Culture

Tupuducu le Renaudot

Avec un mauvais goût très sûr, Slate.fr a déniché quatre nouveaux imprimés de la rentrée littéraire dont vous pouvez parfaitement vous passer, sauf pour caler vos meubles. Attention, deux d'entre eux viennent d'être primés.

Bâillement de chat. (CC) Marina del Castell Flickr
Bâillement de chat. (CC) Marina del Castell Flickr

Temps de lecture: 8 minutes

Le plus étonnant dans la rentrée littéraire, c'est l'adjectif. Voici de nouveaux livres à ne pas lire. Cet article vous fera gagner du temps et 78 euros. 
 

1.Lino au Parquet(Prix Renaudot)

«Certains jours, quand je me réveille, mon âge me saute à la gueule.» La narratrice vit à Deuil-l'Alouette et a 62 ans; ça lui pèse, alors elle sert des maximes un peu amères sur les beautés flétries laissées choir: «Quand tu fais la gueule à 20 ans, c’est sexy, quand tu la fais à 60, c’est chiant.» [note d'un père de famille: à 20 ans aussi, c'est chiant]. «Une femme qui te dit je suis dans ma troisième saison t'astringe la bite définitivement!»)

Si tu n'as pas de femme en troisième saison

chez toi, ce produit à bite fera l'affaire

Elle se souvient des 60 ans de son père. Des courses à Auteuil avec Jean-Lino, la veille de ses 60 ans. Elle lui dit: «demain, j’ai 60 ans.» Et lui demande s’il a, lui aussi, 60 ans. Il répond: «Bientôt.» Délicieux souvenirs! C'est le temps perdu façon Paris turf.

Ça se corse, page 20: Jean-Lino apprend des onomatopées à son petit-fils («Rémi adorait.»):

topodoco

tapadaca

tupuducu

MAIS MERDE LE PRIX RENAUDOT TUPUDUCU.

La voici chez elle. Page 21, elle décrit le couloir, l’ascenseur, les poubelles. Page 25, C'EST LA FÊTE. Elle invite 40 personnes à une soirée. Horreur, elle n’a que 7 chaises. Les pages suivantes sont dédiées à la recherche de chaises pliantes, poufs, tabourets. Puis elle compte les verres nécessaires (en verre et en plastique). Ensuite, les flûtes à champagnes (en plastique).

[Je n'invente rien.]

[Hélas]

Elle signe une pétition contre le broyage des poussins, avale un Xanax, essaye un nouveau traitement anti-âge même si, attention, elle «désapprouve intellectuellement le terme anti-âge (qui est) culpabilisant et débile mais une autre partie de (son) cerveau épouse la phraséologie médicamenteuse».

Sa mère meurt page 34 mais ça n’est pas très important, elle refourgue une «housse de coussin au crochet» à Ginette et vide l’appartement avec Jeanne («cochon en bois, chat en plâtre, porte-chandelle, poupée provençale, sulfures, soliflores», tout file à la poubelle, sauf les livres de Yasmina Reza), tout ça lui fait «une sorte d’aberrant chagrin».

J'hésitais à prendre un poulet basquaise et Rémi voulait un poulet frites

La narration est trépidante:

«Pierre était enfoui de son côté. Il s'était endormi.» (page 102)

«Il dormait.» (page 102)

«Pierre dormait profondément.» (page 105)

«- Où est passé Pierre?

- Il s'est endormi.» (page 107)

«Il dormait en ronflotant.» (page 134)

La soirée est sympa, enfin sympa pour quelqu’un qui a 62 ans à Deuil-l'Alouette. Il y a Georges Verbot, qui mange, boit, ne parle à personne. «Il y a toujours un boulet quelque part». Les autres se passionnent pour la provenance des poulets «du pain de poulet aux épices»: nourris avec des granulés biologiques? Élevés en basse-cour? Jean-Lino en profite pour raconter une anecdote: «J'hésitais à prendre un poulet basquaise et Rémi voulait un poulet frites.» On change de sujet. «Toutes les idées de gauche me désertent peu à peu», balance Lambert «à un moment donné.» On pense. «Peut-être que rien n’est réel, ni joie ni peine.» 

