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Ce qui compte dans le gin tonic, c'est surtout le tonic

Si les trois quarts de votre cocktail se composent d’un soda pétillant, pensez-vous vraiment que c’est sur l’alcool qu’il faut investir? Une avalanche de nouveaux tonics viennent heureusement à la rescousse.

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Galliano Antwerp Yelp Elite Event | Yelp Inc. via Flickr CC License by

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À contempler le rayon gin chez certains cavistes aujourd’hui, on se demande comment on se débrouillait pour concocter des gin tonic acceptables il y a encore quinze ans (les moins de 30 ans, filez ranger votre chambre, vos parents vous debrieferont). On s’en sortait pourtant à peu près dignement, non? (Ne répondez pas!) Dans la course à l’originalité et au premium, le gin joue aujourd’hui l’acrobate qui nous en met plein les mirettes, à grand renfort de «craft», de botaniques toujours plus rares ou plus nombreux, d’ingrédients locaux ou exotiques récoltés dans des conditions qui «justifient» (en fait, non) des prix dignes des plus beaux foutages de gueule.

Pourtant, la quasi-totalité des volumes est sifflée sous forme de cocktails, et non en dégustation. Et la quasi-totalité des cocktails au gin s’appelle gin tonic, le seul cocktail qui devrait être remboursé par la Sécu. Maintenant, une expérience. Versez dans plusieurs verres une dose de quelques-uns de ces précieux gins de parfumerie, et noyez-les sous du tonic de supermarché. Alors? Vous voilà incapable de faire la différence entre chaque mixture, et votre air étonné de poule qui aurait trouvé un Opinel dans le grain me le confirme.

Le «nouveau mojito»

Cette expérience, Charles Rolls l’a tentée. Et l’ancien directeur de la distillerie Plymouth en a conçu l’idée des tonic Fever Tree, qui ont bouleversé le marché en partant d’un principe simple: si un gin to se compose aux trois quarts de tonic, c’est bien là qu’il faut choisir le meilleur.

«Enfin… Pendant cent cinquante ans, on a bu du Schweppes et ça faisait bien l’affaire », corrige Danilo Grenci, qui s’apprête à ouvrir le Bluebird fin septembre, rue Saint-Bernard à Paris. Un «bar à cocktails qui mettra en avant le gin» et «ne servira pas de Spritz» (sauf si vous insistez).

«Mais, à présent, je travaille plutôt avec un tonic italien, Lurisia, qui ajoute du genièvre, très frais et balsamique. Avec Fever Tree, bien sûr: j’adore leur Mediterranean. Et avec Three Cents, produit par des bartenders grecs. Cela permet de varier les drinks sans tomber dans les excès espagnols, où on t’apporte les sachets de botaniques à infuser dans ton verre. On voit que le gin to devient le nouveau mojito, c’est reparti à fond.»

Peut-on dès lors ressortir sans crainte les quilles de Gordon, de Tanqueray, de Beafeter, de Bombay Sapphire? « Quand ils étaient les seuls à tirer le marché, on trouvait ça bon à l’époque, s’amuse Stan Jouenne, qui a ouvert le Tiger, rue Princesse, l’une des plus chouettes adresses pour siroter un cocktail dans la capitale. Mais ces bouteilles-là sont celles qui souffrent aujourd’hui. Le gin a évolué vers des recettes plus complexes, plus originales. Et les nouveaux tonics leur emboîtent le pas. Leur principal avantage? Moins sucrés, ils ne masquent plus la palette aromatique du gin.» Encore que la palette aromatique de Gordon, on en fasse vite le tour…

On a donc le choix dans l’embarras : Erasmus, la plus ancienne marque de tonic, venue de Belgique, propose un dry très peu sucré formidable. Henry Thomas en a sorti un à la fleur de sureau. Fentiman et sa bulle puissante réveille le gin le plus mou du genou. 1724 avance en rondeur avec des notes florales. Gents, venu de Suisse, claque sur un tranchant très clean. Aqua Monaco, créé à Munich et pas sur le rocher à princesses, avance au milieu d’une gamme très créative un green bio et un extra dry de compète. Et jusqu’à Schweppes, l’archi leader du groupe Suntory (ça calme, hein?), se remet en question avec sa collection haut de gamme Heritage arrivée l’an dernier en France, avec ses essences naturelles et ses bouteilles en ogives qui se cassent la bobine dans le frigo.

Tonic sur mesure

Autre option: acheter du sirop de tonic et compléter à l’eau gazeuse. Ou fabriquer soi-même son tonic. La recette est simplissime sur le papier… et dans la vraie vie vous obtiendrez sans doute un truc horrible. Préparez un sirop de tonic en faisant bouillir et infuser écorces de quinquina, sucre et botaniques. Ensuite, noyez d’eau gazeuse ou passez au siphon. C’est dégueu? Ben oui.

«La plupart du temps, on sur-extrait le boisé astringent de l’écorce, où on complexifie un truc qui devrait rester simple en multipliant les botaniques qui compotent dans le sirop, explique Yves Cosentino, consultant ès spiritueux qui forme des contingents de bartenders pour Pernod. Surtout, l’eau pétillante perd beaucoup de son gaz en se mélangeant au sirop. Or, un bon tonic doit être très gazéifié, avec un apport de 9 à 10 g/litre de gaz carbonique – contre 6 à 7 pour une limonade. Difficile de battre les industriels sur le terrain de l’effervescence.»

Achetez vos tonics sous verre, voire en canettes en alu, les matériaux qui retiennent le mieux le gaz carbonique, et jamais en bouteilles en plastique, qui laissent filer le CO2. Stan Jouenne, qui fabrique le sien en deux phases –sirop de botaniques et teinture (macération dans l’alcool) de quinquina–, passe son mélange au siphon. « La bulle tient quand même moins longtemps, avoue-t-il. Mais on y travaille !» Danilo Grensci, de son côté, reconnaît avoir galéré sur la filtration, «pour que la bulle et le tonic soient jolis, et non pas marron-rouge». Si même les pro rament…

Mais nos trois experts relèvent en chœur que, pour fabriquer un gin to exceptionnel, c’est sur la glace qu’il faut miser. Des glaçons bien congelés, taillés le plus gros possible, glissés en nombre dans un verre réfrigéré pour fondre le plus lentement possible et ne pas noyer les bulles et le pétillant qui font le charme du cocktail rendront au moins vos premières gorgées sublimes. Les suivantes? Soyons philosophe, la quête de perfection est soluble dans l’alcool.

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