Médias / Parents & enfants

J'ai été confrontée à l'angoisse des collégiens après les attentats

Les attentats du 13-Novembre, à Charlie Hebdo, à Nice ont obligé les parents à expliquer le terrorisme aux enfants. Un passage dans un collège parisien montre que les élèves ont toujours besoin de comprendre ce qu'il se passe dans leur pays.

Collège Gérard Phillippe, Paris XVIIIe | Louise Tourret
Collège Gérard Phillippe, Paris XVIIIe | Louise Tourret

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Vous avez des enfants autour de vous? Ils ont peur depuis les attentats, peur du terrorisme? J’ai passé une grande partie de l’été, après l'attentat du 14 juillet à Nice, à expliquer à mon fils qu’on pouvait prendre le train, marcher dans la rue, aller à une fête foraine… En fait, j’avais peur. Et il a fallu en parler beaucoup pour essayer de faire baisser la tension. Au mois d’août, on apprenait que des exercices pour se préparer à d'éventuels attentats allaient être organisés dans les écoles. Et qu'il allait falloir devoir aborder encore ce sujet sensible dans les classes. Les enseignants avaient déjà dû y consacrer du temps après les attentats de janvier et novembre 2015.

J’avais pu constater, à travers de multiples entretiens et interviews, à quel point les élèves avaient besoin de parler de ce sujet. Nous sommes des millions dans ce cas. Parler des attentats, c’est aussi évoquer la façon dont on en parle, dont on parle des terroristes, de leurs motivations, ainsi que des raccourcis éventuels faits avec la religion. C’est questionner la manière dont nous nous informons, essayer de surmonter ses propres émotions. Vous trouvez que cela fait beaucoup pour un enfant de 7, 11 ou un ado de 13 ans? Pourtant, il semble que c’est exactement ce dont ils ont besoin. Juste de parler.

Mais, à la vérité, je ne pensais pas du tout à cela en me rendant à un atelier découverte média du collège Gérard Philippe, Paris XVIIIe  pendant les vacances de la Toussaint. Un atelier pour parler de mon métier dans un collège. Je connais déjà bien ce coin du nord de Paris, après Marcadet Poissonniers, près des voix de chemin de fer qui partent de la Gare du nord. Je viens à l’invitation de Laura Mougel, professeur d’Histoire-Géographie en charge de cet atelier. Nous devions discuter de mon travail. Nous avons parlé de l’islam, du regard des médias sur la religion, du terrorisme, du complotisme. La discussion était à la fois très angoissante –du fait des questions abordées– et rassurante, parce que je pouvais sentir à quel point ils avaient envie et besoin d’échanger sur ces questions. Je l’entends, la défiance envers les médias est bien présente, forte et elle appelle des réponses.

Laura Mougel: «Un petit groupe d'élèves de 6, 5 et 4e me suit depuis l'année dernière dans divers ateliers “découverte des médias”. Dans cet atelier, le temps importe moins et les élèves se risquent à toutes les interrogations: dernièrement sur la laïcité dans nos écoles, la liberté de culte, le mariage pour tous, l'homosexualité, les questions de genre, le terrorisme... Et on se surprend en tant que prof à découvrir une nouvelle facette de certains enfants. Tous les élèves se posent des questions, c'est même la base de l'apprentissage et de tout cheminement intellectuel. Mais ils restent des enfants, avec leur naïveté (comme croire des infos invraisemblables), mais avec aussi parfois une perspicacité qu'on ne soupçonnerait pas. Et également une angoisse très présente sur certains sujets qui m'interpelle beaucoup, sur l'extrême droite, le racisme, les terroristes, la guerre, la méfiance envers les médias traditionnels...

Dans la salle de classe, il y avait:

  • Jade, 6e, souhaite devenir architecte dans l’éco construction
  • Alexandre, 6e
  • David, 6e, se verrait bien médecin
  • Proponi, 4e, veut devenir basketteur ou footballeur ou architecte
  • Bradley et Mohammed, 4e, n’ont pas d’idée précise
  • Minyana, 4e, voudrait de venir journaliste
  • Melina, 4e, envisage de devenir conseillère d’éducation (CPE)
  • Dounia, 6e 

Voilà les questions qui sont revenues le plus souvent:

«Qui choisit les sujets dont vous parlez? Êtes-vous contrôlée dans votre travail? Y’a-t-il des questions dont on ne doit pas parler ou seulement d’une certaine manière? Est-ce que vous avez le droit de tout dire? Qui choisit vos invités?»

Et puis, comme nous ne sommes pas en classe, que j'ai du temps et eux aussi, le dialogue s’installe plus naturellement; la conversation se poursuit, à bâtons rompus. Et c’est toute l’angoisse des collégiens qui me saute à la figure:

«Que pensez-vous des personnalités politiques et surtout de Marine Le Pen? De Nicolas Sarkozy? Que pensez-vous de la guerre en Syrie? Pourquoi les médias véhiculent-ils des clichés sur les musulmans? Pourquoi confondons-nous terroristes et musulmans? Que pensez-vous des attentats?»

