Parents & enfants

Les enfants, c'était mieux avant...

Les enfants seraient plus violents, moins bons à l'école, en orthographe, moins respectueux des aînés...

Tenir sa classe n’est pas si évident | jean pierre gallot via Flickr CC License by
Tenir sa classe n’est pas si évident | jean pierre gallot via Flickr CC License by

Temps de lecture: 7 minutes

Regretter le passé est un leitmotiv de notre temps, un sujet de prédilection des repas de famille, la garantie de voir liker substantiellement son statut facebook, un sujet inépuisable qui, depuis la reconnaissance du réchauffement climatique, se marie même admirablement bien avec cet autre thème universel qu'est la météo. Aussi paradoxal soit-il dans une société qui loue le progrès, ne jure que par les «réformes» et place nombre de ses espoirs dans la science, il n'en est pas moins omniprésent, dans les médias et le discours public, surtout lorsqu'il s'agit de prophétiser l'apocalypse civilisationnelle que la décadence des mœurs enfantines est censée annoncer.

La mémoire farceuse

Ce n'est pas un scoop, mais c'est toujours utile de le rappeler: notre cerveau ne fonctionne pas comme une caméra qui enregistrerait des informations qu'on pourrait visionner et revisionner à loisir. Dans son livre Mon cerveau, ce héros, paru en 2015, la chercheuse en sciences cognitives Elena Pasquinelli rappelait à quel point nos souvenirs pouvaient se montrer trompeurs, et ce même lorsque nous ressentions à leur égard une forte confiance. Un résultat loin d'être anodin puisqu'il remet par exemple en cause le crédit qu'on apporte généralement dans le cadre judiciaire aux «témoins oculaires». En réalité, selon la formulation des questions posées par les enquêteurs, certains témoins peuvent être amené à fabriquer des «faux souvenirs». L'explication en est simple:

«lorsque nous ramenons nos souvenirs à la vie [nous déterrons] des détails qui sont fidèles à notre expérience, mais qui ne sont pas placés dans la bonne "tranche temporelle" […] Le fait est que les souvenirs ressemblent beaucoup moins à des copies fidèles de la réalité qu'à des pages Wikipédia, dans lesquelles chacun de nous peut réécrire des morceaux.»

Avec l'âge, nous retenons plus facilement les stimuli (événements, visages, informations) positifs que négatifs, ce qui pourrait expliquer physiologiquement notre tendance à dire que «c'était mieux avant».

Lorsque nous vieillissons, d'autres phénomènes s'ajoutent et influent sur notre mémoire. La théorie de la sélectivité socio-émotionnelle montre par exemple qu'avec l'âge, nous retenons plus facilement les stimuli (événements, visages, informations) positifs que négatifs, ce qui pourrait expliquer physiologiquement notre tendance à dire que «c'était mieux avant».

Une des explications avancées serait qu'en vieillissant, la perspective de notre finitude nous pousserait à nous concentrer davantage sur notre bien-être et sur la régulation de nos émotions, et donc de prioriser le positif (voir ici ou ici). Pourtant, il semble que cette reconstruction optimiste du passé ne nous aide en définitive pas vraiment à positiver le présent, car nous serions confronté au quotidien à une réalité moins idyllique que nos souvenirs. Il en irait donc de notre hygiène mentale de déconstruire cela!

Les jeunes ne respectent plus les adultes!

Sur ce point, le discours public est généralement occupé par deux camps: ceux qui exècrent les adultes se déplaçant en trottinette et se lamentent sur le thème de la société post-soixante-huitarde prétendument en pertes de repères; et ceux qui prétendent que «de tous temps» les adultes ont fustigé la jeunesse et entendent prouver leurs dires en partageant fébrilement sur Internet des citations prétenduement anciennes, décontextualisées, et à l'origine majoritairement douteuse. Pourtant, la réalité pourrait être autre: la crainte d'un schisme intergénérationnel ne serait ni très récente, ni universelle, mais bien d'abord contextuelle.

