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Trump promet une restauration de l'autorité des blancs

Trump a forgé la politique du communautarisme blanc, et les blancs se la sont appropriée.

Manifestations d'activistes de Black Lives Matter le septembre 2016, en Caroline du ,ord, après le meurtre de Keith Scott par la police,  | Brian Blanco/Getty Images/AFP
Manifestations d'activistes de Black Lives Matter le septembre 2016, en Caroline du ,ord, après le meurtre de Keith Scott par la police, | Brian Blanco/Getty Images/AFP

Temps de lecture: 6 minutes

Vers 11h30 mardi soir, j’ai quitté les studios de CBS à New York et j’ai marché en téléphonant à ma femme. Nous avons parlé de l’élection. Nous avons parlé de Donald Trump président. Nous avons parlé, juste pour parler, mais nous n’avons pas parlé longtemps. Nous devions travailler. Je devais écrire et elle devait réfléchir à ce qu’elle dirait à ses étudiants, parmi lesquelles beaucoup d’Hispano-américains, et parmi ceux-ci beaucoup d’enfants d’immigrés.

En rentrant, j’ai surpris une conversation entre deux policiers. Ils étaient en dehors du bâtiment, en service. Ils étaient noirs. Et ils avaient besoin de parler encore et encore. Je me suis approché et j’ai rejoint leur conversation. Aucun d’eux ne m’a interrogé ou chassé. A la place, ils m’ont invité à partager leur peine.

L'ère de l'impunité

«J’y crois pas, je peux pas le croire», a dit un des agents, le plus jeune des deux. L’autre s’est contenté de remuer la tête. J’ai demandé au plus jeune ce qu’il pensait de tout ça, du président Donald Trump. «C’est sérieux, mon gars, c’est sérieux. Qui dois-je protéger maintenant?» Il a regardé son propre uniforme. «Pourquoi est-ce que je porte cet uniforme?» Il n’a pas eu besoin d’expliquer.

Le Donald Trump qui a gagné l’élection présidentielle ce mardi est le même Donald Trump qui a demandé l’exécution de cinq jeunes garçons accusés d’un crime qu’ils n’avaient en fait pas commis. C’est le Trump qui s’est présenté comme le candidat de la loi et de l’ordre. L’âge de Trump sera une ère où la police pourra agir en toute impunité. En tant qu’agent de police de couleur, il savait sans doute mieux que quiconque que ce sont les gens qui nous ressemblent, les basanés, les noirs, qui devront faire face à la force brute de cette impunité.

Les commentateurs et observateurs attribueront la victoire de Trump au «populisme», à son message «anti-élites». C’est un non-sens. Trump s’est présenté comme un combattant nationaliste en faveur de l’Amérique blanche. Il a promis de chasser les immigrants hispaniques. Il a promis de chasser les musulmans des Etats-Unis. Il a refusé de reconnaître la légitimité de Barack Obama, le présentant jusqu’à aujourd’hui comme une sorte d’usurpateur de l’autorité légitime. Lorsqu’il a dû faire face aux relents fétides de la réaction blanche, des suprématistes blancs aux antisémites et nationalistes, il a cligné de l’œil et ils l’ont acclamé en retour. Ils avaient en effet de bonnes raisons de le faire.

Plus que toute autre chose, Trump promet une restauration de l’autorité des blancs

Plus que toute autre chose, Trump promet une restauration de l’autorité des blancs. Après huit ans de présidence d’un noir, huit années durant lesquelles l’Amérique cosmopolite a exercé son pouvoir et son influence, huit années durant lesquelles les femmes se sont affirmées et durant lesquelles les noirs ont déclaré que leurs vies ne comptaient pas pour rien, des millions d’Américains blancs ont dit qu’ils en avaient assez. Ils en avaient assez de ce monde et voulaient retrouver celui d’avant. Et bien qu’il soit tentant de voir cela uniquement comme une partie d’un anti-élitisme aveugle, cela n’explique pas la relative unité des électeurs blancs lors de ce vote. Trump n’a pas seulement attiré les blancs des classes laborieuses mais également les riches et ceux qui avaient fait des études supérieures. Il l’a même emporté chez les jeunes blancs. Dix-sept mois après l’annonce de sa candidature, des millions d’Américains blancs se sont pressés aux urnes pour mettre Trump à la Maison-Blanche. Ils l’ont fait en tant qu’Herrenvolk blanc, peuple dominateur racialisé et radicalisé par Trump.

La politique du communautarisme blanc

Il y a alors un argument facile: comment cela pourrait-il être une question de race alors que Trump a convaincu aussi des électeurs qui avaient voté Obama ? Il y a une réponse facile: John McCain a été complaisant avec des craintes raciales et Mitt Romney a joué sur le ressentiment raciste mais tous deux ont refusé d’aller plus loin. Pour citer George Wallace, ils ont refusé de crier au «nègre». C’est important. En rejetant la politique du racisme explicite et de la réaction blanche, ils ont fait du champ de bataille politique un lieu de préoccupations officiellement aveugles aux questions raciales.

