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Et si on mettait les réfugiés en coloc avec des étudiants pour mieux les intégrer?

Aux Pays-Bas, c'est déjà le cas. Depuis le début de la rentrée, 282 jeunes réfugiés détenteurs d’un statut et 283 Néerlandais vivent dans une résidence sur le campus d’Amsterdam.

Les participants du projet Startblok Riekerhaven.
Les participants du projet Startblok Riekerhaven.

Temps de lecture: 4 minutes

A priori, Leoni Nijland et Manar Al Samar n’avaient pas beaucoup de chances de se croiser. À 25 ans, elle étudie le journalisme et a grandi dans l’est des Pays-Bas. Il a 22 ans, veut étudier la musicologie et a quitté la Syrie. Depuis le début de la rentrée universitaire, pourtant, les deux jeunes partagent leur quotidien grâce un projet novateur mixant étudiants locaux et réfugiés: le Startblok Riekerhaven

Comme Leoni et Manar, 565 personnes âgées entre 18 et 28 ans (282 jeunes réfugiés détenteurs d’un statut et 283 Néerlandais) vivent dans cette résidence sur le campus d’Amsterdam seul ou en colocation, à deux ou à trois par appartement. Un bon plan puisque chacun doit débourser 333 euros. Bien loin des standards de la capitale.

      Manar et Leoni ont appris à se connaître depuis le début de l'année universitaire

«J’ai 25 mètres carrés, une petite cuisine et ma propre salle de bain. Je ne suis qu’à vingt minutes à vélo du centre, ce qui n’est pas beaucoup pour une ville de la taille d’Amsterdam. Dans le centre, je pense que ça m’aurait coûté 500-600 euros. J’ai eu de la chance», avoue Leoni en regardant son nouveau logis.

«J’ai vécu sept mois dans des tentes avec près de 100 personnes. Je dors évidemment bien mieux ici», sourit quant à lui son nouvel ami.

Comme les autres réfugiés installés dans la résidence, ce dernier reçoit d’ailleurs un prêt pour payer son loyer, sa nourriture et autres frais divers. C'est le cas aussi de Nahom Berhane 24 ans, qui a fui les persécutions de la dictature en Érythrée«J'ai 920 euros par mois pendant trois ans. Cela me sert également à financer mes cours de langues et le programme d’intégration.» Une somme qu’il n’aura peut-être pas à rembourser. «Il faut pour cela que je valide tout sans échouer.»

«Ma mère a demandé si c’était sans danger»

Personne n’a évidemment oublié les agressions du Nouvel an à Cologne et Hambourg, et le fait que la moitié des suspects résidaient en Allemagne depuis moins d'un an au moment des faits. Pas étonnant, donc, que le projet ne plaise pas au départ à tout le monde. À commencer par le voisinage.

Des réunions de quartier ont donc été organisées surtout dans le but de rassurer les plus âgés et balayer les préjugés. «On leur a expliqué ce qu'on voulait mettre sur pied et on leur a surtout présenté les réfugiés pour qu'ils puissent expliquer leur histoire. La peur du voisinage venait surtout du fait qu’ils ne les connaissaient pas», pense Fleur Eymann, résidente et responsable de la communication pour l’association Socius qui gère la résidence.

Certains parents étaient également inquiets à l’idée de voir leur fils et surtout leur fille faire partie de l’aventure. Ce fut le cas de Leoni.

«Quand ma mère m’a emmenée en voiture lors de mon déménagement. Elle m’a demandée si c’était vraiment sans danger. Je lui ai dit d’arrêter. Bien-sûr c’est très mal ce qu’il s’est passé à Cologne, mais tout le monde n’est pas comme ça. Les journalistes pointent aussi le négatif et grossissent les faits. Je vois les choses de manière plus positif.»

Pour veiller à la discipline et assurer le vivre-ensemble, un comité de résidents (moitié réfugiés/moitié étudiants) a été mis sur pied, histoire de les responsabiliser. Selon l’association Socius, il n’y a eu aucun incident après quatre mois de cohabitation.

