Boire & manger

Le jour où j’ai sifflé le whisky de Donald Trump

On fait parfois de ces trucs en buvant…

Christine Lambert
Christine Lambert

Temps de lecture: 3 minutes

J’ai bu le whisky de Donald Trump. Un mois avant que le milliardaire se lance dans la course à l’investiture républicaine, c’était près d’Aberdeen, au nord-est de l'Écosse. Un jour de mai 2015 qui voyait la pluie hésiter sur ce pan de côte où le vent baratte les nuages dans des sifflements d’embruns, installée au bar du golf de Menie, entre dix-huit trous hautement polémiques et quelques Américains tonitruants affairés à l’heure du high tea, j’ai descendu le scotch de Trump. J’aime bien le high tea, ce thé tardif prétexte à mini-sandwiches et petits fours, surtout si on me soustrait à l’épreuve du Darjeeling en le remplaçant par un single malt.

En 2012, le maniaque magnat (damné correcteur automatique) de l’immobilier avait inauguré son golf construit sur un site protégé acheté six ans auparavant dans le pays d’origine de sa mère, née Mary MacLeod. Des kilomètres de dunes sauvages barrant les fureurs de la mer du Nord s’étaient ainsi retrouvés moquettés de gazon, en dépit de l’ardente opposition du voisinage, grâce à des complicités politiques envolées depuis –le complexe hôtelier et les centaines d’emplois promis sombrant très en dessous du par.

Trump en lettres d'or

Pour l’occasion, le bateleur républicain avait obtenu de la distillerie GlenDronach un fût embouteillé sous étiquette à son nom. TRUMP. Écrit en gros. En lettres capitales gold luisant sur fond noir. Le single malt logé depuis vingt-six ans dans le puncheon [1] de xérès pedro ximenez numéroté 1036, enflaconné à 53,3%, se déguste depuis lors au bar du golf de Menie, et uniquement là. Le stock n’est pas épuisé malgré mon passage, j’ai vérifié.

La quille entière se monnaie 195 livres, 500 si vous souhaitez que le milliardaire vous la dédicace –le premier chiffre est raisonnable pour un single malt de cet âge vieilli en fût de sherry, le second ne l’est en rien pour une signature qui ne figure pas au bas d’un chèque.

Choix judicieux, GlenDronach. La distillerie, l’une des plus anciennes d’Ecosse, n’est qu’à une trentaine de miles du golf, c’est toujours bien vu de faire appel à l’artisanat local. Et elle est réputée pour ses maturations en fûts de xérès olé olé, des «sherry bombs» insolentes qui se cabrent sauvagement dans la bouteille.

Mais pour être honnête, le single malt du milliardaire à la mèche folle s’avance plutôt sagement, sans effets de manche, avec la raie gominée sur le côté. Riche et opulent (facile), et très BCBG, mais impeccable dans ce créneau inhabituel pour la distillerie – j’avoue une préférence pour leurs single casks vieillis en oloroso, tendus comme des arbalètes.

Pepsi, vodka et whisky

Vous me direz, Trump s’en fiche comme de sa première main au cul: le bonhomme ne s’arsouille qu’au Pepsi Diet et sa seule incursion dans l’alcool fut le lancement en 2006 d’une éphémère vodka à son nom, flop commercial doré sur tranche –«le succès distillé» promettait pourtant la pub.

Depuis George Washington, qui possédait à sa mort la plus grande distillerie de bourbon américaine, jusqu’à Franklin Pierce, 14e président des Etats-Unis mort d’une cirrhose, en passant par W. Bush version reborn aléatoire estampillé AA, l’histoire de la Maison-Blanche s’est souvent écrite d’une plume trempée dans la gnôle. Mais Trump le répète ad lib: il ne boit pas d’alcool. Il n’aime pas. Il préfère le golf.

Rachetée il y a quelques mois par le géant américain Brown Forman (maison mère de Jack Daniel’s), GlenDronach a refusé de fournir le prochain whisky bouche-trou du golf. Lequel «envisage de travailler avec une nouvelle distillerie». Qui va se dévouer ? Certainement pas Glenfiddich ni Balvenie, boycottées par tous les établissements Trump depuis que l’élection du Top Scot («Ecossais de l’année») a fait passer le Donald pour un Mickey. La manifestation sponsorisée par William Grant & Sons (propriétaire des susnommées) n’a rien trouvé de mieux que de couronner son pire ennemi dans la région, Michael Forbes, un pêcheur de l’Aberdeenshire, qui a mené la fronde contre le golf en refusant de vendre son terrain.

Si on ignore de quoi sera fait le prochain Trump scotch à l’horizon, on sait en revanche à quoi ressemblera bientôt l’horizon. Après des années de bataille juridique homérique, un parc d’éoliennes off-shore ne va pas tarder à pousser dans les vagues à deux miles au large, pile poil en face du golf. Fin 2015, la cour suprême britannique a définitivement débouté le milliardaire qui lui aussi brasse du vent mais sans produire une étincelle.

1 — Le puncheon de xérès est un fût d’environ 500 litres, le plus souvent trapu et large de ventre. Retourner à l'article 

 

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