Sports / Culture

Les eSportifs, athlètes du futur

Les adeptes des sports électroniques ne transpirent peut-être pas sur les terrains et ne soulèvent pas de la fonte, mais ils consacrent eux aussi leurs vies à accéder au plus haut niveau de leur discipline.

Le championnat de League of Legends aux Etats-Unis | ROBYN BECK / AFP
Le championnat de League of Legends aux Etats-Unis | ROBYN BECK / AFP

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Le départ d'Ibrahimovic du PSG a laissé bien des supporters parisiens orphelins. Celui qui est parti «comme une légende» pourrait pourtant continuer à marquer des buts zlatanesques pour le compte du club. En tout cas, son avatar sur FIFA pourrait rapporter la victoire aux joueurs de la team PSG eSport. Depuis début octobre, le club de la capitale a officialisé son entrée dans le monde des sports électroniques, en affichant son ambition de figurer parmi les plus grands clubs – et surtout les premiers - à marquer «l'histoire de ces nouvelles disciplines». La nouvelle doit faire réfléchir les services du ministère des Sports qui ne reconnaissent pas encore la pratique. Et faire un peu bouger les mentalités sur l'eSport.

Pour les amateurs du Canal Football Club, un athlète, un vrai, c'est d'abord un homme ou une femme qui produit un effort physique sur un terrain.Mais le Canal eSport club devrait les faire changer d'avis, tout comme le parcours de Marie-Laure Norindr. À 25 ans, celle qui se fait appeler Kayane fait partie de la trentaine de Français professionnels de l'eSport. Pour elle, la qualité d'un sportif ne se mesure pas aux litres de sueur qu'il perd en courant.

Adresse et stratégie

«Aux échecs, ils ne transpirent pas non plus, et c'est considéré comme un sport, un sport cérébral», explique-t-elle. «L'eSport, c'est à la fois un sport cérébral et d'adresse. Il faut énormément réfléchir, avoir de la stratégie, parfois de la cohésion d'équipe en fonction des jeux, et aussi de la dextérité pour y arriver, tout comme pour le tir à l'arc».

Il faut bien lui donner raison: le commun des mortels ne s'en tire pas aussi bien qu'elle avec une souris, une manette ou un stick d'arcade. «Quand les gens disent que ce n'est pas physique c'est faux, car c'est le physique qui fait tout finalement, c'est notre corps qui doit réagir à travers nos mains pour être réactif et performer au mieux.» Pour en arriver là, les eSportifs passent plusieurs heures par semaine à s'entraîner, comme n'importe quel sportif. Kayane s'exerce ainsi une à deux heures par jour pour rester au plus haut niveau.

Si malgré ça vous ne la considérez toujours pas comme une sportive, c'est votre droit, mais ne vous avisez pas de le lui dire en face. Elle pourrait bien vous mettre un flash kick en pleine tête comme Chun-li, son personnage favori. Car en plus d'avoir un palmarès impressionnant en eSport, la jeune femme pratique assidûment la boxe française.

D'ailleurs, «ce qui est fou, c'est que tout ce que j'ai appris dans les jeux de combats m'a servi dans la boxe. Il y a une notion de distance à avoir qui est exactement la même, par exemple. J'utilise aussi beaucoup les coups de pieds à la cuisse, en zone basse, parce que dans les jeux de combats, c'est la zone de faiblesse qui est plus facile à atteindre.»

 

Des champions en manque de reconnaissance

Si la rigueur que demande l'eSport n'est pas éloignée de celle du sport, niveau porte-monnaie, les champions eSportifs ne sont pas encore à égalité avec les footballeurs ou les tennismen. Pour vivre, Kayane est obligée de jongler entre les "cash prizes" des compétitions, et différents revenus issus de son activité de chroniqueuse spécialisée, de streameuse ou encore d'intervenante dans des conventions.

Mais la rémunération n'est pas vraiment le plus gros problème des eSportifs. Non, le souci majeur des champions numériques, c'est que - contrairement à leurs homologues qui évoluent crampons aux pieds - ils n'ont pas de statut reconnu. Dans un secteur de niche, guère structuré, ce n'est pas toujours facile d'avoir une reconnaissance administrative. Ainsi Kayane, ne sait jamais quel case cocher en arrivant à la douane pour une compétition à l'étranger: tourisme ou travail?

Des contrats de saison

Rémy Chanson, lui, a un autre souci: comment déclarer les joueurs de son équipe? Jusqu'à récemment, le directeur eSport de Millenium, le club n°1 en France et dans le top 5 européen, ne savait pas quel statut accorder à ses pro gamers. Sans parler des problèmes posés par le recrutement de joueurs étrangers. Mais avec la Loi Numérique portée par Axelle Lemaire, les choses changent et désormais, les clubs peuvent recruter des joueurs avec des contrats liés aux saisons eSportives.

En parallèle, il s'est associé avec d'autres acteurs du secteur pour mettre sur pied l'association France eSport, une structure destinée à répondre aux questions des clubs, des joueurs et des partenaires institutionnels. Certes, ce n'est pas une fédération, diront les amateurs de sport, mais c'en est peut-être l'embryon.

«Une fédération a un côté rassembleur et dans le sport, c'est facile puisque la plupart des clubs commencent au niveau local, donc ça permet de faire un maillage de la France. L'eSport est dématérialisé et il n'y a pas forcément de club dans toutes les régions, donc on ne peut pas faire un maillage identique à celui du sport», explique Rémi Chanson.

Sans compter qu'aujourd'hui, «le ministère du sport n'est pas particulièrement enclin à prendre l'eSport dans son giron. Donc ce copier-coller de ce qui se passe dans le sport ne pourra pas forcément se faire.» Cela ne chagrine pas trop le manager, bien conscient que ses joueurs n'ont pas besoin d'être reconnus par le ministère des Sports pour figurer parmi les plus grands champions. Et tout ça sans même transpirer.

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