Quand les gens sont partis, il reste du pâté de foie et de la salade de riz, c'est alors que Jean-Lino étrangle sa femme. Faut-il le dénoncer? L'aider à cacher le corps? S'occuper du chat? Yasmina Reza connaît bien les arcanes d'internet: seul le chat sera sauvé et il ira vivre à Sucy-en-Brie. Revenons à l'essentiel: «Je me suis assise sur la lunette des toilettes et j'ai analysé les échantillons qu'on m'avait donnés avec le traitement anti-âge de Gwyneth Patrol.»

Monologue in-ter-mi-na-ble, ce roman t'astringe le cerveau. Mêmes les allitérations («J'ai senti s'affaisser sous mes fesses...») puducu.

Babylone

de Yasmina Reza

Flammarion
(20 euros foutus en l'air)


 

2.Mambre engourdi(Non primé)

Dans Province, Saint-Roch, un journaliste parisien revient à Uxeilles (lisez: Ussel, Corrèze, vraie France). Il affiche son ambition: «baiser le plus de femmes possible.» Comme il en impose, c’est presque de la fonction performative

À la page 42, rupture de zygomatiques. Saint-Roch s’appelle en fait Mambre. Pour un queutard revendiqué, ce «singulier patronyme» est une trouvaille. Alors Richard Millet se fait primesautier: «un membre, monsieur, qui a la dureté du roc. Et oui, membré comme nul autre.», s’enorgueillit le héros. Mais il est un «Petit Mambre» car il a un père, «Grand Mambre». On s’interroge sur la «dureté du vieux Mambre.» Mais où va-t-il chercher tout cela?

Millet est formel «baiser le plus de femmes possible était un acte littéraire»

Lecteur, cesse de pouffer car le vrai sujet du livre est le plus noble de tous. Millet nous informe de la fin de la littérature (et son livre y contribue grandement), cette «pratique socialement insignifiante». Car oui, hélas, tout est «déjà écrit», la langue française va «en haillons», signant  «la fin d’une civilisation.» La France est un pays de second ordre dont «le peuple n’existe plus» –je n’ai pas bien saisi la démonstration mais enfin vous voyez de quoi il retourne grosso modo, tout ça est pas très joyeux, Richard Millet est un lanceur d'alertes, une sorte de Wikileaks des «ruines du vieux roman occidental».

En fait, le vrai sujet est ailleurs.

Car Richard Millet est AUSSI un grand penseur qui sait les choses. À Uxeilles, il y a l’«autre», l’«étranger», le «migrant», les «Turcs –nom sous lequel on rangeait parfois toutes sortes d’étrangers, depuis les Africains jusqu’aux réfugiés syriens et éthiopiens», a priori l’Ethiopie est sorti de l’Afrique comme l’Afrique de l’histoire. Les Uxeillais n’ont pas vraiment envie de les accueillir, hormis de «rares intellectuels de gauche de notre ville, eux-mêmes des étrangers, c’est-à-dire des fonctionnaires en poste chez nous et peu désireux d’y faire souche.» 

Ah souche, une fois. Malgré le «progressif remplacement des “Uxeillais de souche”» (bis). Certains sont «même prêts à pactiser avec les Turcs», on frémit, voire à envisager les «mariages interraciaux», ces «mélanges contre nature», l’effroi nous gagne. Il ne goûte pas non plus les Américains, les francs-maçons, les lesbiennes, c'est rassurant cette rancœur généreuse.

«Il ne s'agit pas là d'un conflit de générations ni de mœurs, mais de quelque chose de plus grave qui, comme à peu près partout en France, concerne notre survie nationale.» 

Cette peur de la mosquée, cette passion crépusculaire du clocher, c’est un peu son angélus à Millet.

