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Le journaliste qui a fait les révélations les plus embarrassantes à propos de Trump

Entretien avec David Fahrenthold du Washington Post, l'homme derrière deux des révélations les plus embarrassantes pour le candidat républicain.

David Fahrenthold (Bill O’Leary/Washington Post).
David Fahrenthold (Bill O’Leary/Washington Post).

Temps de lecture: 9 minutes

Si vous deviez choisir entre les trois plus gros scoops de la campagne présidentielle américaine de 2016, lequel choisiriez-vous? L’article du New York Times sur l’imposition de Donald Trump ferait sûrement partie de la liste. La couverture des affaires louches de la fondation de Trump par le Washington Post aussi. Et il y aurait également la révélation de l’enregistrement d’«Access Hollywood» où l’on entend le candidat républicain se vanter d’agressions sexuelles. Deux de ces scoops proviennent d’un seul et même journaliste.

David Fahrenthold a rejoint le Post dès la sortie de l’université en 2000. Après avoir traité à peu près tout, de l’agglomération de Washington D.C. au Congrès, il est passé à la couverture de la campagne en 2015. Sans cesse sur la brèche, c’est lui qui a mis à jour l’affaire de la fondation Trump et continue d’imposer sa marque sur le sujet depuis qu’il a commencé à écrire dessus en janvier. J’ai parlé avec Fahrenthold cette semaine. Au cours de notre conversation, qui a été retranscrite et condensée pour des questions de clarté, nous avons discuté de ses expériences de journalisme concernant Trump, de la rédaction du Post en pleine évolution et tenté de comprendre pourquoi l’enregistrement d’«Access Hollywood» lui a été envoyé.

Isaac Chotiner: Comment t’es-tu retrouvé sur cette affaire de fondation Trump?

David Fahrenthold: Tout a commencé en janvier. Il évite un débat sur Fox News parce qu’il s’occupe d’une collecte de fonds pour les vétérans. Il dit qu’il lève 6 millions de dollars, dont 1 million venant de lui. Mais c’était assez évident qu’il n’a pas levé tout l’argent qu’il disait avoir levé. Alors, je me dis que je vais vérifier. Après tout, il se pouvait que la réponse à tout ça soit très simple. Et en fait, il s’est avéré que non. Et tout cela m’a lancé sur une piste, d’abord avec l’argent des vétérans, et une fois que cette question était réglée, j’ai enquêté pour voir ce qu’il avait fait de ses autres promesses de donner à des œuvres de charité.

Quand t’es-tu dit que tu étais tombé sur un bon filon?

J’ai commencé par travailler de manière classique, si je peux dire, j’ai appelé les responsables de la campagne de Trump et aussi toutes les œuvres de charité dont ils m’avaient donné la liste. Je les ai donc appelées pour m’assurer qu’ils avaient bien reçu de l’argent, combien d’argent, et puis j’ai rappelé l’équipe de Trump en me disant qu’ils allaient me rencarder. Sauf que ça traînait, ça traînait, et rien ne venait. Le gros changement, pour moi, s’est produit fin mai, quand Corey Lewandowski [l'ancien responsable de la campagne Trump, ndt] m’a appelé pour me dire que Trump avait bien donné le million promis, mais que c’était un secret. Impossible de savoir à qui il l’avait donné.

C’était plausible.

Oui, carrément. Lewandowski a également dit que des gens avait finalement décidé de ne pas donner, mais ne pouvait pas me dire qui. Les fonds récoltés étaient très inférieurs. Alors j’ai enquêté pour tenter de comprendre si Trump avait vraiment donné cette argent. En gros, j’ai passé une journée à contacter des groupes de vétérans sur Twitter pour tenter de trouver des preuves que l’un de ces groupes aurait récolté tout ou partie de la somme. Je pensais que j’avais juste perdu une journée à tweeter sans rien trouver. Mais ce soir-là, également sur Twitter, Trump s’est lancé dans une violente suite de tweets à propos de ces gens qui posaient des questions, et c’est le lendemain que j’ai appris qu’il n’avait donné le million que lorsque j’avais commencé à poser des questions. C’était des signes. La manière dont il traitait l’argent et réagissait étaient des signes qu’il y avait probablement autre chose.

Quels ont été tes contacts avec l’équipe de Trump ou Trump lui même?

Je leur ai envoyé de très nombreuses questions par mail, auxquelles ils n’ont généralement pas répondu. Parfois si. Lewandowski a appelé, Trump lui aussi a appelé et m’a dit que j’étais un type désagréable, et puis il y a eu une très longue période de silence.

Qu’est-ce que tu as répondu quand il t’a dit que tu étais un type désagréable?

En fait, j’ai juste continué à lui poser des questions. Au lieu de me disputer avec lui pour savoir si j’étais ou pas un type désagréable, j’ai continué à lui poser des questions. Il commençait alors à répondre à une question factuelle, et puis soudain il se lançait dans des insultes. Je n’allais pas me battre avec lui pour savoir si j’étais ou pas désagréable.

