle vicieux d'hostilité sociale. Quand, au sein d'une société, certains groupes en regardent déjà d'autres d'un œil mauvais, il ne suffit que de quelques extrémistes ciblant les «ennemis intérieurs» pour craquer l'allumette. Si la minorité attaquée réagit de manière défensive, ou si ses propres têtes brûlées ont recours à la violence, le premier groupe verra ses craintes justifiées et les clivages sociaux s'accentueront. Dans les cas les plus extrêmes, comme dans les Balkans dans les années 1990 ou en Irak après 2003, la situation peut vite dégénérer en guerre civile. Trump jouera avec le feu s'il essaye de rester au pouvoir en alimentant la haine de «l'autre», mais c'est ce qu'il a fait durant sa campagne et rien ne dit qu'il ne recommencera pas.

Pour beaucoup, ma liste semblera sans doute alarmiste. Alors je le répète: il est possible, et même probable, que Trump ne se lance pas dans ce genre d'entreprises (ou du moins, pas vraiment sérieusement) et, dans le cas contraire, l'opposition qu'il rencontrera aura toutes les chances d'être unie et réactive. Les digues constitutionnelles et constitutives de la démocratie américaine seront sans doute assez solides pour lui résister. Et vu l'attachement du peuple américain à la liberté, il est aussi possible que toute menace contre l'ordre actuel soit rapidement détectée et tuée dans l’œuf.

En bref: je ne prédis absolument pas l'effondrement de la démocratie américaine sous la présidence de Donald J. Trump. Ce que je dis, c'est que cet effondrement n'est pas impossible, que les signes avant-coureurs sont clairs et qu'il faut les surveiller. Aujourd'hui, comme toujours, le prix de la liberté est une vigilance éternelle. Ou pour le dire d'une façon plus contemporaine: soyons attentifs, ensemble.

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