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Le vrai scandale des réductions d’imposition de Trump, c’est qu’elles sont légales

Et seulement accessibles à des gens comme Trump.

SAUL LOEB / POOL / AFP
SAUL LOEB / POOL / AFP

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Des histoires d’adultère à celle de l’immigration illégale, la distance entre la manière dont Donald Trump mène sa vie et ses affaires et ce qu’il dit dans sa campagne est sans doute équivalente à celle qui sépare la Trump Tower de sa résidence de Mar-a-Lago, en Floride. Il a proclamé que les quatre faillites de sa carrière de businessman démontraient à quel point il était malin. Il se vante de sa philanthropie, alors même que sa fondation privée semble n’être rien d’autres qu’une gigantesque tirelire personnelle.

Et puis, il y a la question des impôts. Voici ce qu’en disait Donald Trump en 2012:

(La MOITIÉ des Américains ne paient pas l’impôt sur le revenu malgré la dette colossale du gouvernement.)

Sauf qu’il apparaît désormais que Trump pourrait bien faire partie de cette moitié des Américains. Car il n’est pas forcément besoin de bénéficier des programmes d’aides du gouvernement pour y échapper.

Un anonyme a donc adressé au New York Times la première page de la déclaration de revenus de Trump et de sa seconde épouse, Marla Maples, pour l’année 1995 dans les États de New York, du New Jersey, et du Connecticut. On peut y lire que le couple y déclare une perte cumulée de 916 millions de dollars. Selon les experts en fiscalité interrogés par le New York Times, voilà qui aurait pu permettre à Trump d’éviter de payer tout impôt fédéral sur les revenus au cours de la majeure partie des deux décennies suivantes.

Le dédale des niches fiscales

Mais n’allez pas imaginer que cela pourrait vous arriver. Comme F. Scott Fitzgerald l’avait fait remarquer, les riches sont différents de vous et moi. Et voilà une des choses qui contribue à les favoriser: une pléthore de niches fiscales et de dispositifs dont nous autres ne saurions pas même rêver.

Petit rappel: au cours des années qui précèdent cette déclaration de revenus de 1995, Trump connaît de sérieux revers financiers. Il a acheté une petite compagnie de navettes entre aéroports dans le Nord-Est ainsi que le célèbre Plaza Hotel de New York pour 400 millions de dollars avant de les perdre tous les deux par suite d’échecs retentissants, notamment dans ses casinos d’Atlantic City. Trump déclare la faillite de sa société pour la première fois en 1991, puis de nouveau en 1992.

Tout cela devrait qualifier Trump comme un mauvais homme d’affaires, bien qu’il passe son temps à affirmer le contraire. Mais s’il est un domaine dans lequel Trump est effectivement passé maître, c’est celui de la connaissance du code des impôts. Ou la capacité à se payer les services de personnes qui le connaissent. Comme le New York Times l’a expliqué, ces déclarations qui ont fuité «suggèrent que M. Trump a su tirer parti des généreuses niches fiscales spécifiquement destinées aux promoteurs immobiliers privés pour prétendre à une perte de 15,8 millions de dollars sur ses biens et partenariats immobiliers».

 M. Trump a su tirer parti des généreuses niches fiscales spécifiquement destinées aux promoteurs immobiliers privés pour prétendre à une perte de 15,8 millions de dollars sur ses biens et partenariats immobiliers

Les 900 autres millions de pertes, quant à eux, ont été cumulés au fil des années. Mais comme nous ne disposons que de la première page de la déclaration, nous en sommes réduits à spéculer sur les pertes, réelles ou de papier, qu’ils représentent et nous ignorons si les États de New York, du New Jersey et du Connecticut –sans parler de l’État fédéral– ont accepté ces déclarations de revenus ou les ont contestées. Mais au vu du montant déclaré des pertes, une bonne proportion «doit avoir un lien avec l’immobilier. Il n’y a guère que dans ce domaine que l’on peut perdre autant d’argent», me confie Edward Kleinbard, professeur de droit et d’imposition à l’University of South California.