Allez pas croire que j’ai lu ce bouquin juste pour la turlute (il faut attendre la page 164 pour lire le mot sein et la page 195 pour une levrette), non, non, j’avais simplement envie d’être emporté «dans le mouvement de dialectique heureuse (…) que nous entretenons avec le dehors.» De toutes façons, Millet est formel «baiser le plus de femmes possible était un acte littéraire». Mieux vaut queutard que jamais. 

Province

Richard Millet

Editions Léo Scheer
(19 euros gâchés)

 

3.Harlequin à Auschwitz(Grand Prix du roman de l’Académie française)

Résumé: Rebecca aime Werner qui aime Rebecca. Vont-ils pouvoir s’aimer? Ils affrontent les DIFFICULTÉS DE LA VIE: elle est fille de millionnaire, il fait fortune dans l'immobilier. Mais L'HISTOIRE parfois contrarie le DESTIN.

Le livre alterne un chapitre en Allemagne à la fin de la guerre, un autre à New York en 1970. La description gore de Dresde en feu où les survivants ne sont que sang, amputations et brûlures est spielbergienne. On se retrouve vingt-cinq ans après à New York pour la rencontre de Rebecca et Werner. Elle appelle le sourire romantique d'une comédie hollywoodienne surannée mais bien faite. On se dit que ce livre est plutôt bien.

[Heureusement, ça se gâte]

[Attention, on spoile. En même temps, ça vous rend service]

On a mauvais esprit. Le bombardement de Dresde ? 14 février 1945.

14 FEVRIER. La Saint-Valentin sous Hitler.

On y est. Tout à coup, Adélaïde de Clermont-Tonnerre noue les fils du destin avec de la guimauve. Werner ne sait pas vraiment qui est son père allemand. Rebecca ne connaît pas vraiment la vie de sa mère juive. Tu la sens la grosse ficelle du destin? Chemin de croix gammée de bonnes intentions pour le fils de nazi s’il veut conquérir le cœur de la fille de juive torturée par le nazi qui se trouve COMME PAR HASARD être son père. Mais, est-ce VRAIMENT son père? Ne serait-ce pas son frère jumeau, un nazi GENTIL, ce qui le laverait de tout péché? ON N’EN DIT PAS PLUS.

Il l’invite à dîner dans «une lumière féérique», elle semble «joyeuse et troublée.» Le soleil se couche mais on peut le dire plus mieux: «Les rayons du soleil déclinant lacéraient le ciel d’or, de pourpre et de noir.» Parfois, il a «une folle envie de saisir sa cheville et de glisser son pied dans [sa] main», il finira à la mairie de Draveil. Elle a des seins qui le regardent «droit dans les yeux» (nous, on se les frotte).

CONTENU SPONSORISÉ

Faut dire qu’il lui fait un effet bœuf: «ses pupilles dilatées avaient presque mangé ses iris violets» et, dans son slip, il sent «son désir affleurer.» Quand il parle d’elle, ému, il dit LFDMV (pour la femme de ma vie), et parfois «ma beauté», exactement comme Guy Bedos lorsqu'il pelote ses patientes dans son cabinet (Nous irons tous au Paradis). Le voici «fasciné qu’une si petite tête puisse contenir tant de pensées». Tel est le mystère des femmes.

J’aurais voulu écraser mes sentiments, mais ils semblaient indestructibles

Tout serait parfait si Adélaïde n’avait pas cette étrange passion du food dropping qui la pousse à détailler toutes les agapes des tourtereaux:

«Elle commanda un petit-déjeuner continental avec viennoiseries, tartines, œufs brouillés au saumon, salade de fruits, café au lait, orange pressée et yaourt. Je pris la même chose et rajoutai une assiette de pommes de terres sautées.»
 

 «Marcus avait apporté du lait frais, des cookies et des pommes.»

Il y a aussi des crumbles, des noix de cajou, des gratins dauphinois, des coquillettes, c’est admirable, le festin des mercenaires à Mégara en devient un simple pique-nique.

