France

Le soir où Nicolas Sarkozy est devenu un punching ball

Les adversaires de l'ancien chef de l'Etat se sont sentis pousser des ailes hier soir. En perte de vitesse dans les sondages, Nicolas Sarkozy a passé son temps à se justifier face à ceux qu'il a fait ministres.

Nicolas Sarkozy, le 3 novembre 2016 | ERIC FEFERBERG / POOL / AFP
Nicolas Sarkozy, le 3 novembre 2016 | ERIC FEFERBERG / POOL / AFP

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Le premier débat sur TF1 avait laissé un goût amer, comme si tous ces prétendants de la droite (et du centre?) n'étaient rien d'autre que des experts-comptables, passant leur temps à disserter sur la dépense publique et le nombre toujours trop élevé selon eux de fonctionnaires. Hier soir, les deux journalistes d'Itélé et BFM, Laurence Ferrari et Ruth Elkrief, ne se sont pas cachées: elles voulaient du clash. Du buzz. Et du sang sur les murs. Elles l'ont eu. Notamment en assouplissant les règles des prises de parole pour permettre plus «d'interactivité» tout en évitant, disaient-elles, «le pugilat».

Le pugilat a bien eu lieu. La salle Wagram n'a pas seulement accueilli jadis des concerts et des meetings politiques: c'est aussi une sorte de «Madison Square Garden» à la française, où se sont déroulés des matchs de boxe mythiques. Georges Carpentier et Young Perez sont passés par là. Pas de visages thuméfiés hier, mais c'était tout comme. Car depuis des semaines, les sondages en berne de Nicolas Sarkozy ont ouvert un boulevard à Alain Juppé, qui s'y voit déjà. Le livre assassin de Patrick Buisson a ébréché encore un peu plus l'image de l'ancien chef de l'Etat. Et les affaires judiciaires qui s'amoncellent au-dessus de sa tête minent le moral de ses équipes, dont certains ne sont plus aussi optimistes qu'autrefois. De quoi transformer Nicolas Sarkozy en punching-ball pour des concurrents qui cognent sans s'arrêter, parce qu'ils savent que l'ancien président a tout à perdre, depuis le départ, de cette élection primaire. S'il adopte une posture de majesté et ne répond pas, on l'accuse de faire diversion. S'il cogne à son tour, on jure qu'il hystérise les débats et veut parler au noyau dur de l'électorat de droite, qui attend fermeté, autorité et sécurité.

Mesquineries

Hier, salle Wagram, Alain Juppé et François Fillon, eux, sont parvenus à rester au-dessus de la mêlée. Le premier en refusant de disserter des heures sur le cas Bayrou, le second en expliquant que la dette, le chômage et la place de la France ne méritaient pas qu'on discute ainsi du sort du «maire de Pau», comme l'appelle l'ancien premier ministre de façon très condescendante. Les deux hommes sont parvenus à échapper à la bagarre, un exploit, quand on sait à quel point ils portent certainement, tous les deux, le bilan le plus conséquent à droite.

Je ne me présente pas contre Nicolas Sarkozy mais contre le Président sortant et le Front national

Alain Juppé

L'un fut aux manettes en 1995, puis aux affaires comme ministre des Affaires étrangères lorsque Nicolas Sarkozy décida d'intervenir en Libye. «Je ne me présente pas contre Nicolas Sarkozy mais contre le Président sortant et le Front national. Je veux redonner de la dignité à la fonction et régénérer la démocratie participative», détaille Juppé. L'autre fut le «collaborateur» de Nicolas Sarkozy pendant cinq ans. De quoi avoir quelques regrets, comme il l'explique souvent.