Il y a peu, ils ont demandé à Boris Epshteyn, qui est un conseiller de Trump, de m’appeler. C’était sur la manière dont Trump lève de l’argent, d’où il vient. Boris m’a raconté un truc qui n’était pas vrai et je le savais. Il m’a donné une explication sur la manière dont Trump lève de l’argent et m’a dit que Trump ne reçoit jamais d’argent personnellement et qu’il le transfère vers sa fondation. J’ai immédiatement dit: «Vous êtes sûr?» Et il m’a répondu: «Prouvez que c'est faux. Prouvez-le.» Je lui ai donné un exemple et il m’a dit: «Prouvez-moi là aussi que j’ai tort.» Mes relations avec eux ont été bizarres, souvent ils m’ont raconté des choses qui se sont avérées fausses au final.

Et le droit fiscal, tu l’a appris ou tu t’y connaissais déjà?

Je suis parti de zéro. Je n’ai jamais couvert un sujet pareil, et mes connaissances étaient nulles. C’est d’ailleurs ce qui a été intéressant dans tout ce processus. Il y avait des choses que j’avais trouvées des mois auparavant, mais je n’avais pas compris leur importance. Un exemple: les 100.000 dollars qu’il paie pour régler les problèmes légaux de Mar-a-Lago [sa résidence de Floride, ndt]. Il a utilisé l’argent de sa fondation pour les payer. J’avais découvert ça il y a des mois, mais je ne savais pas qu’il n’avait absolument pas le droit de le faire. C’est un conflit d'intérêts. Je ne savais même pas ce que c’était, d’ailleurs. J’ai commencé en me disant que j’allais tenter de comprendre comment Trump donnait de l’argent, et je me retrouvais à me demander ce qu’il faisait de l’argent que d’autres personnes lui donnaient. Et là, je ne comprenais rien.

Qui t’a donné accès aux enregistrements de «Access Hollywood»?

Je ne peux pas le dire.

Zut, je pensais que je pouvais te faire lâcher le morceau en glissant la question entre deux.

Tu te prends pour Howard Stern?

Est-ce qu’on te l’a envoyée à cause de la réputation que tu t’es faite avec l’histoire de la fondation, d’après toi?

Et bien, je n’en sais trop rien. Mais ce que je peux dire, c’est effectivement que parmi les quelques personnes qui m’ont donné des tuyaux, il y en a certaines qui m’ont connu grâce à ça. Je ne peux pas dire quel rôle exact ça a joué, mais je peux dire que globalement, j’ai reçu pas mal d’infos grâce à ces articles.

C’est pourtant deux affaires totalement différentes, une qui nécessite du temps et des efforts pour l’étudier, et une autre qui te tombe toute cuite dans le bec. Mais elle t’est peut-être tombée dans le bec à cause de la première?

C’est marrant de se dire que j’ai passé tout ce temps à comprendre les tenants et aboutissants des lois d’imposition de l’État de New York, les lois fédérales sur les fondations, et de me dire que l’affaire qui fait le plus de bruit, c’est une chose pour laquelle il n’était pas nécessaire d’avoir la moindre formation juridique. Pourtant, cette affaire des lois d’imposition y a mené. Mais je pense qu’entre une affaire avec du sexe et une affaire sur une fraude au code des impôts, il est vraiment très rare que ça soit la seconde qui l’emporte.

Est-ce que ton attitude ou celle des gens dans la rédaction a changé après que Trump vous a pointé du doigt en juin, en disant qu’il ne donnerait plus d’accréditations pour les journalistes du Post à ses meetings?

Les gens que cela a vraiment affecté sont des gens comme Jenna Johnson, Jose DelReal, Sean Sullivan, qui étaient chargés de le couvrir. Ils te racontent qu’ils ont fait la queue pendant des heures avec le public et qu’arrivés à la porte, on leur a dit que c’était plein. Pour eux, ça a été dur, mais bon, je les vois rarement. Le plus gros changement, c’est que le champ de notre couverture s’est rétréci. Et ça nous a permis de nous concentrer encore plus sur Trump. On courait après tous ces gens. Trump est un sujet vraiment compliqué, un candidat sur lequel il est difficile d’écrire. Et c’est encore plus dur quand on doit parler de toutes les personnes de son entourage.

Sous l’ancienne direction, le Washington Post était connu pour mettre un point d’honneur à faire preuve d’une grande objectivité. Quand tu as écrit un article sur la paperasse gouvernementale en 2014, la gauche t’a critiqué pour avoir laissé penser que cette question était une urgence absolue. A présent, tu t’attaques sans relâche à un candidat républicain.  Tu as changé, les idées du Post sur la couverture d’un événement ont changé ou est-ce que c’est juste Trump ?

