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Le débat sur la santé de Clinton n'est pas médical, il est politique

Les deux prétendants à la présidence des États-Unis sont vieux et détestés. Les débats sur leur santé et la transparence sont des cache-sexes. Les enjeux sont politiques et non médicaux.

Hilary Clinton s'engouffre dans son van après son malaise, le 11 septembre 2016 / Brendan Sialowski / AFP
Hilary Clinton s'engouffre dans son van après son malaise, le 11 septembre 2016 / Brendan Sialowski / AFP

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Hillary Clinton et Donald Trump sont deux des prétendants à la présidence les plus vieux et les plus détestés de l’histoire des Etats-Unis. Jetées dans la cruelle bataille d’une campagne électorale qui entre dans sa dernière ligne droite, ces deux informations mélangées ont lancé un débat national qui tourne essentiellement autour d’une question: peut-on s’attendre à ce qu’un des deux candidats meure dans un futur proche?

Quelque part entre la colère partisane et la sinistre éclosion de théories du complot sur le sujet, émerge une préoccupation légitime: en tant que nation, nous devons choisir entre deux candidats qui ont 68 et 70 ans. Et cette charge leur imposera au moins quatre ans et peut-être huit ans d’un travail épuisant. Quelles que soient nos préférences, ce serait sympa de savoir que le président va survivre à l’exercice de ses fonctions.

C’est la raison pour laquelle il était si troublant de voir cette vidéo dans laquelle Clinton semble chanceler en quittant la cérémonie d’hommage aux victimes du 11 septembre dimanche dernier.

Cette vidéo a, à la fois, effrayé les plus inquiets et satisfait les plus sadiques, et elle a multiplié les appels à une plus grande transparence sur la santé des candidats, y compris de la part d’un Trump étonnamment mesuré. Pourtant, ce n’est pas un dossier médical ni un quelconque bulletin de santé qui désamorcera la polémique.

Ce serait sympa de savoir que le président va survivre à l’exercice de ses fonctions

Ces documents sont abscons même pour d’autres médecins, et on voit mal les pires ennemis de Clinton se satisfaire d’autre chose que d’une note manuscrite de Dieu lui-même, contresignée par Louis Pasteur et Hippocrate. Tout dans cette élection a été politisé. Alors pourquoi pas les analyses de globules blancs des candidats ?

L'illusion du dossier médical

L’équipe de Clinton a publié un communiqué dimanche expliquant qu’on lui avait diagnostiqué une forme bénigne de pneumonie vendredi après-midi et qu’elle s’était déshydratée au moment de la commémoration du 11 septembre. Si certains ont voulu lier cet événement à sa quinte de toux du weekend précédent pour souligner qu’il est effectivement temps de s’inquiéter pour sa santé, ce diagnostic médical suffit sans doute à expliquer les deux incidents.


Une partie de son équipe de campagne est également tombée malade: la pneumonie est une maladie infectieuse qui se propage facilement.

On voit mal les pires ennemis de Clinton se satisfaire d’autre chose que d’une note manuscrite de Dieu lui-même, contresignée par Louis Pasteur et Hippocrate

 

Sans surprise, les appels à une plus grande honnêteté de la candidate sur sa santé ont redoublé, à commencer par celui de Trump lui-même, qui a promis de publier «des données très précises» issues de ses propres examens médicaux.

Trump peut publier ces données s’il le souhaite mais cela ne nous en dira pas beaucoup sur la façon dont son corps réagirait si une pneumonie se déclarait à son QG de campagne. Le fait que Clinton ait contracté la maladie ne nous en dit pas non plus beaucoup plus sur sa santé en général, sur sa santé pour les années à venir si elle devient présidente et même sur son espérance de vie. Un dossier médical n’est pas aussi utile qu’on aimerait le croire. D’abord, ce n’est pas un document unique qui dévoile une information claire comme une déclaration de revenus. Comme l’indiquait Margot Sanger-Katz dans le New York Times en fin de semaine dernière, il est très difficile de rassembler toutes les données d’un dossier médical et d’en tirer des conclusions définitives. Beaucoup d’entre nous, et même les médecins, ne peuvent pas comprendre un ensemble d’informations tirées de différents cabinets médicaux à des époques différentes.