Encore une fois, le dispositif même du débat a fait du mal à la posture gaullienne d'ancien président de la République qu'est Nicolas Sarkozy. Debout au milieu de ceux qu'il a fait ministres ou présidents de groupe, il a encaissé les coups. Moins feutrés que la dernière fois. Et adressés directement à lui. Un jeu d'invectives et d'interpellations alimenté par les deux journalistes, lorsqu'elles prennent à malin plaisir à demander aux candidats pourquoi ils se présentent... contre Nicolas Sarkozy! Une façon de le mettre au centre du jeu. Une façon, aussi, de le découvrir et de le cibler.

Les uppercuts de NKM

Alors Nathalie Kosciusko-Morizet s'est glissée dans la brèche. En retrait lors du premier débat, on ne s'attendait pas à ce qu'elle porte les coups les plus violents. Elle paraissait coincée, guindée, renfermée dans cette posture de candidate «moderne» face à ces fauves qui ne lui font pas peur. Elle a lâché, furieuse: «Cela fait quelques temps maintenant que nos lignes politiques ont divergé», en direction de Sarkozy, dont elle fut la porte-parole contestée en 2012.

S'opposant à lui sur la ligne «Buisson» (elle accusa le conseiller d'avoir voulu «faire gagner Charles Maurras») mais aussi sur l'emploi, l'environnement et la parité, elle voulait enfin régler ses comptes en public. Réponse de Sarkozy:

«– Je ne regrette pas ta nomination. Je ne regrette pas, mais je ne suis pas sûr de le refaire

– Tu n'en auras pas l'occasion», réplique-t-elle.

Quelques minutes plus tard, l'échange se tend encore plus: «Tu as été une très bonne porte-parole», caresse Sarkozy. «Justement, j'ai vu de près et maintenant je suis candidate contre toi», grince l'intéressée.

«Certains, sur ce plateau, avaient promis d'arrêter la politique»

Fidèle à son rôle d'antisarkozyste qu'il endosse depuis déjà plusieurs années, Jean-François Copé a souligné qu'il fallait renégocier les accords du Touquet, signés par Nicolas Sarkozy, avant de dénoncer les «aventures guerrières» en Libye de l'ex-chef de l'Etat. Ne tenant plus, Sarkozy s'est glissé dans le costume du professeur, comme Giscard en son temps regardait de haut Chirac: «Ce ne sont pas les accords du Touquet, mais les accords de Canterbury, mais, peu importe, tout le monde n'est pas obligé de connaître parfaitement le dossier». Réponse de Copé, quelques minutes après: «Il n'y a pas ce soir ceux qui savent et ceux qui sont là pour prendre des cours. On a tous travaillé». Et nous sommes deux candidats, à égalité...

Commence déjà par essayer d'être élu, tu verras que c'est très difficile

Nicolas Sarkozy

Mais le plus convaincant, dans ce rôle d'opposant numéro un à Sarkozy, a sans doute été Bruno Le Maire: «Je ne suis pas candidat pour prendre ma revanche sur qui que ce soit ou pour ajouter un titre à une longue carrière ministérielle», balance-t-il. À plusieurs reprises, l'ancien ministre de l'Agriculture a dialogué avec Sarkozy. D'homme à homme. Les yeux dans les yeux. Et de façon virile. Lui rappelant ainsi sa promesse de 2012: «Certains, sur ce plateau, avaient promis d'arrêter la politique». De quoi agacer l'ancien président: «Si être battu était rédhibitoire, François Mitterrand n'aurait jamais été président de la République deux fois et Jacques Chirac non plus. On se serait passé de deux grandes personnalités. Commence déjà par essayer d'être élu, tu verras que c'est très difficile».

Si tous ses opposants ne parviennent pas à être élus présidents, au moins parviendront-ils à ce que Nicolas Sarkozy, lui, ne soit pas réélu. Car c'est ainsi qu'on vote aujourd'hui en politique, non plus vraiment par choix, mais par défaut. Pourtant, Nicolas Sarkozy, qu'on a connu plus agressif, avait fait cette promesse pleine de sagesse, s'il venait à être élu de nouveau président: «Je pense que j'aurai 67 ans à la fin de ce second mandat, il sera temps de remercier la France».

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