L'immobilier, un secteur à part

Dans le domaine des promoteurs immobiliers, cumuler de telles pertes n’a rien d’inhabituel. «Il est courant qu’un promoteur immobilier travaille à perte en raison des fluctuations et des intérêts», poursuit Klainbard. Et voilà une des raisons: avant le Tax Reform Act de 1986, comme Justin Miller l’a écrit dans un article que je vous conseille de lire dans American Prospect, n’importe qui peut intervenir dans un partenariat immobilier et ensuite déclarer la perte dans sa déclaration d’impôts, ce qui réduit la note à régler.

L’Internal Revenue Service (IRS), organisme chargé de la collecte de l’impôt et des taxes aux États-Unis, redresse donc un peu la barre, mais la législation de 1986 ne met pas du tout un terme à l’évasion fiscale. Car les professionnels de l’immobilier continuent de faire pression et obtiennent gain de cause –pour eux-mêmes, au moins. Dans les années 1990, les «professionnels» de l’immobilier –définis comme les personnes travaillant dans l’immobilier au moins 750 heures par an– obtiennent le droit de soustraire leurs pertes à leur revenu personnel.

Encore mieux, le code fédéral des impôts permet aux barons de l’immobilier de déprécier leurs biens durant certaines périodes. Ils peuvent le faire quand bien même la propriété en question a une valeur supérieure à celle d’achat. Pour quelqu’un comme Trump, c’est un avantage colossal. Cette «perte» peut totalement combler les autres revenus.

Il convient bien sûr de noter –ce que fait le New York Times– que Trump tire parti d’autres failles du système, pas forcément liés à l’immobilier, mais plus probablement aux tribulations de ses diverses compagnies dans les années 1990, et qui ne sont accessibles qu’aux personnes très fortunées. Comme l’écrit le New York Times:

«Mais la plus importante révélation de ces déclarations de revenus de 1995 c’est que M. Trump aurait bien pu bénéficier d’une disposition fiscale qui particulièrement prisée des grandes dynasties américaines qui, comme Trump, protègent leur argent par le biais d’un réseau complexe de partenariat, de compagnies à risque limité et de corporations à transparence fiscale.

 

Ce dispositif, connu sous le nom de Net Operating Loss ou N.O.L. permet à une gamme vertigineuse de déductions, d’exemptions, de dépréciations de valeur immobilière, de pertes issues de la vente de biens commerciaux et même de pertes d’exploitations de sortir des exercices comptables de ces partenariats, compagnies à risques limités et corporations pour atterrir sur la déclaration de revenus de personnes comme M. Trump. À leur tour, ces pertes peuvent être utilisées pour annuler un montant équivalent de revenus imposables comme, par exemple, les royalties d’un livre ou des ventes de marques.»

«L’IRS plie très souvent devant les puissants»

En d’autres termes, Trump est loin d’être seul. Il n’est simplement qu’un des rares millionnaires à avoir tellement cassé les pieds d’une personne ayant accès à ses déclarations d’impôts que cette dernière a eu l’envie de la transmettre au New York Times. «L’IRS plie très souvent devant les puissants», comme l’explique Jeff Hauser, directeur du Revolving Door Project, un think tank du Center for Economic and Policy Research qui étudie la manière dont des politiques passent dans le privé et réciproquement.

«Si vous n’avez aucune morale, ce que vous pouvez obtenir en termes d’avantage est vertigineux.»

Pourquoi? Déjà parce que les nombreuses manières de réduire le montant de l’imposition, comme l’imputation des pertes d’exploitation, sont parfaitement légales. Et même si la déduction est discutable, l’IRS doit effectuer une enquête et prouver la fraude. Les contribuables les plus riches ne sont pas réputés pour baisser rapidement les armes –et ils peuvent se payer une petite armée de comptables et d’avocats pour tenir l’IRS à bonne distance.

