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L’académie de Paris compte mettre en place en 2017 un nouvel algorithme pour le choix du collège afin de lutter contre la ségrégation sociale dans les établissements. Pourtant, les procédures d’affectation informatisées dans l’enseignement supérieur (APB) et au lycée (Affelnet) sont perçues comme très imparfaites. Deux griefs dominent: elles sont contournables (établissements privés, options, filières sélectives) et leur fonctionnement reste encore trop opaque.
Pensez aux applications de séduction… Il vaut mieux être beau et bien portant pour décrocher des rendez-vous. Ceux qui cherchent à se caser finissent avec des gens qu’ils auraient bien pu rencontrer dans la vraie vie. Les logiciels d’orientation en France font un peu pareil, ils ne changent pas vraiment la donne. Ou à la marge. Certes, les boursiers ont accès à de meilleurs places, mais ce sont surtout les meilleurs élèves et les mieux nés qui fréquenteront des établissements d’élites. Les autres essaieront de faire aux mieux, les moins bons iront dans les filières et les établissements les moins demandés.
Car, en France, ce sont bien des algorithmes qui «gèrent» l’affectation des élèves à la fin du collèges et du lycée. L’orientation post-bac passe par le logiciel APB qui conduit, en plusieurs étapes, les lycéens à faire leur choix d’orientation pour l’enseignement supérieur, tandis que le choix du lycée dépend d’Affelnet.
Le stress des parents
En matière d’orientation scolaire, l’information (y avoir accès, la comprendre finemement, en maîtriser les tenants et aboutissants) est un avantage crucial. La sociologie de l’éducation nous apprend que les catégories favorisées tirent profit de leur bonne connaissance du système éducatif (langues, options, filière sélectives). Même si, bien entendu, des informations et des conseils sont donnés dans le cadre du lycée et collège. C’est aussi un sujet qui fait couler beaucoup d’encre. Les articles sur le sujet pullulent à partir du mois de janvier (date à laquelle commencent les choix sur APB). Et la profession de coach d’orientation se développe, car il y a un marché en France: l'inquiétude est grande et les procédures sont ressenties comme stressantes par les familles et les élèves.
Or, faire des choix et avoir une bonne stratégie, c’est aussi savoir comment fonctionne le logiciel, comme l’explique par exemple l’Etudiant à propos d'Affelnet:
«Pour faire son choix, Affelnet prend en compte l'adresse de votre domicile ainsi que d'autres critères définis par votre académie. À chaque critère correspond un nombre de points qui permet à l'application de classer les demandes en fonction du score total obtenu. Par exemple, à Paris, trois critères sont pris en compte: les résultats scolaires (maximum 600 points), l’attribution d’une bourse (300 points) et le choix d’un établissement de son district (600 points).»
Le critère de la bourse est très important, le système est censé assurer une répartition plus juste des élèves et, dans ce «plus juste», il faut entendre aussi une tentative de réguler la ségrégation sociale très forte à Paris. C'est ce que rappelle l’économiste Julien Grenet, co-auteur d’une note sur l’impact de la procédure Affelnet sur la mixité sociale dans les lycées d’Ile-de-France. Il travaille sur la question de l’affectation des élèves et est chargé d’accompagner l’expérimentation parisienne au collège :
« Il faut se souvenir d’où on vient à Paris. Avant 2008, les proviseurs choisissaient les dossiers des meilleurs élèves dans une pièce au sous-sol du rectorat, les lycées les plus cotés se servaient en premier.»
Je n’ai jamais assisté à la scène mais cette anecdote m’a été rapportée de nombreuses fois. Elle illustre à merveille la compétition qui règne entre les établissements les plus cotés de la Montagne Sainte-Geneviève (où se trouvent les meilleurs lycées parisiens: Henri IV, Fénelon, Montaigne). Affelnet était donc censé apporter plus de mixité. Julien Grenet lui reconnaît effectivement une certaine efficacité:
«Dans l’académie de Paris le choix a été fait de donner des points aux boursiers, il a effectivement permis de faire reculer la ségrégation dans les lycée parisiens. Peu de voix s’élèvent pour regretter le système précédent. D’ailleurs, si on y revenait la ségrégation augmenterait de 20% dans la capitale.»