La question raciale était toujours partie intégrante des conflits, c’est inévitable, mais ni les libéraux ni les conservateurs ne s’en prenaient à l’idée d’une démocratie plurielle et multiraciale. Je pensais alors que cela signifiait que nous avions un consensus. Il semble en réalité que nous n’avions qu’une accalmie, et que Trump l’a faite voler en éclats. Par ses jérémiades contre les Hispano-américains et les musulmans, par ses visions de villes contre-utopiques et de réfugiés radicalisés, Trump a dit aux Américains que leurs peurs et leur colère étaient justifiées, que cette peur et et cette colère devaient être le fil conducteur de la politique. Trump a forgé la politique du communautarisme blanc, et les blancs se la sont appropriée.

Nous sommes toujours le pays qui a produit George Wallace, l'avocat de la ségrégation. Nous sommes toujours le pays qui a tué Emmett Till, l'adolescent noir de 14 ans, lynché pour avoir flirté avec une blanche.

L'incurable racisme américain

Voilà ce que nous devons comprendre: c’est déjà arrivé par le passé. Pendant 10 ans, après la guerre d’indépendance (de 1775 à 1783), une coalition d’anciens esclaves et de fermiers blancs a tenté de forger la démocratie dans l’ancienne confédération. Avec l’aide du gouvernement fédéral, ils sont parvenus à de réelles victoires et ont obtenu des gains importants. Mais leur succès a nourri une réaction violente de la part de sudistes blancs en colère, furieux de devoir partager le pouvoir avec les noirs et leurs alliés du nord, prêts à assassiner, piqués par la seule notion d’égalité sociale. Ces blancs menèrent une guerre contre les gouvernements de la reconstruction, et lorsqu’ils l’emportèrent, ils déclarèrent le sud sauvé.

Quelques décennies plus tard, un autre groupe de noirs et de blancs, en Caroline du Nord cette fois-ci, s’unirent pour affronter les réactionnaires et établir la démocratie. Pendant une brève période, ils réussirent. Travaillant ensemble en tant que «fusionistes», ils construisirent des écoles, améliorèrent la situation, établirent un gouvernement véritablement représentatif dans le sud. La réaction ne se fit pas attendre. Certains blancs abandonnèrent la suprématie blanche. Mais pas la plupart d’entre eux. Utilisant la violence et le terrorisme, ils affrontèrent les fusionistes et établirent un régime de domination blanche qui dura jusqu’au XXème siècle, pour n’être démantelé que lors de notre seconde reconstruction, le mouvement des droits civiques.

Lorsqu’un homme noir a remporté l’élection présidentielle, le sommet symbolique du pouvoir et des prérogatives des blancs aux Etats-Unis, nous avons fêté cela en tant que Nation. C’était prématuré

Dès que la reconstruction prit fin, il y eut une réaction. Elle n’était pas aussi forte que les précédentes. Elle amena au pouvoir des leaders qui reconnaissaient les problèmes de racisme et de discrimination raciale tout en jouant sur les peurs et les anxiétés des blancs. Après des années de lutte, nous étions arrivés à un accord: nous croyions à l’égalité. Et lorsqu’un homme noir a remporté l’élection présidentielle, le sommet symbolique du pouvoir et des prérogatives des blancs aux Etats-Unis, nous avons fêté cela en tant que Nation.

Cinquante ans après que le mouvement de libération des noirs a forcé les Etats-Unis à se montrer digne de ses idéaux, du moins sur le papier, il semble bien que c’était prématuré. Presque mécaniquement, les Américains blancs ont élu un homme qui promettait une forme de suprématie blanche. Nous ne sommes pas arrivés au terme de notre cycle de progrès et de réaction. Nous sommes toujours le pays qui a tué George Wallace. Nous sommes toujours le pays qui a tué Emmett Till.

Les Américains sont obstinément, congénitalement optimistes. Et les millions de personnes qui ont soutenu Trump voient quelque chose dans son visage. Ils y voient quelque chose qui leur donne de l’espoir. Ce que j’y vois, c’est un homme qui a donné du pouvoir aux nationalistes blancs et l’a emporté. Je vois un homme qui a demandé l’expulsion des immigrés non-blancs et l’a emporté. Je vois un homme qui a promis de commettre des crimes de guerre contre des ennemis étrangers et l’a emporté. Je vois un homme qui donne du crédit à Rudy Giuliani et à d’autres qui considèrent les noirs comme des criminels potentiels à contrôler plutôt que comme des citoyens à respecter.

Après la «rédemption» du sud, les Américains noirs ou non-blancs partout dans le pays avaient touché le fond. Les blancs avaient imposé de nouvelles formes de discrimination et refusé de voir les pogroms et le terrorisme raciste qui laissaient des cicatrices dans le paysage américain. Dans quelques heures, des millions d’Américains se réveilleront et ce sera l’âge de Trump. Moi et des millions d’autres qui me ressemblent ouvriront les yeux et se trouveront face à une nouvelle «rédemption». Tout ce que nous pouvons espérer (nous ne pouvons plus que prier), c’est de ne pas à nouveau toucher le fond.  

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