France

Jean Leonetti, la caution sudiste et centriste d'Alain Juppé

L'ex-ministre des Affaires européennes, député-maire d'Antibes, est l'un des rares soutiens du candidat dans les Alpes-Maritimes. Fidèle en amitié, à ses convictions et, au fond, fidèle à lui-même et à sa première vocation: la médecine.

Jean Leonetti I VALERY HACHE / AFP
Jean Leonetti I VALERY HACHE / AFP

Temps de lecture: 8 minutes

Antibes (Alpes-Maritimes)

En politique, il y a deux types de personnages. Ceux qui vous consacrent quelques minutes, blasés d'avoir à répondre à vos questions ou soucieux de ne pas perdre leur temps en justifications inutiles (Juppé est de ceux-là). Et puis il y a les autres, sincères et authentiques, qui s'attablent pour détailler, expliquer, sourire et plaisanter. Ceux-là vous regardent dans les yeux, ne pianotent pas sur leurs portables et s'attardent à comprendre.

Clairement, Jean Leonetti appartient à la seconde catégorie. C'est un homme qui ne travestit pas, sans toutefois se dévoiler totalement. Question de pudeur, peut-être. «“Leo”, c'est quelqu'un de très abordable», soutient Alexandra Borchio-Fontimp, conseillère municipale à Antibes et élue au département, fidèle à celui qu'elle compare parfois à son «papa en politique» qui lui a «appris à marcher» (il faut dire qu'elle a fréquenté le même collège que l'une des filles Leonetti).

«Qu'il aille remettre un coupe à un tournoi de pétanque ou qu'il préside un Congrès sur la santé, il s'adapte, ajoute-t-elle à propos du député-maire d'Antibes. Il ne joue pas. Souvent, il lui arrive de faire des déplacements sur le terrain sans fiches ni collaborateurs...»

En 1995, Pierre Merli lui transmet la mairie. Leonetti, qui est son médecin et le sait malade, sera mal élu: «Depuis bien longtemps, Merli avait sans doute une idée derrière la tête. Avant moi, d'ailleurs!». Il n'en faut pas plus pour dire que Leonetti est tombé en politique par hasard: «Non, je n'y crois pas, au hasard», tranche-t-il.

Quelques mois plus tard, la députation s'ouvre à lui. Il est UDF et se rend chez Jean-Claude Gaudin, patron des centristes dans la région, pour avoir son avis. «Je ne veux pas devenir député», souffle Leo devant le nouveau maire de Marseille.

«Mais tu n'as pas le choix, lui rétorque tout simplement Gaudin. Tu n'as pas le choix. Tu vas te présenter, tu seras élu, tu seras encore plus fort pour défendre ta ville. D'ailleurs qu'est-ce que tu m'emmerdes avec tes conneries, je ne te demande pas ton avis... Tu es déjà député! Allez, à bientôt...»

Aujourd'hui, Leonetti a toujours été réélu au premier tour –avec 51, 10% en 2012, 63,99% en 2007 et 53,1% en 2002... Le juppéiste n'a pas de secret à dévoiler (ou alors il le conserve précieusement) et jure s'entendre avec tout le monde dans le département, pourtant ultra-sarkozyste.

«Il inspire le respect, glisse Borchio. On dit souvent qu'Antibes est au centre du département, à la fois géographiquement mais aussi politiquement. Et Leonetti incarne ce centre modérateur

À la fois proche de Nice mais éloignée du tumulte de sa voisine, Antibes profite à fond de l'essor économique de Sophia-Antipolis. Ce qui donne à la ville une sorte d'indépendance.

Un département ultra-sarkozyste

Lorsqu'il a fallu faire la tournée des parrainages, Nicolas Sarkozy a tenu à ce que le département des Alpes-Maritimes, celui de son «ami» Christian Estrosi et de son porte-parole Éric Ciotti, fasse carton-plein. Résultat, la pression a été forte –même si Christian Estrosi a tardé à annoncer son soutien à Nicolas Sarkozy. Ainsi, la sénatrice de Menton Colette Giudicelli a finalement retiré son parrainage à François Fillon... pour le donner à l'ancien chef de l'État.

«Contrairement à ce qu'elle a pu dire, ce n'est pas à cause de la phrase de Fillon sur le Général de Gaulle mis en examen, croit savoir un proche de l'équipe Fillon. Elle a subi des pressions, tout simplement

Moi, je fais des compromis de détail. Mais je ne lâche rien. Et si on me cherche, on me trouve»

Jean Leonetti, centriste pas mou

S'il n'en impose pas physiquement, Leonetti n'est pas un type à qui l'on met la pression. «On reproche parfois aux centristes d'être dans le consensus mou et de caler devant l'obstacle, se défend-il en rigolant, se balançant d'avant en arrière sur le siège qui borde la table à côté de son bureau de maire. Mais depuis quand vouloir le consensus empêche d'avoir de l'autorité? Moi, je fais des compromis de détail. Mais je ne lâche rien. Et si on me cherche, on me trouve

Certains oublient que Leonetti est né à Marseille. Son arrière-grand père était un berger corse. Foudroyé, il a décidé d'embarquer toute la famille à Marseille. La suite? Un père journaliste à Nice-Matin, une mère qui écrit des romans historiques, après avoir été tous deux instituteurs. Famille de gauche, tout simplement.

