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Sept whiskies pour rejouer le débat de la primaire de droite (en plus intéressant)

Sept candidats maltés se dévoilent pour arracher votre vote avant noël. Un débat où le temps de dégustation équitable a été mesuré à la seconde près afin de ne pas vous influencer.

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Temps de lecture: 5 minutes

Avant de glisser deux billets de 50 dans l’urne du caviste, écoutons un peu ce que nos sept candidats –tous nouveaux, eux– ont dans la bouteille.

1.Redbrest LustauLe changement dans la continuité

Cosmopolite (ce n’est pas un gros mot pour décrire un whisk.e.y) en diable, la perle de la distillerie Midleton a affiné pendant un an son assemblage (de 9 à 12 ans mais chut!) d’ex-fûts de bourbon et de xérès dans les barriques d’oloroso de la très sélecte bodega Lustau, à Jerez.

Rien à voir avec le 12 ans! La fraîcheur de l’oloroso percute la poire bourdaloue en la nappant d’épices (cannelle, gingembre), et les tannins secs redressent le gouleyant fruité typique de Redbreast. Un magnifique exemple de transcendance transfrontalière.

Style: single pot still (1) irlandais pro-mariage mixte.
Pour qui: les amateurs de fruité puissant.
Trivialités: 46%, 69 euros.
 

2.Compass Box Whisky de tableLe candidat de la rupture

Il mène une campagne acharnée et bienvenue pour la transparence dans le whisky, et le voilà qui milite à présent contre la vie chère –le temps d’une élection édition limitée du moins– avec son dernier manifeste: le Whisky de table. Un blended malt édité pour les 60 ans de La Maison du whisky, «à servir frais» (mais vous n’êtes pas obligé de voter pour n’importe quoi).

Au programme, du Clynelish majoritairement (à 48,1%), du Linkwood (25,4%), Benrinnes (20,6%) et une lampée de Caol Ila (9,9%). Léger, timide, d’une jolie fraîcheur herbacée, il gagne follement en présence et en complexité à mesure qu’il s’aère, se fait fondant, poire saupoudrée d’amande soulignée d’une fine fumée sur une finale d’orge tendre et verte. Un rapport qualité-prix de malade, au sens noble du terme.

Style: blended malt décomplexé.
Pour qui: les fauchés sans complexes en quête de complexité.
Trivialités: 40%, 42 euros.
 

3.Ardbeg Twenty OneLe vote utile

Le candidat le plus âgé du lot. En tête dans les sondages au doigt mouillé (pléonasme) si le fait que tout le monde a tenté de me piquer l’échantillon peut servir de méthodologie. Ardbeg à son meilleur, ne nous perdons pas en discours. Ardbeg qui renoue avec les (vieux) comptes d’âge: 21 ans. Ardbeg distillé en 1994, logé en fûts de bourbon. Ardbeg intensément Ardbeg, mais pourtant unique. Et puisque les anaphores font semble-t-il les présidents, c’est celui qui sort de la primaire à des enjambées de la troupe.

Magnifique, le nez s’avance tout en subtilité, arômes patinés de fumée qui balaient le bord de mer dans un frisson, des notes d’amandes sous les algues. La bouche vous embras(s)e avec sensualité, avec douceur, enveloppé de fumée, iodée cette fois, picotée de poivre en fin de bouche. Il faut plus que des mots pour raconter certains whiskies, et mon dieu cela faisait bien longtemps que la langue n’y avait pas suffi…

Style: objet de culte sculpté sur Islay.
Pour qui: ceux qui dépassent le primaire pour atteindre à l’essentiel.
Trivialités: 46%, 370 euros sur le site moethennessy-selection.fr.
 

4.Springbank Burgundy 12 ansLe gardien des valeurs et de la tradition

Dans sa distillerie de Campbeltown, la famille Mitchell produit depuis 1828 un whisky cousu main, du maltage de son orge légèrement tourbée jusqu’à l’embouteillage. La famille, les valeurs, la tradition, le terroir… Autant dire que, dans le whisky aussi, ce discours dégobillé en boucle s’avère pure foutaise. Springbank est l’une des rares exceptions à cette règle.

Cette édition limitée a vieilli intégralement en fûts de vin de Bourgogne de premier remplissage. Le nez exhale un fruité rouge puissant, trop mûr et un peu vineux. On retrouve en bouche les mêmes notes sur une toile de fond tourbée à petites touches, poussées par des touches chocolatées et dopées en tannins.

