France

François Fillon, candidat «à la tête d'un État en faillite»

La célèbre phrase prononcée il y a une décennie par celui qui est désormais le champion de la droite pour la présidentielle 2017 en dit beaucoup sur son programme –et sur ses ambitions.

François Fillon en Corse, le 21 septembre 2007 | STEPHAN AGOSTINI / AFP
François Fillon en Corse, le 21 septembre 2007 | STEPHAN AGOSTINI / AFP

Temps de lecture: 4 minutes

S'il est élu président de la République le 7 mai prochain, François Fillon lâchera-t-il qu'il est à la tête d'un État «en situation de faillite»? Prononcée il y a près d'une décennie, le 21 septembre 2007, l'expression a fait beaucoup pour la réputation austère de celui qui vient d'être adoubé candidat de la droite et du centre pour la présidentielle.

En déplacement en Corse ce jour-là, dans une exploitation viticole de Calvi, le Premier ministre lâche, devant un verre de rosé, ces mots fatidiques à des agriculteurs qui l'interrogent sur leurs subventions. Deux phrases qui vont faire bondir les journalistes présents:

«Je suis à la tête d'un État qui est en situation de faillite sur le plan financier, je suis à la tête d'un État qui est depuis quinze ans en déficit chronique, je suis à la tête d'un État qui n'a jamais voté un budget en équilibre depuis vingt-cinq ans. Ça ne peut pas durer.»

Dans son ouvrage Anti-secrets, son conseiller Jean de Boishue se souvient de ce déplacement à Calvi comme d'un «monument»:

«Journalistes, notables, élus, agriculteurs, syndicalistes présents, déjà pas mal nourris au petit rosé, n'en croyaient ni leurs oreilles, ni leurs notes. Tous se demandaient quelle mouche avait piqué le toujours prudent François Fillon. Sur le coup, lui aussi. Inquiet, il se pencha vers moi: “J'ai un peu poussé, non?” Je bredouillai. J'entendais déjà distinctement dans la poche de son veston les sonneries rageuses d'un appel du président.»

Recadré par Nicolas Sarkozy, Fillon tempère ses propos l'après-midi même, depuis la mairie d'Ajaccio: «Parfois, il faut utiliser des images. C'est ce que j'ai fait devant des agriculteurs qui demandaient toujours plus, toujours plus à l'État. Il faut que tous les Français prennent conscience qu'il est temps de mettre un terme à des solutions de facilité.» Mais quelques jours plus tard, il récidive, empruntant cette fois au vocabulaire médical en expliquant que l'État est dans une situation «critique»: «On a 1.150 milliards de déficit à la fin de 2006. C'est une situation qui n'est plus supportable.»

«Fillon avait enfin bougé»

«Fillon avait enfin bougé», conclut Jean de Boishue, selon qui cette sortie contribuera à l'image de «sérieux» du Premier ministre vis-à-vis de l'Élysée, alors que le pouvoir multiplie les cadeaux fiscaux, notamment avec la loi travail, emploi et pouvoir d'achat (Tepa). Un sérieux en l'occurrence quasiment inconscient, comme l'écrivait alors Le Monde: «Il a un pas lent, une voix calme, un air abattu, mais, à l'intérieur, il bout. Et, parfois, ses mots le trahissent». Dans son récent livre-programme Faire, Fillon explique d'ailleurs à demi-mot que ces mots sont quasiment sortis tout seuls, une fois que l'accumulation de doléances des représentants des professions agricoles a fini par exaspérer un chef du gouvernement déjà sous tension.

C'est l'époque où les conseillers de Nicolas Sarkozy, notamment Claude Guéant, Henri Guaino ou David Martinon, sont omniprésents dans la presse, dans un modèle de présidence à l'américaine, ce pays sans Premier ministre. Un an plus tôt, dans son livre La France peut supporter la vérité, Fillon avait justement proposé la suppression de la fonction de chef du gouvernement, sur le modèle des États-Unis. Sarkozy le prend au mot, expliquant en août 2007 à la presse régionale que «le Premier ministre est un collaborateur, le patron, c'est moi» –un remake humiliant du «Je décide, il exécute» que Jacques Chirac lui avait infligé trois ans plus tôt.

