Économie

La baisse des coûts ne suffira pas à réindustrialiser la France

Cette politique, qui a la faveur de tous les candidats à la présidentielle, est indispensable pour faire remonter les marges des entreprises, mais ne dispense pas d'une réflexion sur la montée en gamme.

SÉBASTIEN BOZON / AFP.
SÉBASTIEN BOZON / AFP.

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L'excellent Patrick Artus, l'économiste en chef de Natixis, a publié cette semaine une note sans appel: la réindustrialisation de la France est impossible. Son argumentation est très puissante. Le niveau auquel le pays est tombé, 12% du PIB, et surtout la gamme moyenne des productions de la France, équivalente à celle de l'Espagne, n'offrent que deux solutions. Soit on baisse les coûts, salaires et charges, au niveau de ceux de l'Espagne, mais c'est une politique déflationniste «improbable», soit on élève le niveau de gamme, mais ce n'est pas ce qui se passe puisque notre effort d'investissement et de robotisation est «plus faible» que celui de notre voisin du Sud. CQFD.

Les candidats à la présidentielle feraient bien de lire cette note. Tous promettent une réindustrialisation. Ils vont «sauver Alstom», comme leurs prédécesseurs ont dit pouvoir sauver Florange et, par le passé, Creusot-Loire, La Chapelle Darblay ou les mines de charbon. Sarkozy, Juppé, Fillon, et ce sera pareil pour la gauche sociale-démocrate, choisissent tous la première voie: la baisse des charges et des impôts sur les entreprises, autrement dit la politique de la déflation salariale. Le «projet» du parti Les Républicains annonce 30 milliards d'euros de baisse des cotisations, dans le prolongement de l'effort fait par François Hollande avec le CICE (40 milliards).

Est-ce un bon ordre de grandeur? Le Cercle de l'industrie, qui veut «réussir la révolution industrielle», évalue pour sa part à 50 milliards la baisse nécessaire des prélèvements sur les entreprises (15 de cotisations, 20 d'impôts et 15 de fiscalité sur le capital). Patrick Artus rappelle que le poids des cotisations est de 11% du PIB en France, contre 8% en Espagne: différence, 66 milliards.

Avec la promesse de la droite, nous ne serions donc qu'à la moitié du chemin déflationniste nécessaire. A quoi il faut ajouter que le salaire moyen dans l'industrie française est de 3.000 euros par mois, contre 2.100 de l'autre côté des Pyrénées. Comment combler ce surcoût-là? Les accords de compétitivité sont évidemment loin du compte.

Patrick Artus dit juste: la solution déflationniste est illusoire. Sans compter qu'il n'y a pas que l'Espagne qui nous concurrence, c'est le cas aussi des pays de l'Est, voire du Maroc, etc. Entendons bien: la baisse des coûts est indispensable pour faire remonter les marges des entreprises. Il faut gagner de l'argent pour entreprendre. La direction prise par François Hollande est bonne, il faut continuer. Mais cette politique déflationniste ne va pas réindustrialiser la France.

Pourquoi si peu d'achats de robots?

Les candidats à la présidentielle feraient bien de considérer l'autre issue: l'élévation en gamme. Les frondeurs de gauche la réclament avec raison depuis quatre ans, mais leur tort est plus large: refuser la nécessaire remontée des marges d'abord et croire ensuite qu'il suffit d'appuyer sur le bouton «gamme» pour y arriver.

Patrick Artus voit dans le faible achat de robots par l'industrie française la preuve de l'impasse de cette seconde politique. Il a encore une fois raison. Mais pourquoi? Le niveau global d'investissement des industriels français n'est pas en cause. Il est assez élevé, le problème est qu'il ne grimpe plus en volume et, surtout, qu'il n'est pas assez numérique en contenu.

Il faudrait d'urgence en connaître les causes. La première est sûrement la faiblesse de la formation en technologie, à la fois des patrons et des salariés. Ce qui renvoie à l'enseignement trop uniquement managérial des écoles de commerce et, bien entendu, aux échecs honteux de l'Education nationale, incapable –en 2016!– de former des techniciens du Web.

Mais cela renvoie aussi à un très grave dévoiement de la politique de baisse des charges. Elle est indispensable, redisons-le, pour rétablir les marges. Mais elle a le défaut de pousser les chefs d'entreprise à penser que la baisse des coûts est la seule solution, qu'ils peuvent ne pas robotiser, qu'il leur suffit simplement d'«en demander plus» aux pouvoirs publics. Le Medef est ici très coupable.

Remettre la roue économique dans le bon sens

Il faudrait au contraire remettre la roue économique dans le bon sens: que des meilleurs salaires forcent à une meilleure productivité, au travers des robots, notamment, et, nous y voilà, au travers de l'élévation en qualité des produits. L'exemple allemand ou scandinave le montre: de gros salaires sont bons pour l'économie (la consommation) mais aussi pour les entreprises, contraintes de faire «des BMW». C'est ce modèle vertueux qu'il faut viser, une germanisation, non une ibérisation.

Il serait temps de réévaluer la politique de baisse des charges conduite depuis vingt ans en se focalisant au niveau du Smic. Elle a fait l'objet d'une collusion triple: des chefs d'entreprise qui veulent des meilleures marges, des économistes pour qui c'est à ce bas niveau qu'il faut agir pour créer le maximum d'emplois, et des politiques qui veulent des résultats rapides et qui, de toute façon, n'y connaissent rien et font ce qu'on leur dit. Cette politique déflationniste est en partie indispensable, le taux des prélèvements qui pèsent sur le travail en général est en France décourageant. Mais elle n'entraîne pas les entreprises du pays vers le haut. C'est probablement elle qui désindustrialise.

Mesure nécessaire, mais dont il faut vite corriger l'effet secondaire délétère: ce n'est franchement pas une médecine facile à conduire. Les candidats à la présidentielle ne devraient en tout cas pas croire et faire croire aux patrons comme aux salariés que les milliards d'euros qu'ils promettent (et qui restent par ailleurs à financer) vont suffire pour sauver Alstom. Non, au contraire.

Cet article a été initialement publié dans Les Échos.

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