France

Juppé/Fillon, le choc des mots ou celui des photos?

Parmi les critères déterminants qui permettront de départager Alain Juppé et François Fillon ce dimanche 27 novembre, un est souvent sous-estimé à tort: celui de l'apparence des candidats.

François Fillon et Alain Juppé lors du débat de l'entre-deux-tours le 24 novembre 2016 I Eric FEFERBERG / POOL / AFP
François Fillon et Alain Juppé lors du débat de l'entre-deux-tours le 24 novembre 2016 I Eric FEFERBERG / POOL / AFP

Temps de lecture: 8 minutes

Le vote à la primaire du 20 novembre a-t-il vraiment été un vote d’adhésion à des idées?  Si on écoutait les commentateurs politiques et les explications de vote fournies par les électeurs on pourrait le croire. Or, tout porte à croire au contraire que l’image des candidats a joué un rôle beaucoup plus important.

Depuis le fameux débat Kennedy/Nixon, tout le monde sait que les débats télévisés peuvent influer sur le choix des électeurs. Il en est ainsi parce que certains électeurs indécis ou mal informés se forgent alors une opinion. Celle-ci dépend en partie de la communication non verbale en particulier de l’apparence des candidats. Et l’apparence physique des hommes politiques ne joue pas seulement un rôle lors des débats.

Des électeurs indécis et peu demandeurs des programmes

Dans l’élection de la primaire, la volatilité de l’électorat a été considérable. Beaucoup d’électeurs se sont décidés tardivement, le jour du vote et dans les trois semaines qui ont précédé. Les électeurs connaissaient-ils les programmes? Si c’était le cas, ils auraient opéré plus vite et de façon plus déterminée leur choix. L’intérêt pour les propositions des candidats semble avoir été bien modeste depuis ces derniers mois si l’on en croit les recherches sur Google. La curiosité pour le programme d’Alain Juppé a d’ailleurs en moyenne toujours été un peu plus forte jusqu’au soir du scrutin.

Source : Google Trends

Ce n’est que le 20 novembre, jour du vote, après la fermeture des bureaux de vote et l’annonce des premiers résultats que l’intérêt pour les programmes est réel.

Source: Google Trends

On pourrait soutenir que les électeurs de François Fillon n’avaient pas besoin d’aller sur internet pour découvrir un programme qu’ils connaissaient déjà. Mais dans ce cas comment expliquer qu’ils n’aient pas été plus tôt convaincus de leur choix plus tôt. Si le vote pour François Fillon dépendait du positionnement plus conservateur et catholique, comment expliquer que c’est lui qui des trois candidats principaux réalise le moindre score chez les catholiques: 68% des électeurs de François Filllon affirment être de religion catholique. Un chiffre inférieur à celui des électeurs d'Alain Juppé (76%) et de Nicolas Sarkozy (75%).

La question de l’âge

Les internautes, peu intéressés par les programmes, sont en revanche demandeurs d’informations sur d’autres sujets qui ont de l’importance à leurs yeux. J’ai examiné depuis 2015 les mots clefs qui étaient les plus recherchés sur internet pour Alain Juppé. Or, c’est son âge qui était la question la plus souvent posée. Cela traduisait une réelle préoccupation des électeurs, à la lettre D le moteur suggérait date de naissance et à la lettre T le moteur Google proposait l’expression «trop vieux».

Juppé, constamment questionné sur son âge, a toujours opté pour l’humour ou argué de l’expérience qu’il confère. Mais il n’a jamais fait remarquer que cette question pouvait être méprisante

Sur neuf suggestions de recherche Google concernant Alain Juppé, le 25 novembre, on trouve encore les mots «jeune», «âge» et «affiche».

Si les idées et les programmes étaient si importants comment expliquer que des questions comme l'âge, la taille ou encore l’apparence du candidat lorsqu’il était jeune (sa calvitie en l’occurrence) préoccupent autant les électeurs? Les questions des internautes concernant l’âge d’Alain Juppé reflètent comme nous le savons une réticence des électeurs à se porter vers des candidats ayant plus de 70 ans.

