Culture

Voici comment persuader quelqu’un

Au XVIIe siècle, le philosophe Pascal livrait déjà l’essentiel des clés de la réussite pour convaincre.

<a href="https://commons.wikimedia.org/wiki/Blaise_Pascal?uselang=fr#/media/File:Blaise_Pascal_2.jpg">Blaise Pascal (1623-1672)</a> | Inconnu via Wikipedia/ CC Public domain <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/public_domain">License by</a>
Blaise Pascal (1623-1672) | Inconnu via Wikipedia/ CC Public domain License by

Temps de lecture: 3 minutes - Repéré sur Brain Pickings

Au milieu de la masse d’informations véhiculée par les réseaux sociaux et les canaux de toutes sortes, et alors que circulent de plus en plus de théories du complot, les scientifiques et les partisans de la vérité ne doivent plus seulement, aujourd’hui, faire ce travail qui consiste à rassembler des preuves. Ils doivent aussi convaincre, et en cela, le philosophe Blaise Pascal pourrait leur être d’une grande utilité.

Il y a plus de 350 ans, l’inventeur de la machine à calculer s’intéressait aussi à la psychologie humaine. Dans Les Pensées, il donne une méthode efficace pour parvenir à faire changer d’avis une personne. La chose essentielle, explique Pascal dans un fragment repéré par Brain pickings, est de prendre en considération son interlocuteur et les arguments qu’il avance. Le mépris ne fait que braquer la personne en face, qui a sans doute de très bonnes raisons d’envisager les choses comme elle les envisage:

«Quand on veut reprendre avec utilité et montrer à un autre qu'il se trompe, il faut observer par quel côté il envisage la chose, car elle est vraie ordinairement de ce côté-là et lui avouer cette vérité, mais lui découvrir le côté par où elle est fausse», commence Pascal.

Par cette technique, non seulement on montre respect et bienveillance, mais on évite aussi à la personne la vexation que représente le fait d’avoir été floué:

«Il se contente de cela car il voit qu'il ne se trompait pas et qu'il y manquait seulement à voir tous les côtés. Or, on ne se fâche pas de ne pas tout voir, mais on ne veut pas être trompé, et peut-être cela vient de ce que naturellement l'homme ne peut tout voir, et de ce que naturellement, il ne se peut tromper dans le côté qu'il envisage, comme les appréhensions des sens sont toujours vraies.»

Une raison de coopérer

Il n’y a pas de raisonnement faux, dit en substance Pascal, il n’y a que des raisonnements incomplets. Envisager les choses sous cet angle transforme la discussion –trop souvent envisagée comme une joute oratoire, un combat d’égos– en une coopération nécessaire. Chacun a besoin de l’autre pour compléter le puzzle de la vérité, et personne ne se trompe totalement, il ne détient simplement qu’un morceau de vérité.

Des siècles plus tard, ces observations pascaliennes ont été confirmées par des psychologues, comme Arthur Markman, professeur de psychologie à l’université d’Austin, interrogé par le magazine Quartz:

«Si je commence à vous dire en quoi vous avez tort, cela ne crée aucune envie en vous de coopérer. Mais si je commence par dire “ah, vous avez raison là-dessus, je pense que ce sont des problèmes importants”, alors vous donnez à votre interlocuteur une raison de coopérer.»

Le journaliste et écrivain américain Dan Pink, qui a rédigé les discours d'Al Gore, explique que la persuasion dépend de trois éléments: l’empathie, ou la capacité à prendre le point de vue de l’autre («attunement»); la force morale («buoyancy»), qui permet de ne pas s’énerver face aux contre-arguments et parfois au mépris de l’interlocuteur; et enfin, la clarté («clarity»).

Ere du mensonge

Dans De l’art de persuader, Pascal ajoute aussi qu’il peut être utile de bien connaître celui qu’on veut persuader:

«Il paraît de là que, quoi que ce soit qu’on veuille persuader, il faut avoir égard à la personne à qui on en veut, dont il faut connaître l’esprit et le cœur, quels principes il accorde, quelles choses il aime; et ensuite remarquer, dans la chose dont il s’agit, quels rapports elle a avec les principes avoués, ou avec les objets délicieux par les charmes qu’on lui donne. De sorte que l’art de persuader consiste autant en celui d’agréer qu’en celui de convaincre, tant les hommes se gouvernent plus par caprice que par raison!»

Changer les esprits, les conduire à penser de manière plus précise et plus vraie, est sans doute l’un des défis les plus importants de nos sociétés. Car nous sommes entrés dans l’ère du mensonge, où certains hommes et femmes politiques n’hésitent plus, désormais, à affirmer des choses qu’ils savent pertinemment fausses. Comme leader du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (Ukip), Nigel Farage, qui promettait que la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne allait permettre de récupérer 350 millions de livres, avant de se rétracter une fois le mensonge découvert. Ou comme Donald Trump, dont la liste de mensonges éhontés est désormais si longue qu’ils en deviennent banals. Une ère où «deux plus deux égalent cinq», comme l’écrivait  l’éditorialiste au New York Times Roger Cohen. Une ère où nous avons plus que jamais besoin de Pascal, tant pour son amour de la vérité que pour sa grande habileté à nous y emmener naturellement.

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