Style: single malt écossais droit dans ses bottes Wellington.
Pour qui: les amateurs de rhum qui iront voter à la primaire du whisky pour faire passer Ardbeg.
Trivialités: 53,5%, 100 euros.  
 

5.Scapa GlansaLe programme cosmétique

Après avoir trempé dans tous les blends consensuels pendant des décennies, Scapa s’extrait enfin de la masse. Cette distillerie atypique qui ne capitalise pas sur cette vertu ajoute un nouvel opus à une gamme qui s’est souvent réduite à un embouteillage. Glansa est un NAS (2) vieilli en fûts de bourbon de premier remplissage affiné ensuite en tonneaux ayant préalablement contenu un whisky tourbé.

Produire des single malts tourbés sans les coûts supplémentaires du maltage à la tourbe devient ces derniers temps un business. Et dans ce genre peat low cost (3), celui-ci n’est pas le plus raté. Fruité compoté bien mûr enveloppé de vanille miellée mâtinée de toffee (l’empreinte du chêne blanc américain), avec des notes de brou de noix, chocolat au lait pincées en fin de bouche par un twist de feu de bois: sur un malentendu, je pourrais lui filer mon vote.

Style: single malt orcadien qui essaie de pomper son voisin dans le dire.
Pour qui: l’électorat qui cherche le renouveau dans un programme classique.
Trivialités: 40%, 65 euros.
 

6.Nantou OmarL'inconnu surprise

L’«autre» single malt taïwanais profite de cette primaire pour sortir de l’anonymat. Produit à la distillerie Nantou par la compagnie d’État TTL (Taiwan Tobacco & Liquor), qui s’est mise au whisky en 2008, Omar vient de nous arriver en couple, à la plus grande joie des Français qui n’aiment rien tant qu’accueillir ces whiskies réfugiés du nouveau monde. La version vieillie en fûts de bourbon est tout ce qu’il y a de plus classique, sur le trio vanille-miel-caramel, mais son alter ego passé sous bois imbibé de xérès a des airs de jeune Glenrothes qui partent en sucette sur une giclée de raisins secs lâchés dans la boîte à épices. Dans les deux cas, laissez-les s’oxygéner.

Moins moins sucrée, moins extrême que les Kavalan, cette paire taïwanaise joue la carte de l’assimilation au point de ressembler à n’importe quel Ecossais lambda du moment. Ce n’est pas forcément un défaut, tout juste peut-être un manque de personnalité.

Style: single malts taïwanais inconnus au bataillon.
Pour qui: les socialistes qui voteront Juppé.
Trivialités: 46%, 67 euros (bourbon) et 75 euros (sherry). Existent en 20 cl (27 et 29 euros).

 

7.Glenlivet CipherLe candidat du système

Première distillerie légale à une époque où la contrebande représentait le mainstream en Ecosse, Glenlivet incarne le système, que dis-je: elle l’a inventé, et toutes les autres longtemps n’ont fait que la copier. Devenue leader de la mondialisation heureuse du malt, elle se plie avec son dernier flacon à un exercice visant à faire oublier quelques casseroles qualitatives qui lui traînent accrochées au fût. Pas d’âge, zéro info sur les maturations et l’assemblage, une bouteille noire, un packaging dépourvu de notes de dégustation et un lancement énigmatique: Cipher rejoue la partition qui avait réussi à Alpha il y a trois ans.

Les amateurs sont invités à poster leurs notes sur le site ouvert pour l’occasion, alors jouons le jeu et n’en dévoilons rien, si ce n’est que le jus est très bien fichu, avec une étonnante irruption poivrée pimentée en milieu de bouche qui botte en touche les notes plus subtiles perçues au nez. De toute façon, avec 600 bouteilles pour la France, à 95 euros la quille (entre 6,33 et 9,50 euros si vous situez le pain au chocolat à 10 ou 15 centimes), la plupart la thésauriseront en attendant que les intérêts tombent.

Style: speysider mystérieux.
Pour qui: les amateurs prêts à renflouer les comptes de campagne déficitaires.
Trivialités: 48%, 95 euros.

1 — Le single pot still, whiskey traditionnel irlandais, est élaboré avec de l’orge maltée et non maltée Retourner à l'article

2 — NAS (No Age Statement) : whisky dépourvu de compte d’âge Retourner à l'article

3 — Tourbe à bas coût Retourner à l'article

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