Et je peux vous dire que j’ai sorti mes rames. Voilà ce que j'ai entendu dans la bouche d'ados.

Mohammed: «Quand les médias parlent des terroristes, ils disent que ce sont des personnes dangereuses et sans cœur mais les médias associent souvent le terrorisme à l’Islam et c’est une grande erreur. Quand les médias parlent de l'islam, c’est en relation avec le terrorisme, les médias pensent que le terrorisme est la plus grande partie de l’islam. Je n’ai pas confiance en tous les médias. Ils ne disent pas tous la même chose, donc on se sait pas souvent qui croire.» 

Mélina: «Les médias ne peuvent pas tout savoir car ils ne sont pas présents partout. Ils parlent de l’islam avec des préjugés et considèrent tous les musulmans comme des terroristes. Ils mettent tout le monde dans le même sac.»

C’est, en écho, une répercussion du traitement médiatique des attentats et de la question terroriste qui a beaucoup, beaucoup interpellé les élèves. Des élèves effrayés et démunis devant des attaques dont ils se perçoivent comme des cibles potentielles.

Mélina, David et tout le groupe: «Ce sont les attentats de Nice qui nous ont le plus choqués parce que des enfant sont morts. On se souvient de l’image  d’une poupée abandonnée par terre. Des images filmées par les gens avec leur téléphone. On s’est beaucoup plus identifié, tout le monde peut être touché, cela arrive du jour au lendemain, le soir où on ne s’y attend pas.»

Les souvenirs ressurgissent parisiens alors… Le 13-Novembre, si proche pour ces petits Parisiens… Tout le monde parle en même temps: le soir de la finale de «Secret story 9», le match de foot à la télévision, le bandeau sur l’écran, le flash info, les coups de fils, les parents, la peur ce jour là et la peur aujourd’hui encore.

Proponi: «Ma sœur est venue me parler dans mon lit, j’avais tellement peur.» 

Proponi et Minyana: «Maintenant les sorties sont supprimées, c’est triste. Il y a plus de policiers visibles, des militaires dans la rue, surtout vers chez Minyana qui habite à coté d’une synagogue. On entend plus souvent les sirènes de la police et des pompiers, c’est comme une nouvelle musique de fond dans la ville. Les gens font davantage attention dans le métro. Du coup, on observe si les gens n’ont pas comportements louches, comme un monsieur l’autre jour à la bibliothèque. Les vigiles vérifient les sacs dans les magasins mais ça ne sert à rien, on peut cacher des armes sous ses affaires.» 

Enfin, Laura Mougel et moi avons interrogé les élèves à propos des valeurs de la République, telles qu’elles sont transmises à l’école. À la fois dans le cadre de l’enseignement moral et civique et parce que, depuis les attentats de janvier 2015, une mobilisation de l’école pour les valeurs de la République a lieu. Elle avait été lancée par la ministre de l’Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem après les attentats à Charlie Hebdo et à l’Hyper Cacher. Les élèves ont répondu sur la vie à l’école en général d’une manière un peu décalée mais, au fond, très intéressante.

Minyana: « Je ne pense pas que ces valeurs sont suffisamment enseignées à l’école car il y a énormément d’injustice. Lorsqu'il y a énormément de bruit dans la classe par exemple et que le professeur prend le carnet de la personne qui parle le moins parce qu’il est plus vulnérable. Trop d’élèves aussi se moquent ou rigolent des autres. Il y a du harcèlement à l’école, et c’est grave.»

Mohammed: «Certaines valeurs comme celle de la liberté ou celle de la laïcité sont mal transmises… Liberté: être libre de donner son opinion. On n’a pas toujours l’occasion de s’exprimer sauf dans les ateliers. Je pense qu’une valeur comme la fraternité n’est pas assez transmise à l’école. Je trouve que, mis à part les travaux en binôme ou trio, il n’y a pas beaucoup d’aide entre nous. Chacun pense à lui. La fraternité ça marcherait mieux si on restait dans la même classe que nos amis et si on s’entraidait plus.»

«La fraternité marcherait mieux si on s'entraîdait plus» est à mon sens la meilleure des conclusion possible à cette discussion. À la fois car cela paraît infiniment vrai et aussi parce que c'est une manière de penser l'école comme une institution très centrale pour les valeurs (et ça c'est très très français). Et ça peut aider bien des enfants en cette année encore marquée par les attentats. Ce qu'explique Mohammed, c'est que nos valeurs, il faut les expérimenter, les performer, les connaître comme des réalités et que ça serait bien que ça commence à l'école. Moi, ça m'a collé les larmes aux yeux.

Louise Tourret remercie Laura Mougel et les élèves du collège Gérard Philippe (Paris XVIIIe)

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