«Leo, il ne fait pas d'histoires. Il dit: “ne critiquez pas, proposez”», lâche-t-on dans son entourage quand on demande quelle est la méthode Leonetti. «Par exemple, soit on adore Ciotti, soit on le déteste, parce qu'il est très à droite. Mais tout le monde adore Leonetti.» Forcément, sur cet amour du consensus, on est tenté de rapprocher Juppé et Leonetti –qui écrivit un jour un livre titré Le Principe de modération–, à l'heure où la politique se gausse de ruptures et de clivages, pour mieux panser les plaies d'une société gangrenée par le chômage et le communautarisme. Mais lorsqu'on demande à Leonetti pourquoi il soutient l'ancien Premier ministre, il dit d'abord: «L'amitié. Et l'admiration

Les deux hommes furent ensemble à la fondation de l'UMP en 2002. Leonetti rédige la Charte des valeurs du nouveau parti unique de la droite... et du centre, fusion du RPR et de l'UDF. À cette époque, un certain Laurent Wauquiez prend la dictée et note ce qu'on lui dit de noter. Fidèle encore à Jacques Barrot, il semble plus d'accord avec Juppé qu'avec la Droite populaire.

«Deux personnes m'ont impressionné en politique, prolonge Leonetti. Giscard, dans sa période flamboyante, c'est-à-dire après sa défaite. Il avait une finesse d'analyse... Et Juppé. Je n'ai jamais vu un esprit si prompt. Il y a chez lui une pudeur qui ressemble à de la froideur mais qui cache en réalité une extrême sensibilité et une hauteur de vue. Il va très vite et donc s'impatiente que tout le monde ne soit pas aussi rapide que lui...»

Avant de partir au Canada, suite à sa condamnation dans l'affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris, Juppé glisse à Leo: «À mon retour, je veux qu'on travaille ensemble.» Il se passera huit ans avant que leurs chemins ne se croisent vraiment. En 2011, Jean Leonetti entre dans le gouvernement Fillon III. Pas vraiment à la place qu'on lui laissait espérer. Mais qu'importe: si le ministère de la Santé lui a échappé, il se retrouve tout de même au Quai d'Orsay, comme ministre des Affaires européennes aux côtés d'Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères. Et puis, sous Sarkozy, un ministre de la Santé laisse-t-il vraiment une empreinte? Lui a déjà donné son nom en 2005 à une loi sur la fin de vie qui fait autorité à la fois chez les médecins et chez les politiques?

«J'avais une méfiance pour la politique»

Comme toujours, la nomination est assez rocambolesque: «Bon, écoute, Leo, tu seras ministre un an mais tu pourras faire beaucoup de choses», lui promet Sarkozy. Quelques heures avant ses premières questions au gouvernement, il va voir Juppé pour dresser sa feuille de route. Il a bûché toute la nuit. Leonetti détaille à son ministre de tutelle les quatre grands sujets auxquels il va s'attaquer. Il termine puis: «Ok, tu es libre maintenant», lâche Juppé, qui le soutiendra souvent lors des arbitrages entre ministères.

«Avec lui, on en apprend tous les jours, poursuit Leonetti. Et puis, le langage diplomatique impose un certain équilibrisme. Il y a toujours des difficultés

Notamment ce jour où, emporté par son verbe, il sort de son discours et déclare, outrepassant les éléments de langage validés par Matignon, le Quai et l'Élysée, que la France apporterait un soutien «militaire» à Israël si celle-ci était «menacée dans son existence». Tollé des ambassadeurs et des fonctionnaires du ministère. Leonetti veut faire machine arrière. Juppé l'appelle: «Tu ne retires rien. La France est l'amie d'Israël

Je n'ai jamais vu un esprit si prompt. Il y a chez lui une pudeur qui ressemble à de la froideur mais qui cache en réalité une extrême sensibilité et une hauteur de vue

Jean Leonetti sur son ami Alain Juppé

Au fond, ce qui les rapproche, c'est aussi une passion pour leur ville. Antibes, Bordeaux, pourtant très éloignées l'une de l'autre mais qui font dire à Leonetti que Juppé voit les choses de façon plus pragmatique que ses adversaires de la primaire (qui n'ont pas été maire d'une si grande ville...). Pourtant, entre l'énarque premier de la classe et le médecin, chef du service cardiologie à 29 ans, qui est passé à côté de Mai-68 et débuté la politique à 40 ans, les différences sont également nombreuses.