Parfois, Werner (elle dit: Wern) souffre: «J’aurais voulu écraser mes sentiments, mais ils semblaient indestructibles.» Il en est réduit à «attendre que l’onde de chagrin change de fréquence.» Mélange du Delly et de Portier de nuit, cette bluette a obtenu le Grand Prix du roman de l’Académie française. 491 pages quand même. On suppose que les momies du Quai Conti ont été sensibles au poids.

Le Dernier des nôtres

Adélaïde de Clermont-Tonnerre

Grasset

22 marks

 

4.Un ado à fleur de skin(Non primé)

La vie d’un ado est parfois surprenante. Samuel écoute peinard «Heroes» de Bowie dans ses écouteurs en traînant péniblement ton corps maladif du lit jusqu’au frigo. Un soir, il assiste, passif, bourré, à une tentative de viol, lors d’une soirée trop arrosée. Sa mère, Sybille, va le chercher chez les gendarmes.

«Putain, bordel, c’est pas vrai.»

Elle est divorcée, donc elle culpabilise, le père s’en fout, nous sommes dans un roman social.

Rigolez pas, Samuel risque vraiment de virer mal. D’abord, faut qu’il arrête avec «cette tête de skin qu’il avait voulu se donner pour plaire à ses copains.» Il décroche «à tous les niveaux –scolaire, mais pas seulement» et porte des Dr. Martens. Il aime pas les musulmans, enfin les Arabes, «il paraît qu'ils font des enfants pour nous envahir», dit qu’il va voter Le Pen, mais sa mère sait bien «qu’il a juste besoin de repères.» 

Elle trouve aussitôt la solution miracle: emmener Samuel faire du cheval au Kirghizistan, même Dolto n'y avait pas pensé. Ils affrontent le froid, le soleil, s’enfoncent dans la boue, croisent des pillards et des gens qui les invitent dans leur yourte pour leur offrir «du bozo, une boisson fermentée à base de grains de mil qui un léger goût de bière et quelques degrés d’alcool.» Ils boivent beaucoup de vodka. Dans les montagnes, l’ado fait moins le mariole, surtout qu’il capte plus la 4G, à croire qu’il est chez SFR.

Y a des zones blanches au Kirghizistan, un coin un peu paumé, quoi qu’on en pense.

Comme tous les parents qui ont réussi à priver leur gamin de smartphone, sa mère triomphe. Là, pense-t-elle, il peut «respirer et souffler» et puis entendre «comment on pense par le souffle et que c’est par lui que la vie circule en nous.» Samuel s’occupe de son «cheval aux yeux bleus », il aime «la teinte fauve de sa robe, le balzane –ces poils blancs qui remontent des sabots presque jusqu’aux genoux–, sa crinière aux reflets roussis par le soleil.» Ça nous berce, comme une cotonneuse émission de téléréalité sur Equidia.

Calmé, le punk en culottes courtes «comprend que chaque geste peut altérer l’environnement; que chaque geste a des conséquences.» On sent qu’il est en train de guérir. Samuel doit encore gérer un peu son complexe d’Œdipe. Après avoir vu sa mère se baigner, «cette nuit, il ne se masturbera pas.» Il lui en veut encore un peu à cette «conne bien-pensante.» Mais que l'on se rassure: le Kirghizistan, ce centre de déradicalisation équestre portera ses fruits.

Le Samuel final est sale et puant, il joue avec ses amis kirghizes à une variante non vegan du polo (la balle est un cadavre de bouc), il a «le visage et les mains recouverts de sang» mais son père le découvre «plus grand, plus affûté» avec un «regard plus lumineux.» Est-il enfin «de gauche» comme sa mère et lavé de tout racisme? Il faudrait tenter l'expérience d'envoyer Richard Millet au Kirghizistan.

Continuer

Laurent Mauvignier

Éditions de minuit

(17 €, le prix d’une bouteille de vodka, réfléchissez)

cover
-
/
cover

Liste de lecture