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Plus un débat dure longtemps, plus il y a de chances qu'un idiot fasse une comparaison avec les nazis. Cette maxime, connue sous le nom de «point Godwin» ou de reductio at Hitlerum, empêche souvent des journalistes de comparer un politicien actuel à Adolf Hitler. Mais parfois, ce n’est pas la longueur de la discussion qui entraîne l’analogie avec les nazis: c’est le comportement du politicien. Et c’est précisément ce qui est en train d’arriver avec Donald Trump.
Pour la défense de Godwin, précisons: il n’y aura jamais un autre psychopathe de la trempe de Hitler. Le dictateur allemand professait si ouvertement sa haine, a assassiné tant de gens et incarne tellement l’infamie que tous les démagogues qui ont pu lui succéder, de Mahmoud Ahmadinejad à David Duke, ont appris à tracer, à minima, une distinction tactique entre eux et le Führer.
Et puis voilà Trump. C’est un camelot, pas un fanatique. Il ne refourgue pas sa haine aux autres. Au lieu de cela, il décrypte les ressentiments de son public et joue dessus. Il lui dit que le président Obama est né au Kenya, que Ted Cruz est un Cubain né au Canada et que Ben Carson est un adventiste du septième jour. Trump s’attaque à un juge d’origine mexicaine, à une famille de musulmans –à tout ce qui peut lui rapporter des voix. Les Juifs ne sont pas sur la liste de Trump. Son gendre et ses petits-fils sont juifs. Sa fille, Ivanka, est convertie au judaïsme. Mais Trump retweete régulièrement de la propagande extrême –Hillary Clinton avec l’étoile de David, par exemple– et il baigne littéralement dans la boue de l’antisémitisme. Et ces derniers jours, il s’est mis à évoquer l’idée d’une conspiration mondiale qui n’est pas sans rappeler les discours d’un certain politicien d’il y a un siècle.
L'esprit du temps
Pour Trump, le principal ennemi, ce sont les musulmans. Il rend tous les Américains musulmans responsables du terrorisme sur le sol des États-Unis –affirmant faussement, par exemple, que nombre d’entre eux ont été au courant de préparations d’attentats comme celui de San Bernardino l’an dernier et qu’ils ont choisi de ne pas en parler– et dit que nous n’aurions jamais dû laisser leurs parents rentrer sur notre territoire. Pour Hitler, les étrangers, c’était les Juifs. Lors d’un discours prononcé à Munich le 28 juillet 1922, il se lamentait que la nationalité allemande leur ait été accordée. Les Juifs «ont toujours formé et continueront de former un État dans l’État», disait Hitler. Voilà qui sonne de manière fort désagréable comme les avertissements de Trump sur l’instauration de la charia aux États-Unis.
Pourquoi Hitler ciblait-il les Juifs? Pour partie, il s’agissait là d’une forme de pathologie personnelle. C’était aussi, hélas, l’esprit du temps –l’antisémitisme était en vogue. Mais c’est aussi qu’Hitler s’intéressait à un type particulier de crime. Trump fait campagne contre les crimes violents. Il les impute aux immigrants, légaux et illégaux. Hitler parlait davantage de crimes culturels et financiers. Dans son discours de juillet 1922, le démagogue allemand critiquait la montée en puissance du «capital-actions» face à «la force laborieuse de la nation». A travers ce processus, accuse Hitler, «la bourse a fini par contrôler toute l’économie de la nation.» Il en appelle à un soulèvement contre les intérêts financiers étrangers: «Nous devons à nouveau disposer d’un vrai Reich allemand, fondé sur la liberté et l’honneur, une vraie patrie pour tout le peuple allemand, et pas un asile pour les escrocs venus de l’étranger.»
