France

Et si Rama Yade passait à gauche?

Et si le PS adoptait la méthode Sarkozy.

Temps de lecture: 3 minutes

Son indocilité et une conception particulièrement libérale de la solidarité gouvernementale devraient valoir à Rama Yade d'être prochainement remerciée.

Parce qu'elle est, pour le moins, en délicatesse avec le président de la République, le Premier ministre et sa ministre de tutelle, parce que sa popularité demeure insolente et peut-être aussi, mais c'est sans doute accessoire, parce qu'on lui prête, sur certains sujets, « une sensibilité de gauche », la Secrétaire d'Etat aux Sports s'est brièvement vue proposer, par Michèle Sebban, vice-présidente socialiste de la région Ile-de-France, «le droit d'asile», c'est-à-dire concrètement de prendre la tête de la liste PS dans les Hauts-de-Seine pour les élections régionales de mars prochain.

La porte-parole de Jean-Paul Huchon, celui du Parti socialiste, puis Michèle Sabban elle-même, après avoir affirmé que sa proposition était tout ce qu'il y a de sérieux, ont fait savoir qu'il s'agissait d' « une plaisanterie ». Peut-être. Une simple plaisanterie — du meilleur goût... — ou peut-être une tentative de prendre le président de la République à son propre jeu: si Rama Yade avait fait savoir ou laissé entendre que la proposition ne lui paraissait pas aberrante ou scandaleuse, si elle avait contacté Michèle Sabban, comme cette dernière l'invitait à le faire, les socialistes auraient pu montrer à Nicolas Sarkozy qu'il n'avait pas le monopole de l' «ouverture» et du débauchage de personnalités populaires et/ou prometteuses. Quitte bien sûr ensuite à affirmer qu'il s'agissait d'une plaisanterie, que Rama Yade n'a jamais été la bienvenue parmi eux, qu'en somme les socialistes, eux, ne mangent pas de ce pain-là. C'est, du reste, un peu ce que semble indiquer Benoît Hamon en affirmant: «L'ouverture au PS se conçoit sur des bases politiques, nous n'allons pas à la pêche aux personnalités».

Il se serait ainsi peut-être agi de donner une leçon au président de la République. Lui montrer d'abord comme il est facile d'imiter ses méthodes, puis lui faire voir un peu ce qu'est l'éthique politique des socialistes comparée à la sienne. De fait, Yade avait le profil idéal de la personnalité d'ouverture: tricarde dans son camp, frustrée dans ses aspirations, médiocrement soucieuse de discipline partisane et peu doctrinaire.

Plaisanterie ou coup d'épée dans l'eau? Peu importe. L'essentiel ici est peut-être que, sérieusement ou non, l'idée de pratiquer l' «ouverture» ait traversé les socialistes, ou du moins certains d'entre eux. On peut penser que cette idée, ce «poisson d'avril en novembre» pour reprendre l'expression de la décidément facétieuse vice-présidente de la région Ile-de-France, sera sans lendemain ni conséquences. On peut tout à fait imaginer que les socialistes, de retour au pouvoir en 2012 ou 2017, mettront un point d'honneur à ne gouverner qu'avec des personnalités issues de leurs rangs et de ceux de la future majorité parlementaire.

Mais on peut également faire un autre pari. Il se peut que cet épisode, en lui-même de peu d'importance, soit l'une des premières manifestations d'un changement durable des pratiques, voire des mentalités politiques. Et que la gauche, revenant aux «affaires», souhaitera gouverner avec quelques libéraux peu dogmatiques ou quelques conservateurs modérés. Que l'idée, en somme, qu'il est plus conforme aux intérêts du pays de travailler avec les meilleurs d'en face qu'avec les tocards d'ici, apparaîtra, au fil du temps, moins saugrenue qu'aujourd'hui.

Proust estimait que «ce qui rapproche, ça n'est pas la communauté d'opinion, c'est la consanguinité des esprits». Peut-être cela vaut-il également en politique, où ce qui rapproche réside in fine moins dans l'appartenance à un même parti ou la fidélité à une idéologie que dans le sens de l'Etat et de l'intérêt général.

Si tel est le cas, et si la pratique de l' «ouverture» s'installe durablement, s'acclimate dans notre vie politique, on ne pourra plus la considérer simplement comme un «coup» politique, ou médiatique, une manœuvre tactique visant à affaiblir le camp adverse, même si cette dimension demeurera évidemment longtemps essentielle. Peut-être que l' «ouverture», si elle se pérennise, traduira un changement d'époque, une maturité plus grande de notre vie démocratique, un recul du respect religieux des clivages partisans, un amoindrissement du pouvoir structurant des partis politiques et une désacralisation des affrontements idéologiques et des oppositions frontales, grandiloquentes, théâtralisées. Sans verser dans le rêve — récurrent dans notre histoire politique — d'une société unanime, débarrassée du «système des partis», peut-être que s'imposera l'idée, bien banale somme toute, que des gens raisonnables et modérés, de cultures politiques et de sensibilités différentes mais en accord sur l'essentiel, peuvent gouverner ensemble. Et peut-être que la curieuse plaisanterie faite à Rama Yade est un signe avant-coureur de cette évolution.

Baptiste Marsollat

Image de Une : Rama Yade, photo Reuters/Régis Duvignau

cover
-
/
cover

Liste de lecture