Culture

Bob Dylan nobélisé ou la revanche des sans-lettres

Certes, il n'a pas écrit de romans: il a fait encore mieux, il a composé des dizaines, des centaines de chansons qui valent toutes les compositions littéraires de la terre.

Bob Dylan aux Vieilles Charrues à Carhaix, le 22 juillet 2012 | FRED TANNEAU / AFP
Bob Dylan aux Vieilles Charrues à Carhaix, le 22 juillet 2012 | FRED TANNEAU / AFP

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Je ne sais pas si Dylan est un poète, un musicien, un chanteur, un troubadour, un funambule, un clown, une icône, un génie, un saltimbanque, un voyant, un visionnaire, un conteur, un fabuliste, un ensorceleur, un versificateur, un Juif aux semelles de vent, un Christ sans épines... et je crois bien que je m'en fiche éperdument. Il est sûrement tout cela à la fois et encore plus. Il est tout simplement Bob Dylan.

Il est le prince des nuées, il est le fou du roi, il est le bouffon des tragédies shakespeariennes, il est un livret d'opéra à lui tout seul, il est Rimbaud sous amphétamines, Verlaine en lunettes fumées, il est Malcolm Lowry et il est T.S Eliott, il est le Verbe et il est le fils d'Abraham, il est la Résurrection et il est l'Homme Tambourin, il est tout ce que les autres ne sont pas: il est unique.

Certes, il n'a pas écrit de romans: il a fait encore mieux, il a composé des dizaines, des centaines de chansons qui valent toutes les compositions littéraires de la terre, il a dépoussiéré la poésie et l'a installée sur des microsillons, il a rivalisé de trouvailles linguistiques, il a écrit des vers sans queue ni tête qui, comme une illumination rimbaldienne, vous trottent dans l'esprit comme des messages de l'au-delà, il a passé sa vie à se réinventer et il a réinventé nos vies-mêmes.

Il a été maître en délire surréaliste, en visions fabuleuses, en symphonies orgiaques, il a soufflé dans le vent, il a tambouriné à l'entrée de nos âmes, il a frappé à la porte du ciel, il a chanté la complainte de la roue de la désolation, il a réuni Einstein et Bette Davis à bord d'un train fantôme, il a donné naissance à un monde dont les palpitations ont fait vaciller les puissants et les donneurs d'ordre, il a mis du désordre dans les consciences, il a marché sur le Colisée et il a parlé aux Dieux de l'Olympe.

Que ceux, pisse-froids des boulevards Saint-Germain, culs-terreux de l’exégèse linguistique, pétomanes de l'aristocratie littéraire, faussaires de tout bord qui aiment tant célébrer les imposteurs et les nègres des romans mécontemporains, restent à barboter dans leurs petites indignations rassises: Dylan et ses thuriféraires vous saluent bien bas, la poésie est descendue dans la rue, s'est invitée à bord des trois tonnes qui illuminent la grande nuit américaine, à l'arrière des décapotables parquées aux Drive-In de nos mélancoliques adolescences, tout en haut des cieux illuminés de l'éternelle jeunesse qui jamais ne se soumettra aux temps anciens. Bon débarras!

Vous n'avez jamais rien compris aux sortilèges de l'enfant prodigue, il n'est pas des vôtres et c'est heureux: vous êtes morts depuis bien longtemps, vous êtes les petits marquis d'un monde révolu et à jamais disparu, vous avez la flamboyance desséchée de fossoyeurs de cimetières anciens, vous êtes sourds; Dylan, lui, a le verbe joycien, la fantasmagonie biblique, la clé de toutes les parades surréalistes:

«And if you hear vague traces of skipping reels of rhyme
To your tambourine in time
It's just a ragged clown behind
I wouldn't pay it any mind
It's just a shadow you're seeing that he's chasing»

La fête vient de commencer, venez, venez tous, pas besoin de ticket d'entrée, de passe-droits ou de références, le monde est à vos pieds, chapeau, guitare et harmonica, voilà les seules choses dont vous aurez besoin, l'apocalypse attendra encore un peu. Aux fontaines coulent des mascaras d'absinthe, les statues des belles dames du temps jadis gisent sur les pelouses noires de leur sang séché, les rivières dansent dans les firmaments d'étoiles filantes, la nuit sera longue, les matins à coup sûr blêmes, mais qu'importe! Dylan est roi dans son royaume et nous sommes tous ses ouvriers.

«Cris, tambours, danse, danse, danse!», écrivait Arthur Rimbaud.

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