Hitler en revient à ces thèmes dans de nombreux discours, se plaignant de voir l’Allemagne devenue «la marionnette des forces étrangères» (septembre 1923) et déclarant que «l’État n’est pas une plantation dans laquelle les intérêts du capital étranger font la loi» (avril 1923). En avril 1922, il explique son analyse:
«Si nous nous demandons qui est responsable de nos malheurs, alors nous devons nous demander qui a profité de notre effondrement. Et la réponse à cette question est que “les banques et les bourses se portent mieux que jamais”… Il n’y a que les marchés internationaux et le capital, le capital supranational, qui a profité de l’effondrement de notre économie, le capital qui tire son caractère particulier de la seule nation supra-étatique, et qui est nationale en son cœur, qui se croit au-dessus de toutes les nations, qui se place elle-même au-dessus des nations et qui les dirige déjà. Le capital des marchés boursiers ne serait pas ce qu’il est, ne serait jamais apparu, sans ceux qui l’ont fondé: les Juifs, supranationaux car intensément nationaux.
Trump n’est pas Hitler, mais Hitler n’a pas toujours été Hitler
Trump ne parle jamais des Juifs et eu égard à sa famille, je ne pense pas qu’il le fera jamais. Mais bon nombre de ses partisans de la droite extrême l’ont déjà fait. Et au cours des dernières semaines, il a ouvert la voie à une dérive plus ouvertement antisémite de son mouvement en visant, dans ses discours, un complot financier mondial. Il a ainsi déclaré qu’une «structure globale» avait «volé notre classe laborieuse» et «privé notre pays de sa richesse». Il a déclaré que cette élite sinistre avait «dissous» nos frontières, noyé notre terre sous le flot des immigrants et «saigné le pays à blanc». Lors d’une réunion en Floride, la semaine dernière, Trump a accusé:
«Hillary Clinton rencontre en secret des banques internationales pour programmer la destruction de la souveraineté américaine afin que ces puissances financières globales puissent s’enrichir.»
Les mots de Trump font écho à un avertissement délivré à Munich en septembre 1922, quand Hitler fulminait à l’idée que le destin de 60 millions d’Allemands soit «soumis au bon vouloir de quelques dizaines de banquiers juifs». De la même manière, le mépris de Trump pour les «médias menteurs», extension naturelle du complot international, marche clairement dans les pas d’Hitler. En juillet 1922, celui-ci affirmait:
«Dans cette autre Europe, ce ne sont pas les peuples qui s’agitent contre nous, mais le pouvoir secret de la presse organisée qui diffuse sans cesse de nouveaux poisons dans les cœurs de ces peuples. Et qui sont ces bandits de la presse? Les frères et les parents de ceux qui publient nos journaux. Et la source capitale qui fourbit l’énergie qui, ici et là, les pousse, est le rêve juif d’une suprématie mondiale.»
Il n’existe aucune preuve que Trump soit antisémite. Mais historiquement, des arguments comme ceux de Trump ont mené droit à des mouvements, des politiques et des atrocités antisémites. Et s’il est rassurant de se souvenir que notre Constitution protège les minorité, rien ne nous dit que Trump et ses partisans respectent l’intégralité de ce document. Trump a d’ailleurs clairement fait savoir qu’à minima, il souhaiterait réviser les 1er, 4e, 8e et 14e amendements. Dans un discours récent, il a ridiculisé l’administration Obama pour avoir refusé, pour des motifs constitutionnels, de révoquer la nationalité d’immigrants nouvellement naturalisés. Trump répète avec insistance que Hillary Clinton devrait être «enfermée» alors qu’une enquête du FBI l’a disculpée. Il dit que ses avocats devraient eux aussi être jetés en prison. En fait, dit-il, elle n’aurait même pas dû avoir le droit de se présenter à la présidentielle.
Trump n’est pas Hitler. Mais en 1922, Hitler n’était pas Hitler non plus. Et Hitler n’était que le point culminant d’une longue ère d’antisémitisme, alimentée par des polémiques portant sur des élites étrangères qui se rencontraient soi-disant en secret pour planifier la domination mondiale, écraser les souverainetés nationales et sucer le sang du peuple. Ne nous aventurons pas à nouveau sur cette route. Ne faisons même pas mine de nous en approcher.