Culture

Le «Bradxit», la quintessence du spectacle

Nous pensons que le divorce d’un couple de célébrités n’aura aucune incidence sur notre propre vie, et pourtant nous sommes absorbés dans le vortex du récit hollywoodien

Angelina Jolie et Brad Pitt, le 28 mai 2014. ROBYN BECK / AFP.
Angelina Jolie et Brad Pitt, le 28 mai 2014. ROBYN BECK / AFP.

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Le 20 septembre, c'est TMZ qui a été le premier média à donner l’alerte: Angelina Jolie, épouse de Brad Pitt, venait de remplir une demande de divorce auprès du tribunal de Los Angeles. Internet a flambé à coups de gifs de Jennifer Aniston, il a fallu à nouveau choisir sa team comme en 2005, cette fois entre le camp du «C’est affreux!» et celui du «Il y a plus grave dans le monde!» Sur Twitter, un hashtag dénonçant à la fois la médiocrité de l’information et l’étendue de sa couverture médiatique a fait surface: cette séparation historique a été baptisée #Bradxit –une référence, vous l’aurez reconnue, au Brexit britannique du mois de juin.

Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que cette introduction est truffée de liens hypertextes. Tout le monde occidental, peu importe l’âge, le sexe ou la religion, a eu vent de l’événement planétaire à un moment donné; et, quid de la poule ou de l’œuf, tous les médias –des plus généralistes aux plus spécialisés– en ont parlé la semaine dernière. Même ceux qui s’en balancent n’ont pu échapper au Bradxit. C’est là notre fatalité: nous pensons que le divorce d’un couple de célébrités n’aura aucune incidence sur notre propre vie, qu’il y a une indécence certaine à assister à cette panique collective dans un monde dévoyé où les glaciers fondent et la taxe d’habitation augmente sans cesse et pourtant, nous sommes absorbés dans le vortex du récit hollywoodien. La première conséquence directe du Bradxit, c’est qu’il sonne comme un avertissement: tôt ou tard, vous ne pourrez y échapper.

Communication

Lorsque l’on lit les documents de la fameuse demande de divorce déposée lundi dernier, il est inscrit tout en haut, en lettres capitales: LAURA A. WASSER. Surnommée «The Disso Queen» («la Reine de la Dissolution du Mariage») par la presse américaine, l’avocate spécialisée dans le divorce des stars a de nombreux faits d’armes à son actif. Heidi Klum et Seal? C’est elle. Ashton Kutcher et Demi Moore? Olivier Martinez et Halle Berry? Megan Fox et Brian Austin Green? Jennifer Garner et Ben Affleck? LAURA A. WASSER. Plus récemment, Johnny Depp lui doit d’avoir su négocier un accord financier avec Amber Heard.

Car le job de Laura Wasser implique aussi de maîtriser les rouages d’une bonne communication. Lors du divorce de Melanie Griffith et Antonio Banderas, elle a ainsi pu leur conseiller de parvenir à un accord amiable avant de remplir les papiers du divorce, rendant leur séparation officielle un an et demi après les faits. Elle sait que les documents sont rendus publics dès leur inscription au registre du tribunal de Los Angeles, et que TMZ met la main dessus dans l’heure qui suit.

Un lien étrange semble lier le tabloïd et l’avocate. TMZ prend volontiers parti pour ses clients. Dans le divorce tumultueux qui s’est déroulé cette année entre Johnny Depp et Amber Heard, par exemple, TMZ s’est efforcé de dépeindre Heard en succube assoiffée de pognon. En pleine scission de Brangelina, couple plus mythique que le mythe d’Aristophane, le site peine à le cacher: il soutient corps et «âme» Angelina Jolie dans l’épreuve.

Teaser d'une nouvelle saison

Guy Debord écrivait que «le spectacle est l’autre face de l’argent» (La Société du Spectacle, paragraphe 49). Tant que les billets verts alimentent la machine, le spectacle peut continuer. Le divorce de Brangelina n’est pas la fin d’une ère: il est le teaser d’une nouvelle saison qui doit faire vendre. En 2006, People Magazine achète la photo de la première fille biologique du couple pour 4,1 millions de dollars (Hello! ajoute 3,5 millions pour pouvoir les diffuser en Angleterre). En 2008, People et Hello! achètent cette fois les photos de leurs jumeaux, Vivienne et Knox, pour la modique somme de 11 millions de dollars. Quant aux photos de leur mariage en France en 2014, le Daily Mail parle de 5 millions de dollars. Des sommes bien souvent reversées à des associations caritatives.