Les sondages en Europe et au États-Unis sont limpides sur ce point. Les européens, et plus encore les français, ne paraissent en effet pas emballés à l’idée d’élire un président âgé. Un sondage européen permet de se faire une idée des réactions des électeurs selon le profil d’un candidat s’il était élu au plus haut poste politique du pays. Sur une échelle de 1 à 10 (de «tout à fait mal à l’aise» à «tout à fait à l’aise») on apprend que les Européens, comme les Français, seraient très heureux d’avoir une femme à ce niveau de responsabilité (note de 9/10), handicapée (8), d’une religion minoritaire (6,5), homosexuel ou d’une origine ethnique minoritaire dans le pays surtout en France (7).

On apprend aussi comment les électeurs réagiraient en présence d’un transsexuel ou transgenre, finalement pas trop mal en Europe comme en France (5,4). Pour l’âge, le sondage révèle qu’un président de moins de 30 ans choses n’inquièterait pas spécialement (6,2) mais qu’un président de plus de 75 ans provoquerait l’affolement surtout d’ailleurs en France avec une note de (4,7). Les électeurs paraissent préférer un novice à un élu expérimenté.

Toutes choses égales par ailleurs, un candidat ayant 62 ans est avantagé par rapport à un candidat de de 71 ans. Si Donald Trump l'a emporté à l'âge de 70 ans, notons que Hillary Clinton en avait 69 et qu'elle a terminé avec une avance de deux millions de voix

Quant à la calvitie, nous savons qu’en France comme aux États-Unis elle est un désavantage pour accéder aux plus hautes fonctions. Alain Juppé, constamment questionné sur son âge depuis son entrée en campagne, a toujours opté pour l’humour ou argué de l’expérience qu’il confère. Mais il n’a jamais fait remarquer que cette question pouvait être méprisante pour lui comme pour les nombreux séniors qui connaissent des discriminations et les stigmates du vieillissement. Confronté à ce handicap politique qu’est l’âge, il aurait pu dénoncer le jeunisme de notre société dont souffre tant de français. Les séniors sont les premières victimes de discrimination pour accéder à l’emploi et, à la télévision, on rejette les personnes âgées qui plomberaient l’audimat.

Des affiches de campagnes aux antipodes

Outre la question de l’âge, les électeurs sont sensibles au visage des hommes politiques. Les études scientifiques sont abondantes s'agissant des effets du visage des candidats sur les chances d'être élus. Alexander Todorov, un psychologue de l’université de Princeton, en est un des meilleurs spécialistes et plusieurs études de son équipe ont permis de démontrer qu’en regardant la tête de candidats que l’on ne connaît pas nous pouvons prédire dans 7 cas sur 10 le gagnant des élections (cf. les publications du Social Perception Lab).

Une étude conduite en Suisse (publiée dans la revue Science en 2009) portant sur des candidats aux législatives françaises a même constatée que des enfants pouvaient prédire le gagnant des élections en disposant seulement de la photo des candidats. Une récente étude confirme que les votes changent bel et bien au gré des visuels des candidats. Publiée en mai 2016 dans la revue Political Behavior, elle montre que pour des votes lors de primaires l'effet de l'apparence physique (le visage des candidats) est très fort, justement en raison de la relative proximité des programmes alors que pour les autres élections le physique joue surtout pour les indécis, qui sont peu informés, et pour les électeurs qui regardent beaucoup la télé. Et justement tout le monde a noté la forte volatilité de l'électorat de cette primaire.

Le problème principal n’est pas le graphisme, l’arrière plan, la couleur ou encore le look adopté mais bien la posture et l’expression faciale du candidat

Dans primaire de la droite et du centre, le moins que l’on puisse dire est que se sont affrontés un candidat entouré de communicants ayant travaillé ses images et un candidat qui n’était manifestement pas aussi bien conseillé ou convaincu lui-même de cet enjeu. Il suffit de prendre leurs affiches respectives pour le comprendre. L’affiche d’Alain Juppé lancée le 1er novembre 2016 a suscité un flux de consultations sur internet et surtout un flot de moqueries en raison de son caractère qui paraissait vieillot (même en tenant compte de l’âge élevé des électeurs de la primaire, le choix est curieux).

Le problème principal n’est pas le graphisme, l’arrière plan, la couleur ou encore le look adopté mais bien la posture et l’expression faciale du candidat. En utilisant un logiciel de détection des expressions faciales, on vérifie ce que notre œil perçoit: l’expression est «neutre et colérique». Par comparaison, l'affiche de François Fillon montre un homme accessible, très souriant et en mouvement.