Selon les historiens, le discours sur la peur de l'insubordination des jeunes vis à vis de leurs pères et de leurs maîtres aurait particulièrement émergé dans les décennies suivant la Révolution Française. Selon Jean Delumeau et Daniel Roche, auteurs d'un ouvrage de référence sur l'histoire des pères et de la paternité, la Révolution Française a correspondu à un temps de contestation majeure des figures d'autorité: le régicide auquel elle a abouti s'est accompagné du rejet de tout ce qui pouvait ressembler à l'autorité paternelle. Un nouvel idéal paternel révolutionnaire, que d'aucuns ont considéré comme navrant, a alors émergé:

«On préfère le mérite à la naissance, la raison à l’impétuosité et au panache, les vertus sociales à la magnificence. […] A travers la figure du père, on prétend imposer une éthique universaliste et convertir à un nouvel ordre de choses».

C'est au XIXème siècle qu'émerge alors la peur de la «crise» d'adolescence, attisée par celle de la crise politique que connaît alors la France, tiraillée entre république, monarchie et empire. Alors que la jeunesse populaire est prisonnière de l'usine, on enferme la jeunesse masculine et bourgeoise dans des «collèges», internats rudes où régnaient une autorité arbitraire et un contrôle de chaque instant.

L 'historienne Agnès Thiercé, auteure d'une thèse sur l'histoire de l'adolescence, a pu montrer comment cette discipline de fer a donné lieu à d'impressionnantes insurrections lycéennes, devant lesquelles les «blocages» de lycée que nous connaissons aujourd'hui font pâles figures. La plus violente d'entre elle a eu lieu en mars 1883, au sein du célèbre lycée parisien Louis Le Grand: en représailles à l'exclusion d'un de leurs camarades, les élèves saccagent violemment les dortoirs, brisent les fenêtres, éventrent les sommiers, renversent les lavabos. La presse s'empare immédiatement de cette «affaire nationale» dont les dégâts s'élèvent à 20.000 francs et qui donnera lieu à l'exclusion d'une centaine d'élèves.

Les jeunes n'ont jamais été aussi violents!

La peur de la délinquance juvénile, supposément toujours en hausse, est elle aussi un des poncifs du discours nostalgico-catastrophiste. Pourtant, ni l'analyse des chiffres, ni celles des faits ne semblent corroborer une telle évolution, c'est ce qu'ont montré en 2009 les sociologues Laurent Mucchielli et Véronique Le Goaziou. Selon eux, l'opinion publique médiatique et politique en faveur d'une augmentation de la violence des jeunes se fonde majoritairement sur les chiffres de la police et des institutions judiciaires qui souffriraient de nombreux biais.

Outre le fait que la délinquance se mesure au regard de l'état du droit (par exemple: l'IVG était illégal avant 1975, mais il était encore autorisé à cette époque de se réunir dans une cage d'immeuble), ces chiffres ne tiennent compte que des affaires qui ont été «élucidées» (sinon l'âge de l'auteur des faits n'est pas connu!). Ceci pose un problème majeur lorsqu'on sait que ce taux d'élucidation est l'indicateur principal d'évaluation des services de police, qui ont alors tendance à multiplier les contrôles d'identité, ainsi que les verbalisations pour détention de stupéfiants ou pour outrage, autant d'infractions présentant de fait un taux d'élucidation de 100%!

Pour obtenir des résultats plus fiables sur l'évolution de la violence des jeunes, ces sociologues se sont basés sur un autre type de données, à la validité scientifique mieux établie: les enquêtes de victimation, ou de délinquance auto-reportée. Il s'agit de questionnaires où les jeunes eux-mêmes sont invités à déclarer la violence dont ils ont été victimes ou qu'ils ont perpétrée. Ces enquêtes ont permis d'établir la grande stabilité de la violence des jeunes entre 2000 et 2005. Celle-ci présenterait toujours le même profil: premiers actes délinquants vers l'âge de 10 ans, multiplication de ces actes jusqu'à 15 ans avant de décroître naturellement vers 20 ans. Pour Véronique Le Goaziou et Laurent Muchielli, ces résultats sont par ailleurs cohérents avec ceux des autres enquêtes de délinquance auto-reportée menées depuis plusieurs décennies aux Etats-Unis et dont la comparaison avec des données remontant au XVIIIème siècle ont même fait avancer à certains l'hypothèse d'une invariance historique de comportements délinquants à l'adolescence.