Les ambitions... et la réalité
Les logiciels d’affectation représentent sur le papier une solution intéressante pour agir sur la ségrégation socio-scolaire. Mais la réalité tempère l’enthousiasme des observateurs et des usagers. Concernant le lycée (et l’école publique en générale), logiciel ou pas, les établissements privés sous contrat ne sont pas concernés par la carte scolaire et Affelnet. Financés majoritairement par les deniers publics, ils pourraient, selon la ministre de l'Éducation, être associés dans le futur à une réflexion sur la mixité sociale mais aucune contrainte n’a jamais été évoquée. Pour le moment, cela ne fonctionne pas, confie un principal de collège qui ne scolarise, à deux trois exceptions près, que des enfants de catégorie populaire (pour ne pas dire pauvres):
«Dans le quartier, ce sont les collèges privés qui réalisent la vraie mixité, avec les familles de classe moyennes que nous n’avons pas dans notre établissement.»
Tout aussi inquiétant, comme en témoignent plusieurs enseignants de la capitale, certains résultats d’Affelnet sont inexplicables: «Le système paraît opaque, on assiste chaque année à des affectations incompréhensibles». Et certains bugs sont très visibles comme le cas du lycée Turgot (IIIe arrondissement), qui est passé de 40% à 83% de boursiers en cette rentrée 2016. Christophe Barrand, le proviseur était furieux et ne s’est pas privé de le faire savoir:
«Rien n’a changé à Paris depuis 25 ans. Notamment parce qu’il n’est pas question de toucher aux grands lycées qui ont dix classes préparatoires. Ceux-là se battent pour récupérer les meilleurs élèves: l’Éducation nationale, c’est la guerre!»
La transparence en question
Difficile de défendre une règle qui ne s’applique… qu’aux gens à qui elle s’applique. Ce qui pose la question de la transparence. Un point crucial: l'affectation informatisée est utilisée dans de nombreux de pays pour réguler les procédures de choix scolaires et universitaires, Julien Grenet cite les exemples de la la Belgique, du Royaume-Uni, de l’Espagne ou des États-Unis, où les systèmes d’orientation se sont développés avec une bonne acceptation des familles, car les critères semblent assez clairs. Au Chili en revanche, les attributions de place à l’université dépendaient, de notoriété publique, en partie de la corruption. Une sorte d’APB a été mis en place et les résultats d’affectation sont publiés dans la presse, explique Julien Grenet, avec le nom des individus et le nombre de points obtenus. Transparence absolue donc et résultats incontestables, avance le chercheur qui note, qu’en France, «on ne donne pas aux parents tous les éléments sur les paramètres d’affectation. Affelnet peut donc logiquement créer de l'anxiété dans les familles».
Idem pour APB, objet de polémiques sur la transparence: l’association «Droits des lycéens» a porté plainte en juin dernier auprès de Cnil (la Commission nationale de l’informatique et des libertés) et a saisi le Défenseur des droits. Et de fait, même si le ministère de l’Éducation a fait des efforts de pédagogie pour expliquer son fonctionnement, on peut encore parler de secret, le code source d’APB n’a jamais été vraiment rendu public, malgré les demandes répétées de l’association.
La ségrégation sociale demeure
Et pourtant, même si le système devenait totalement transparent, la question des critères demeure centrale: qui les décide? Handicap, distance, fratrie devraient être pris en compte pour les collégiens. Pour les collégiens de troisième, on peut avoir l’impression que toute l’orientation se résume à une moyenne; Julien Grenet le concède :
«Le problème n’est pas ce type d’outil. Le problème, c’est les critères et les priorités. À Paris, on a reproduit le système antérieur, avec un poids très fort accordés aux résultats scolaires ce qui se traduit pas un « bonus note » extrêmement important…»
Donc, même si le barème choisi combat (sans l’élimininer) la ségrégation sociale, il entretient et crée une forte ségrégation scolaire: des établissements d’élites, des moins bons, des médiocres, etc. Certes, cette hiérarchie préexistait. Mais, qui se pose cette question? Quel est l'effet produit par le fait d’être affecté dans un établissement réputé comme médiocre sur les usagers de l’école? Être triés et classés pour intégrer des zones de relégations? Surtout lorsque l'on connait le peu d’efficacité, jusqu’ici, des politiques d’éducation prioritaire.
Les algorithmes ne sont pas une mauvaise chose en eux-mêmes, le problème demeure la culture à laquelle ils se greffent. En l’occurrence, une culture de l’élitisme associée à un attachement persistant à l’opacité (administrative).