«Je découvre la culture néerlandaise»

Ce projet lancé et financé par la ville d’Amsterdam permet surtout aux jeunes réfugiés et aux Néerlandais de se côtoyer. «L’échange, c’est toute la philosophie du projet, s’enthousiasme Fleur Eymann. On n’est pas là pour leur dire: “Tenez, vous avez ça à apprendre de nous”. Nous aussi, on a beaucoup de choses à en retirer.»

Tout est donc fait pour favoriser les contacts entre les résidents à commencer par les plans des bâtiments. Un appartement occupé par des jeunes Néerlandais est entouré de deux appartements habités par de jeunes réfugiés. Il y a également des salles communes et de nombreuses activités organisées auxquelles les habitants sont tous conviés: tournois de foot, festival de musique, soirées ciné…

«On vient de différents pays, on n’a pas eu la même éducation. Arriver ici, ce n’est pas facile, explique Nahom qui bosse aussi dans le projet. Depuis quelques mois, j’ai 300 Néerlandais en tant que voisins, amis, collègues. J’ai appris beaucoup de choses, ça m’aide à savoir comment me comporter aux Pays-Bas.»

                           Nahom à droite a déjà un niveau B1 en néerlandais

Le fait d’être entouré «d’autochtones» lui permet aussi de pratiquer le néerlandais et donc de progresser. «Je le parle tout le temps, j’apprends au moins un mot par jour.» Utile quand on sait qu’un niveau B2 est obligatoire pour que les jeunes puissent entamer leurs études. Comme en France.

Possible dans les Crous?

Intégrer les réfugiés et les faire parler, c’est le combat de l’Association InFLÉchir créée par des étudiants de Paris 4 et qui donne des cours de français langues étrangères (FLE) aux nouveaux arrivants. «On peut leur donner des cours de langue autant qu’on veut, s’ils n’ont pas un biais pour parler, ils ne pratiquent pas et ils n’apprennent pas», déplore André Rebelo Rochinha, président de l’association.

«On s’adresse à des gens qui sont totalement coupés de la société, ils vivent entre eux dans des Centres d’accueil. On essaie de créer des binômes entre un étudiant et un migrant pour favoriser l’ascenseur social entre les deux, favoriser le contact. On organise des soirées dans les bars, des ballades à vélo, des choses comme ça. Ce serait bien qu’il existe des résidences comme le Startblok . Ce serait par exemple pas mal de mettre sur pied un projet similaire en place dans les Crous [Centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires, Crous], mais il faudrait pour cela un véritable investissement de l’État.»

 

   Les membres de l'association InFLÉchir et leurs "élèves"

Les Crous hébergent déjà des réfugiés statutaires qui ont obtenu l’asile, notamment à Paris. Sur tout le territoire, environ 350 jeunes ont été accueillis dans ce cadre selon des chiffres du Cnous, le Centre national des œuvres universitaires et scolaires qui impulse la même stratégie aux 28 Crous régionaux. «À Lille, 80 réfugiés étudiants inscrits à l'université cet automne après un premier parcours en FLE vont être accueillis dans une résidence avec un accompagnement», annonce Pascale Koller, responsable de la mission de la communication du Cnous. Quid des demandeurs d’asile?

«Ponctuellement, cet été, le réseau des œuvres a hébergé à titre transitoire quelques dizaines d’entre eux. Il ne s'agissait qu'une solution ponctuelle “de dépannage” car à la rentrée universitaire, les résidences des Crous affichent quasiment toutes des taux d'occupation de 100%, si bien qu'il n'est pas possible d'y accueillir en plus grand nombre d'autres publics.»

À Amsterdam, en tout cas, l’idée de mixer les réfugiés et les étudiants séduit. Quatre nouvelles résidences vont être lancées d’ici 2017.

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