Une fois qu’on a relevé le défi de réunir toutes les pièces nécessaires: 

«Bonne chance pour lire ces dossiers quand vous les aurez : des pages et des pages de littérature de laboratoire, de cases cochées, de références de paiement et d’écritures illisibles. Peu de patients et assez peu de médecins comprennent ces dossiers. C’est pour cela qu’on vous tendra toujours un papier à remplir à l’accueil d’un cabinet médical, même chez le plus connecté, en vous demandant d’indiquer vos antécédents médicaux avant que le docteur ne vous reçoive», écrit Sanger-Katz.

En effet, les renseignements que vous donnez sur votre passé médical à votre docteur ont autant de valeur pour lui que n’importe quelle évaluation indépendante d’un dossier médical, si ce n’est plus. En partie parce que votre santé est imprévisible : une pneumonie peut toucher n’importe qui. Le cancer peut frapper au hasard. Un dossier médical n’y changera rien. Et pourtant nous continuons à réclamer de la paperasse.

Certains espèrent que la publication de bulletins de santé calmera les rumeurs infondées selon lesquelles l’un ou l’autre des candidats dissimulerait un scandale médical d’envergure. Dans un article intelligent de Politico il y a plusieurs semaines, Dan Diamond soutenait que les électeurs ont le droit d’en savoir autant que possible sur les candidats et qu’un examen complet mené par une équipe médicale indépendante permettrait de se faire une idée objective de l’état de santé de chacun.

L’idée est bonne –même si elle est difficile à mettre en œuvre au vu de la réglementation sur le secret médical. Pour autant, il n’y a aucune raison de croire qu’elle dépolitiserait cette affaire. Elle en changerait simplement l’angle d’attaque : les médecins sont-ils vraiment indépendants ? Est-ce que tous les résultats ont été rendus publics?

Longue vie publique

La vie publique de Trump et Clinton est déjà si longue qu’il est improbable qu’ils aient déjà eu à cacher un problème de santé important, susceptible de les empêcher d’assumer la fonction présidentielle. Il est tout aussi improbable qu’ils apaisent le débat hautement politisé sur leur capacité physique à assumer le pouvoir en se soumettant à l’examen d’un médecin indépendant ou en publiant un monceau de chiffres issus de leurs dossiers ou de leurs examens médicaux.

Le simulateur d’espérance de vie du Social Security Administration donne encore 15,2 années à vivre à Trump et 18,4 à Clinton, car Clinton est plus jeune et est une femme - le simulateur ne prenant en compte que l’âge et le sexe. Même une prévision plus précise des chances de chaque candidat de contracter différentes maladies ne nous aiderait pas à évaluer son aptitude à exercer ses fonctions. Comment les électeurs mettraient en balance 23% de chances de souffrir d’un cancer et, mettons, 16% de chances de souffrir de la maladie d’Alzheimer?

Ils voteraient probablement quand même pour le candidat dont ils se sentent le plus proche sur le plan politique.

Le poids de la rumeur

Si on peut avoir une idée plus claire des risques qui pèsent sur la santé de chaque candidat en continuant de discuter publiquement de toutes les informations disponibles, tout le savoir du monde ne peut garantir une santé pérenne à quiconque –ce qui serait le seul moyen d’espérer mettre un terme aux bruits qui courent.  

Il suffit de regarder ce qui se passe ces jours-ci. Même si la théorie du complot au sujet de Clinton évoque un supposé problème d’ordre neurologique, sans aucun rapport avec la pneumonie, ses partisans n’hésitent pas à faire de cette maladie mineure un argument pour étayer leur croisade. Et quand ils ne le font pas, ils décrètent que la pneumonie est une invention des médias. Parfois, ils font les deux à la fois. Dans un article intitulé Media Hoax! Sick Hillary Clinton Does Not Have Pneumonia, un de ces esprits paranoïaques écrit: «Au fait, la pneumonie est une complication de la maladie de Parkinson.» Ce débat n’est pas médical, il est politique. 

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