Boire & manger

Cet homme sait tout faire, tout magnifier et embellir

Arnaud Donckele, petit génie, officie à la Vague d’Or de la Pinède à Saint-Tropez.

Arnaud Donckele
Arnaud Donckele

Temps de lecture: 3 minutes

L’un de ses quatre maîtres, Alain Ducasse, qui l’a choisi en 2005 pour Nicole et Jean-Claude Delion, propriétaires et rénovateurs de la Pinède, a été subjugué, bluffé cet été par un dîner époustouflant savouré dans ce restaurant unique en France, la Vague d’Or, le long de la plage de la Bouillabaisse, à l’entrée du village cher à Claude et Georges Pompidou: un feu d’artifice de saveurs et de goûts.

En dix ans de présence constante aux fourneaux de cette demeure d’exception, la mer à vos pieds, le normand, ancien chef saucier de Michel Guérard à 21 ans (prodigieux), a renouvelé son répertoire, stimulé par une créativité hors du commun pensée, forgée par «le jardin culinaire de Provence, un lieu d’investigation prometteur en toute saison» (Arnaud Donckele).

Ce chef d’une humilité admirable, soutenu par son excellent directeur Thierry Di Tullio, se veut un «cuisinier de ferme», proche de ses fournisseurs de produits locaux: les courgettes de Yann Ménard, le lapin au lard façon Claudette, la pâte Zitone, des macaroni au foie gras truffé, appris chez Lasserre au contact de Jean-Louis Nomicos, deux étoiles alors, «qui m’a tant apporté».

La Pâte Zitone fourrée de truffe noire et foie gras à la Vague d'Or

«Sa main exécute ce que le cerveau lui dicte»

Le Normand, élevé dans le monde paysan du Nord, ne cesse de rendre hommage à ses maîtres comme Georges Landriot, ancien chef étoilé du Copenhague aux Champs-Élysées, car Donckele est un homme de cœur et de reconnaissance –il sait bien que l’on n’obtient pas trois étoiles (2013) et cinq toques au Gault et Millau sans le savoir-faire, la gestuelle, l’inventivité inculqués par d’autres professionnels des casseroles: il faut des exemples, des phares, des modèles à remercier.

Tout est original, goûteux, saisissant –et pas d’esbroufe dans la carte de 25 plats. L’assiette colorée met en valeur jusqu’à 28 éléments comme chez Pierre Gagnaire en moins complexe: le gros turbot est cuit à la citronnelle, algues et poireaux (138 euros), le lomo et la joue de loup sont cuits à la braise, mouillés d’un nuage simplissime, les tomates bien mûres et courgettes à l’origan (128 euros), une symphonie sublime.

Et que dire des langoustines juste saisies, vivifiées au pamplemousse ou en tartare? Ce gaillard au regard si tendre est le Toscanini de la créativité culinaire. Il donne dans son gros livre treize recettes de coquillages et cinq de gibiers à plumes sans oublier six préparations au fromage: un encyclopédiste de la bonne chère, l’Escoffier de la cuisine du Sud.

La Vague d'or

Oui, un cuisinier complet, il sait tout faire, tout magnifier et embellir car «sa main exécute ce que le cerveau lui dicte» (Joël Robuchon).

À une heure du matin, il confectionne les sorbets salés à la tomate, une pure merveille. Et que penser des jus, des sauces? C’est l’artiste de l’enrobage, l’as du ressenti culinaire. Et l’après-midi, que fait-il? Arnaud s’occupe de faire nourrir de lait et de pain les agneaux de Grimaud –admirable recette en deux services.

Ce chef, l’égal de Frank Cerutti, bras droit de Ducasse à Monaco, de Bruno Cirino à l’Hostellerie Jérôme à La Turbie par la quête incessante des trésors de la nature et de la mer –gamberoni en tranches au corail des têtes– est un modèle parfait pour n’importe quel cuisinier épris des matières premières, des trouvailles de sa région, des collines et de la mer nourricière.

Cadeau inestimable

Le succès phénoménal de la Vague d’Or dépasse tout ce que l’on peut imaginer en France. Les déjeuners –salade niçoise d’anthologie, pasta aux multiples garnitures, sushis et sashimis– affichent complet, même en semaine.

Oui, les gourmets du globe (50% d’étrangers) ont trouvé sur cette plage tropézienne un génie de la poêle qui marquera son temps, comme Alain Ducasse.

On ne s’étonne pas que Bernard Arnault, tropézien depuis des lustres aux côtés de son ami et associé Albert Frère à Cheval Blanc, ait acquis la Pinède au printemps dernier (deux millions d’euros la chambre?) car un chef valeureux comme Arnaud Donckele est «le plus», le cadeau inestimable de cette maison blanche sur la Grande Bleue, assortie de terrains à bâtir –un SPA et une autre table en vue.

Langouste puce de Saint-Florent à la Vague d'Or

Nul doute que Bernard Arnault qui tient à respecter l’identité et l’ADN des marques qu’il acquiert (80 en portefeuille) maintiendra le chef trois étoiles à son poste de leader incontesté de la haute gastronomie varoise et méditerranéenne. L’artiste du glacé et du chaud, du croustillant et du suave, de l’acide et de la rondeur n’est qu’à l’aube de son itinéraire sidérant, il se plaît dans cet environnement miraculeux pour un «sorcier» (Colette) des garnitures et des accompagnements, adepte du circuit court qui a bien vu que «la cuisine fait connaître le paysage et le paysage sert à comprendre la cuisine» (Jean Giono). Longue vie au maestro Donckele dans la presqu’île aux yachts gros comme le Ritz.

À lire: Ma Provence: recettes de chef,  60 préparations d’Arnaud Donckele, photos superbes de Richard Haughton, textes biographiques et souvenirs. Un grand livre. Éditions Flammarion. 45 euros.

 

• Plage de la Bouillabaisse. Tél.: 04 94 55 91 00. Déjeuner à 95 euros, plats sur commande. Au dîner, menus à 270 euros en cinq actes, 340 euros en huit actes. Carte de 220 à 280 euros. Bouillabaisse à 205 euros. Carte des vins très complète, un rosé élégant de Marseille choisi par le sommelier Alexandre Larvoir. Service inégalable en France. Chambres à partir de 250 euros. Fermeture le 9 octobre.

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