L'échec scolaire ne cesse de gagner du terrain!

Voilà encore une lamentation récurrente des adeptes du «c'était mieux avant» et qui a même poussé l'Institut Montaigne, un think tank proche de Nicolas Sarkozy, à vouloir faire déclarer en 2011 l'échec scolaire «grande cause nationale». Derrière cette lamentation, il y a pourtant une réalité qui fait honte, et qui a été rendue particulièrement visible par le programme PISA d'évaluation des systèmes éducatifs dépendant de l'OCDE: entre 2003 et 2013, la tranche d'élève français les moins performants a vu ses performances chuter de manière notable, tandis que la proportion globale d'élèves en difficultés s'est accrue. Pire encore, les inégalités éducatives ont beaucoup progressé, surtout entre 2003 et 2006.

Les années 1990 ont constitué un virage au cours duquel on a cessé en France de considérer que les causes de l'échec scolaire étaient sociales pour envisager l'idée que ces causes étaient d'abord individuelles

Sont particulièrement touchées les catégories socio-professionnelles modestes mais aussi les enfants issus de l'immigration qui sont au moins deux fois plus susceptibles de compter parmi les élèves en difficulté et ce, même en corrigeant les données pour tenir compte des disparités économiques. En 2014, le sociologue Stanislas Morel s'est penché sur l'évolution des causes attribuées depuis les années 1960 à l'échec scolaire. Selon lui, les années 1990 ont constitué un virage au cours duquel on a cessé en France de considérer que les causes de l'échec scolaire étaient sociales (et donc dû au fait que l'école favorisait la culture des catégories aisées) pour envisager l'idée que ces causes étaient d'abord individuelles et devait être résolues médicalement par le diagnostic et la prise en charge de handicaps cognitifs tels que l'hyperactivité ou les troubles «dys». Une perspective sans aucune doute salutaire pour les familles concernées par ces troubles mais qui n'explique pas les fortes disparités sociales et culturelles que souligne l'évaluation PISA.

Or pour Stanislas Morel, une partie de la réponse se trouve dans l'histoire de l'échec scolaire en France. Au début du XXème siècle, le système scolaire français était divisé en deux parcours parallèles, distincts selon l'origine sociale des élèves: les enfants des catégories populaires fréquentaient l'«école primaire» et terminaient leur scolarité avec l'obtention du certificat d'études tandis que les enfants issus des classes moyennes et supérieures intégraient à six ans les «petites classes» des lycées et y effectuaient leur scolarité de la onzième à la septième avant de poursuivre jusqu'au baccalauréat. Ce n'est qu'en 1975 que cet apartheid social a été totalement aboli au profit du «collège unique» que nous connaissons aujourd'hui. Une réforme démocratique et juste, mais qui a révélé les inégalités bien plus qu'elle ne les a résolues puisque c'est l'enseignement bourgeois qui est devenu la norme pour tout-e-s. C'est donc à cette époque que les professeurs du secondaire, non préparés à l'arrivée de ces «nouveaux publics» ont commencé à crier à la baisse du niveau et que le système éducatif français a commencé sa bataille contre «l'échec scolaire» dès lors révélé.

Est-ce à dire que les inégalités éducatives sont une fatalité? Est-ce à dire que la violence des jeunes, quand bien même elle serait séculaire, est acceptable? Est-ce à dire que les tensions intergénérationnelles sont insurmontables? Assurément non, mais en méconnaissant l'histoire et les enjeux de ces phénomènes, en se bornant à croire les raccourcis simplistes martelés par des personnages politiques en mal de reconnaissance, on ne peut que proposer à ces problèmes des solutions inadaptées. Or, il en va de notre responsabilité de construire une société où chacun aura sa place et où la complémentarité des âges de la vie pourra être envisagée comme une richesse plutôt que comme une lutte de pouvoir.

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