Je n’ai couvert que deux campagnes présidentielles et mon rôle, lors de la dernière, était très différent. Chaque jour, on me donnait les nouvelles du jour et je faisais de la réécriture. Cette fois, j’ai eu l’opportunité de me concentrer davantage sur les reportages. Pour moi, ce qui change avec Trump, c’est qu’on ne réalise pas, et je ne l’avais pas non plus réalisé avant, que la presse politique s’attend –et moi inclus– à un rythme implicite de comportement des personnes publiques après une sortie embarrassante ou un acte honteux. Commencer par une pirouette, avant de présenter des excuses et de s’excuser encore. Une sorte de rituel et de cycle des infos, que chacun attend. Mais Trump n’a pas respecté ce rythme durant les primaires, pas plus que maintenant. Il va dire quelque chose d’insultant sur les Mexicains ou sur un juge, des choses qui, par le passé, aurait lancé ce cycle. Et il continue. Le défi, pour nous, c’était de tenter de couvrir son actualité en oubliant ce rythme implicite bévue-minimisation-excuses-nouvelles excuses, sans attendre qu’il nous explique à quel point ce qu’il avait fait ou dit était terrible ou honteux.

Ton écriture semble avoir changé, aussi. C’est comme si tu avais davantage les mains libres. Est-ce que cela vient de la prise de fonction de Marty Baron comme rédacteur en chef du Post, où as-tu juste changé d’optique?

C’est intéressant. Pour moi, l’expérience sur laquelle j’essaie de m’appuyer, c’est celle de ces articles sur la paperasserie gouvernementale de 2014-2015. Ils ressemblent à ceux sur la fondation, dans le sens où ils portent sur des choses obscures, comme des règles ou des systèmes. Ils sont très compliqués. Dans ces articles, j’ai toujours essayé d’employer un style direct et de faire usage de métaphores, de citations hautes en couleur, afin de faire en sorte de ne pas perdre le lecteur quand j’entrais dans le dur. C’est aussi comme ça que j’ai travaillé sur les fondations. Et je suis content d’avoir eu la liberté de l’écrire.

Comment est Marty Baron [ancien directeur de la rédaction du Boston Globe, immortalisé par Liev Schreiber dans le film Spotlight, ndt] en tant que directeur de la rédaction? Est-ce que ta relation avec lui a changé?

Je le connais assurément mieux. Il a toujours été bienveillant à mon endroit, mais nous n’avons jamais travaillé directement ensemble et nous n’avons pas tant parlé ensemble que cela. Nous nous sommes beaucoup plus parlé sur cette affaire. Il y a eu des débats. La majorité de mes articles sur le gouvernement ne s’appuyait pas sur des témoignages anonymes.

Il fait partie de ceux qui, dès le départ, m’ont dit, après l’affaire des donations aux vétérans, qu’on devrait s’intéresser de plus près à la fondation Trump. C’était une bonne idée. Cette idée m’a d’ailleurs guidée au cours des mois suivants. Du coup, je le vois plus qu’avant.

Tu parles à Bezos?

Non. Je pense qu’il connaît sans doute mon nom, mais je ne lui ai jamais parlé.

Les bons d’achat Amazon ont été mis au courrier, t’inquiète.

C’est sûr. Et j’ai un bébé à la maison, donc on devrait permettre à Amazon de survivre.

Quel est ton sentiment avec la fin de l’élection qui se profile: «Merci mon Dieu» ou «Je vais continuer parce que je crois que j’ai découvert quelque chose»?

Pendant longtemps, ma crainte était de tomber à cours de matériel pour écrire avant la fin de l’élection. Ça n’est plus le cas. C’est plutôt le sentiment opposé. Il y a des choses sur la fondation Trump et ses dons aux œuvres de charité que j’aimerais bien connaître. J’ai peur de ne pas avoir assez de temps pour tout découvrir.

Mon petit doigt me dit qu’il ne va pas disparaître de la vie publique.

C’est sans doute vrai. Après l’élection, s’il gagne, ce travail sera vraiment très pertinent et je continuerai sans doute d’écrire sur ce sujet. S’il perd, et à compter qu’il n’y ait pas de retombées judiciaires avec le procureur général de New York et qu’il ne soit plus candidat, j’’aimerais bien en retourner à ces histoires de gaspillage gouvernemental. J’adore ce sujet.

Les impôts c’est pas assez sexy, alors retour au paperasseries gouvernementales?

Ce qui est paradoxal avec la fondation Trump, c’est qu’elle était plus facile à couvrir, car il y a moins de zones grises. L’histoire, ça n’est pas qu’il a donné 50.000 dollars de sa poche et que je suis là à dire que «en tant que milliardaire, il aurait dû donner un montant x fois supérieur». Le truc, c’est qu’il n’a RIEN donné! Il n’a rien donné à sa fondation. Il n’a apparemment rien donné entre 2008 et le mois de mai dernier. C’est donc plus facile, parce que c’est vraiment du noir et blanc.

Les revenus liés aux clics sur cet article iront à ma fondation, alors je te dis merci.

Génial. Assure-toi de faire souvent des portraits. Ça paie bien.

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