Dans Paris-Match, l'occupant de Matignon réplique alors en estimant qu'un collaborateur «est quelqu'un d'appointé par un patron, tandis qu'un homme politique a une légitimité que lui confère le suffrage universel», et ajoute qu'«il arrive à chacun de commettre des imprécisions de vocabulaire». La veille de sa sortie corse, Nicolas Sarkozy a arrondi les angles en assurant que les deux hommes sont en fait «interchangeables», mais l'épisode de la «faillite» va encore accroître les tensions entre les deux hommes.

Quelques jours plus tard, lors d'une réunion à l'Élysée, Sarkozy lâche, selon le témoignage du secrétaire général adjoint de l'UMP Dominique Paillé: «Cette dyarchie à la tête de l'État est insupportable et ingérable.» Réplique de l'intéressé: «Tu sais que tu as ma lettre de démission signée dans ton bureau.» Selon le journaliste Hubert Coudurier, le chef du gouvernement manque alors démissionner après un article du Monde expliquant que face à Nicolas Sarkozy, il incarne «la ligne dure de la majorité».

«Quasi-putschiste»

La phrase est passée; la situation budgétaire est restée. À l'époque, la métaphore de Fillon avait été très critiquée, jugée plus appropriée à un ménage ou une entreprise qu'à un État. Dans un livre d'entretiens avec Michel Rocard, son concurrent malheureux à la primaire Alain Juppé avait ainsi jugé, en 2011, l'emploi du mot «faillite» «excessif». Et aussi non suivi d'effets: crise aidant, la dette publique a augmenté de 64% à près de 90% du PIB sous le quinquennat dont François Fillon a été Premier ministre de bout en bout (elle se situe aujourd'hui à un peu plus de 96%). «Lorsque j'ai quitté le ministère du Budget, nous respections les critères de Maastricht en 2007; en revanche, en 2012, quand il part de ses fonctions, là l'État est en faillite», assénait d'ailleurs Jean-François Copé durant la campagne de la primaire.

Et si le constat budgétaire est resté, l'ambition –celle d'être «à la tête de l'État»– aussi. Dans son livre Le Consulat Sarkozy, le constitutionnaliste Dominique Rousseau a parlé d'une formule «quasi-putschiste, [...] comme si d'un coup, François Fillon se pensait en président de la République». Et ce alors que, jusque là, il semblait s'être mis au service de Nicolas Sarkozy depuis son éviction du gouvernement en 2005. Dans son ouvrage Nicolas Sarkozy, chronique d'un retour impossible?, le politologue Thomas Guénolé a rapproché ce «pacte» Fillon-Sarkozy à l'accord du Granita passé entre Tony Blair et Gordon Brown: un compromis scellé dans un restaurant londonien, en mai 1994, par les deux dirigeants britanniques après la mort du leader du Labour John Smith, par lequel Brown s'engageait à soutenir Blair en échange de la promesse de ce dernier de lui passer le relais après un certain temps. Il faudra finalement dix ans pour que Blair cède le pouvoir à Brown, après que les relations entre les deux hommes se soient spectaculairement dégradées.

Cela a aussi été le cas des relations entre Sarkozy et Fillon, mais cette fois-ci, le passage de relais s'est fait de manière formelle, à l'issue d'une primaire où le «collaborateur» a recueilli plus du double de suffrages de son ancien patron. Le tout après une campagne où François Fillon affirmait seulement que la France était «menacée de faillite» ou «dans une situation de quasi-faillite». Il faut dire que, désormais, il a une élection à gagner.

cover
-
/
cover

Liste de lecture