Jennifer Aniston, dans toute sa sagesse, déplorait il n’y a pas si longtemps que les grossesses des stars étaient l’obsession numéro 1 de la presse. À raison: une grossesse est un récit qui promet de nombreux épisodes. L’annonce, les kilos en trop, la perte des kilos en trop, le prénom, les photos exclusives du nouveau-né, les occupations et les looks de l’enfant font les choux gras des magazines people. Ils apportent du sang neuf à la dynastie des superstars. Le pendant tragique –parce qu’il en faut bien un– est le divorce, source de péripéties en cascade. Le déménagement, les déchirements par avocats interposés, les coups bas, la pension alimentaire, le linge sale lavé en public sont autant de catharsis. La narration doit être bien menée pour qu’en tant que spectateurs, nous puissions participer à cette économie du récit. Brad Pitt ne peut pas être sérieux quand il dit qu’il voulait un divorce «discret». Dans son monde, le divorce discret est une licorne.

Ainsi, il a fallu trouver un élément déclencheur au Bradxit. La presse d’outre-Atlantique l’a trouvé en la personne de Marion Cotillard. Nous avons toujours entretenu des rapports ambigus avec les États-Unis, alors une actrice française oscarisée dans la ville des anges qui vient ensuite dynamiter le couple américain le plus aimé, n’en jetez plus, le synopsis est parfait. Brad Pitt et Marion Cotillard se sont rencontrés sur le plateau du film Allied. Angelina Jolie, des soupçons plein la glotte, a fait suivre son mari par un détective privé pendant le tournage, et voilà! Retour de bâton du karma puisque Brad Pitt avait déjà quitté Jennifer Aniston pour roucouler avec Angelina Jolie, rencontrée lors du tournage du film Mr. & Mrs. Smith, qui racontait aussi l’histoire de deux espions.

La production du film, sentant le vent bien tourner, a sorti en urgences le trailer de Allied le jour même de l’annonce du Bradxit. Le jackpot assuré pour la sortie prévue lors des congés de Thanksgiving. Excepté que le rouage s’enraye: Angelina Jolie n’a aucun intérêt à devenir la femme trompée dans ce récit. Ce n’est pas l’image qui lui correspond. TMZ met les points sur les i avec un titre qui recadre: «Il est question de leurs enfants, PAS DE CETTE ACTRICE». Marion Cotillard, enceinte de son second enfant, se fend d’un post Instagram pour rappeler qu’elle aime Guillaume Canet.

C'est le commun des mortels qui l'emporte

Dans l’imbroglio des déclarations juridiques et démentis chirurgicaux, il faut décrypter chaque mot. Robert Offer, l’avocat d’Angelina Jolie depuis de nombreuses années, chargé aujourd’hui de collaborer avec Laura Wasser, annonce que «cette décision a été prise pour le bien de la famille. Elle ne commentera pas et demande à ce que sa vie privée soit respectée».

La deuxième phrase n’est que pure coquetterie. La première, en revanche, est lourde de sens. La famille, avec Brad Pitt, n’allait pas bien. Les papiers révèlent qu’Angelina Jolie demande la garde exclusive des enfants. Il y a un problème avec le père. TMZ rapporte que Brad Pitt fume des joints, picole et qu’il y a eu un incident à l’aéroport où il a frappé l’aîné de la fratrie, Maddox. Le FBI prend l’affaire en main, interroge les acteurs. Brad Pitt conteste: «Je suis profondément attristé par tout ceci mais ce qui compte le plus est le bien-être des enfants. Je demande gentiment à la presse de les laisser respirer durant cette épreuve.» Mais un démenti ne suffira pas aux yeux du public. Certains médias rapportent qu’il existe une vidéo de l’incident. Il n’est pas à douter que les sondages demandant de voter pour ou contre le Bradxit ne tarderont pas à tomber. Pour que l’histoire se vende, le spectateur doit s’impliquer. Il doit faire un choix. Où est le bien, où est le mal? Et vous, qu’en pensez-vous?

Les divers rebondissements mis en scène ont pour but d’éteindre toute émotion trop éphémère. Par la suite, des «sources» indiqueront qu’Angelina voulait que Brad s’implique plus dans son travail humanitaire. D’autres «sources» révèleront que Brad enseignait le jardinage à ses enfants avec ses plants de marijuana. Certains «amis de la famille» parleront pour dire qu’Angelina est dépressive depuis des années et le reste des proches affirmeront que Brad n’a jamais cessé d’aimer Jennifer. Les nouvelles plus ou moins intenses du Bradxit, parce que diffusées en continu, nous obligeront à définir une ligne de conduite. Bien que Guy Debord rappelle qu’il y a aussi «une unité de la misère dans les oppositions spectaculaires».

Le principal enjeu du Bradxit sera de déterminer l’équilibre des pouvoirs. Après avoir observé leurs coupes de cheveux, leurs maisons, leurs voyages, leur travail, leurs actes de militantisme, ils seront considérés sous le prisme de leur divorce: qui d’Angie ou de Brad sera le plus puissant? Et eux, pauvres lumières éternelles, penseront qu’ils peuvent plus ou moins gagner la bataille. Là où, en réalité, c’est le commun des mortels qui l’emporte enfin.

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