La clef du sourire

Pour tout un chacun, ce que confirme un logiciel d’analyse faciale, son visage est celui d’un homme heureux. Il y a un côté «leader de charme» dans l’affiche ce qui permet de casser l’image de l’homme politique conservateur, sérieux, voire ennuyeux Dans les tracts distribués, ses communicants n’hésitent pas aussi à le montrer casque sous le bras et en tenue de pilote de course automobile. François Fillon utilise beaucoup cette passion dans sa communication. C’est Steve McQueen qui est en campagne.

JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP

Le fait de sourire n’est pas anecdotique en politique comme un article publié dans la revue Political Psychology en 2012 l’a montré. Les raisons sont nombreuses: sourire inspire confiance, donne l’air extraverti, rend sympathique. L’effet de séduction du sourire est aussi important. On note que c’est chez les femmes que François Fillon a réalisé le meilleur score au premier tour de la primaire. Celles-ci représentent 62% de ses électeurs. À l'inverse, les hommes ont massivement voté pour Alain Juppé (63% de ses électeurs). La beauté des candidats a un effet sur le vote (pour une revue des études scientifiques voir mon ouvrage La Société du paraître).

Par ailleurs, il existe de forts liens entre la beauté ou «l’attractivité physique» d’un homme politique et la perception par les autres de sa compétence. Or, comme c’était le cas pour les affiches, les photos les plus vues sur internet des deux candidats sont bien différentes. L’examen des 20 premières photos des candidats sur Google image nous apprend qu’Alain Juppé a un sourire franc dans moins d'un tiers des occurences. Pour François Fillon, les visages sont souriants dans trois quart des cas.

Capture Google

capture google

Lors des débats télévisés, François Fillon arbore également plus fréquemment un sourire.  L’audience des débats a été telle qu’ils ont eu un effet sur la perception de candidats entre lesquels les électeurs hésitaient. 79% des français ont «vu ou écouté au moins un» des trois débats qui précédaient le premier tour et 39% ont suivi les trois débats. La remontée dans les sondages de Fillon a suivi ces débats et ce sont les électeurs de François Fillon qui déclarent le plus s’être décidés en regardant les émissions de télévision où le candidat intervenait.

L’évolution de la stratégie de communication d’Alain Juppé avec la forte implication dans les derniers jours d’Isabelle Juppé suffira-t-elle à modifier la donne?

La salive de trop

Des chercheurs du MIT (American Journal of Political Science, 2011) ont montré que l’apparence des candidats pèse plus sur le vote des électeurs mal informés et qui regardent beaucoup la télévision que sur les autres électeurs. Le déroulement du dernier débat aura-t-il permis aux électeurs de mieux connaître les idées des candidats ou a-t-il simplement renforcé les jugements en fonction de l’apparence des candidats? Le dernier débat de la primaire du 24 novembre ne semble pas avoir été à l’avantage d’Alain Juppé si l’on croit les sondages. Un détail a notamment suscité beaucoup de commentaires sur les réseaux sociaux, son hypersalivation.

Dans la soirée du 24 novembre, si l’on en croit Google trends, l’intérêt pour la salive d’Alain Juppé provoque un vif intérêt pour lui alors que depuis la soirée du premier tour Fillon suscitait à l’inverse nettement plus de clic sur internet. Cette hypersalivation était-elle liée à des prothèses dentaires récentes ou mal adaptées, à la prise de médicaments, au stress? Quoi qu’il en soit, les internautes ne peuvent s’empêcher d’y voir un stigmate du vieillissement.

L’évolution de la stratégie de communication d’Alain Juppé avec la forte implication dans les derniers jours d’Isabelle Juppé suffira-t-elle à modifier la donne? Il est sans doute bien tard pour engager cette opération. Tout l’enjeu du deuxième tour est donc de savoir si la mise en avant des programmes, auxquels les électeurs ont fini par s’intéresser, permettra d’inverser le résultat d’un premier tour pour lequel l’image des candidats a tant compté. Les idées pèsent-elles assez pour que les élections ne soient pas un simple concours de beauté dans lequel le plus jeune, le plus sportif, le plus souriant, le plus bronzé et le plus chevelu a une longueur d’avance?

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