«J'avais une méfiance pour la politique, juge Leonetti. Pour moi, ça n'était pas parfaitement noble et propre

En 2012, la défaite est sévère. Leonetti a joué le jeu jusqu'au bout, fidèle à celui qui l'a nommé ministre. Mais quand Sarkozy jete l'éponge, il veut que Juppé prenne le parti. «Toi seul peut apporter la paix», dit-il avec ses amis, qui louent la stabilité du bonhomme dans la tempête qui s'annonce. Juppé hésite. Sa priorité, c'est d'abord Bordeaux. Leonetti soutient Le Maire face à Fillon et Copé. Puis Fillon quand Le Maire renonce. C'est la guerre. Puis Sarkozy revient. Cette fois, le paysage politique s'éclaircit à droite et les positions se font plus nettes. «En réalité, le choix qu'il faudra faire en 2017, c'est entre deux méthodes, deux façons de faire de la politique et deux visions du monde

Sous-entendu: d'un côté le «rassemblement» souhaité par Juppé, qui vante «l'identité heureuse» et s'ouvre aux déçus du hollandisme. De l'autre les «clivages» sur l'islam et le terrorisme, réclamés par Sarkozy qui veut réparer un pays en proie au doute et qui souffre de n'être plus entendu. Quand le dernier est prêt à tout, le premier refuse d'instrumentaliser les affaires judiciaires. Il donne des ordres à ses équipes de ne pas dire du mal de son adversaire sur ce plan-là. Comme dirait l'autre, avec cette manœuvre, il a intellectuellement raison mais politiquement tort.

Derrière les hommes, c'est une véritable refondation idéologique qui attend la droite, qui reste largement divisée malgré les apparences. Une droite qui ne plus s'empêcher de penser, laissant à la gauche le monopole de l'intelligence qu'elle s'arroge sans raison. Or, sur ce plan, depuis 2002, l'UMP s'est centrisée, adoptant les idées de l'ex-UDF même si ses dirigeants, eux, sont presque exclusivement RPR.

«Depuis des années on avait décidé de poser nos questions à l'Assemblée au nom du groupe UDF-RPR, rectifie Leonetti. Ce qui est vrai, c'est que le RPR a accepté la décentralisation et l'Europe. Et que l'UDF est allé vers l'autorité... Je pense qu'on ne peut gagner la présidentielle qu'avec l'union de la droite et du centre

Charles Pasqua aurait corrigé: «À l'UDF il y a les élus, au RPR nous avons les électeurs!».

Seul maire qui ne prend pas d'arrêté anti-burkini

Ce soutien à Juppé, finalement, c'est la victoire des Girondins sur les Jacobins. Récemment, Leonetti a pu exercer sa méthode en refusant d'appliquer un arrêté anti-burkini dans sa ville quand toutes les communes de la Côte d'Azur, elles, s'y pliaient de bonne grâce après celui de Cannes, qui a lancé l'initiative. Au conseil municipal d'Antibes, les frontistes ont diabolisé Leonetti (alors même qu'ils jurent en privé qu'il tient bien sa ville et ne leur laisse que peu d'espace) en le faisant passer pour un complice de l'islamisme. Aussi grotesque que de dire qu'il n'y a pas de problème avec l'islam en France.

«Je ne ne nie pas les problèmes. C'est la raison pour laquelle je propose une mission d'information sur l'islam... Mais moi, j'essaie de convaincre plutôt que de séduire. Je savais que le Conseil d'État allait retoquer tout ça»ajoute Leonetti, qui adopte tout de même une posture très optimiste sur la question et minimise un peu le rôle du symbole en politique (qu'est-ce que le burkini, sinon le refus du vivre-ensemble dont certains nous rabattent les oreilles à longueur de journées?).

«J'ai demandé à ma police municipale d'aller voir sur les plages d'Antibes et d'être très attentif. Trois jours après, ils m'ont fait un rapport et m'ont dit qu'ils avaient croisé une femme avec un foulard qui aidait son père à se baigner. Vous imaginez si j'avais pris un arrêté anti-burkini?»

À l'Assemblée, cette polémique lui a valu un coup sur le bec de Jean-François Copé, quand il a préféré prendre le temps de la réflexion plutôt que d'agir dans l'urgence médiatique: «On a assez réfléchi sur ces questions, il faut des actes maintenant!», lui a lancé l'ancien président de l'UMP. «Réfléchir, c'est une chose que je suis incapable d'arrêter», lui a répondu Leonetti, qui regrette de vivre dans une «société de réaction alors qu'on devrait être une société de réflexion.» En bon médecin, Leonetti veut d'abord poser des diagnostics pour mieux opérer. Pendant des années, c'est sa méthode qui a gagné à droite. Jusqu'à quand?

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