Si vous n’avez aucune morale, ce que vous pouvez obtenir en termes d’avantage est vertigineux

Combien, parmi les 0,01% des plus riches des riches usent de telles pratiques? C’est un mystère, mais la proportion est sans doute considérable. On a pu s’en rendre compte il y a quelques mois avec les «Panama Papers», cette fuite de documents issus d’un cabinet panaméen qui aidait les élites du monde à cacher leur argent, en constatant que les Américains en étaient pour ainsi dire absents. Bien sûr qu’il n’y en avait pas, a-t-on pu rapidement entendre: déjà parce que la compétition pour récupérer l’argent des 0,01 est intense. Pourquoi aller au Panama quand on peut aller aux îles Caïmans? Mais surtout parce que de nombreux États, dont particulièrement le Delaware, autorisent les Américains à créer des sociétés anonymes, ce qui leur permet de déplacer rapidement leur argent d’une société à une autre.

À perte

Certes, vous et moi n’avons guère accès à ce genre d’avantages. Imaginons, par exemple, que vous ayez commis une erreur d’investissement il y a quelques années en achetant des actions de Groupon. À un moment donné, elles valaient plus de 25 dollars, mais ces derniers temps, elles tournant autour de 5 dollars. Si vous décidiez de vous débarrasser de ces actions, vous les vendriez à perte. Le code des impôts vous permet d’utiliser cette perte pour compenser un gain sur les marchés –imaginons que vous ayez acheté des actions Facebook quand elles valaient 18 dollars en 2012 et que vous les ayez revendus à 128 dollars, leur valeur de la semaine dernière. Une bonne affaire, pas vrai? Mais vous ne pouvez pas utiliser ces pertes pour ne pas payer d’impôts sur vos revenus divers. Les impôts sur les gains de capitaux ne fonctionnent pas de la même manière que les pertes d’exploitation.

Et qu’en est-il de l’immobilier? Si vous vendez votre maison à perte ou qu’elle est saisie, l’IRS compte la remise de dette comme un revenu. Vous n’obtiendrez une déduction d’impôt que si vous dépensez la somme récupérée pour l’achat de votre résidence principale (les résidences secondaires ne comptent pas!), et la somme est limitée à 1 million de dollars, 2 millions si vous êtes un couple et que vous remplissez conjointement votre déclaration. Cet argent doit impérativement être utilisé pour l’achat. Vous n’êtes pas un investisseur immobilier professionnel. Trump si, et il peut donc déduire ses pertes de son revenu personnel.

Éloge du riche malin

Est-ce que cela change quelque chose pour les partisans de Trum? J’en doute. Car fort adroitement, Trump n’a jamais prétendu être un citoyen au-dessus de tout reproche. Ce qui attire de nombreux électeurs chez lui, c’est qu’il se présente comme un type malin qui a su tirer parti du système pour faire prospérer ses affaires et que c’est ce qu’il va maintenant faire pour le pays. C’est sa filouterie assumée qui attire de très nombreux électeurs.

Personne n’a fait montre de plus de génie dans l’art d’utiliser le code des impôts

Et c’est très probablement là-dessus que Trump va jouer pour contrer la campagne de presse née des révélations du New York Times. Rudy Giuliani, ancien maire de New York, a affirmé à la télévision que la déclaration d’impôts de Trump diffusée par voie de presse, démontrait qu’il était «un génie absolu», tandis que Chris Christie, gouverneur du New Jersey, affirmait que «personne n’a fait montre de plus de génie dans l’art d’utiliser le code des impôts». L’équipe de campagne de Trump a publié une réponse à l’article du New York Times, où l’on peut lire: «M. Trump est un homme d’affaire brillant, qui a la responsabilité financière, tant pour ses entreprises que pour sa famille et ses employés, de ne pas payer plus d’impôts qu’il n’y est légalement tenu.»

Voilà une déclaration bien hypocrite. Trump n’a aucune responsabilité financière à payer le moins d’impôts possible. Et quand bien même ce serait le cas, les partisans de Trump ne s’en soucieraient guère. Nombre d’entre eux ne semblent pas du tout dérangés par ses combines. Ils voudraient juste pouvoir en profiter.

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