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«Donner un prénom qui n’est pas français à ses enfants, c’est ne pas se détacher de l’islam, c’est vouloir continuer la tradition islamique en France et c’est vouloir transformer la France en un pays de plus en plus musulman», clame le polémiste Eric Zemmour dans l’émission «C à vous» de ce mardi 6 septembre, alors qu’il est invité pour parler de son nouveau livre Un quinquennat pour rien. Il y évoque l’islam en long en large et en travers, qu’il amalgame, comme le dit l’animatrice Anne-Sophie Lapix, «à l’islamisme et au djihadisme».
Sa sortie sur les prénoms français ne manque pas de faire réagir, d’autant plus que le prénom Éric, porté par le polémiste préféré des plateaux télé, n’est absolument pas d’origine «française», mais tire ses racines du scandinave Eirikr. Et si on veut aller plus loin, il n’a été donné en France qu’à partir des années 1930 et a connu son apogée dans les années 1960 après s’être popularisé dans les pays anglo-saxons et scandinaves.
Les prénoms français n’existent pas
La science des noms propres s’appelle l’onomastique –mot d’origine grecque signifiant le nom. C'est une branche de la linguistique. Pour Stéphane Gendron, chercheur dans ce domaine et membre de la société française d’onomastique, «parler de prénom français n’a aucun sens», et surtout «ne veut pas dire grand chose». Tous les prénoms français sont issus du brassage culturel et des vagues migratoires qu’à connu la France depuis ses débuts –et même bien avant que notre pays ne devienne celui que nous connaissons aujourd’hui. À l’origine, notre pays n’est qu’un ensemble de régions, qui parlent des dialectes différents et ont des cultures différentes, nos prénoms sont donc bien antérieurs à la notion même de France.
«Les prénoms viennent tous un peu de l’extérieur», explique Stéphane Gendron, et ont tous des origines latines, germaniques, grecques, hébraïques, voire même araméennes. Le prénom Louis, porté par plusieurs de nos grands rois, vient du germanique Hlodowig et Emma, l’un des noms les plus données aux petites filles ces dernières années vient de l’hébreu Immanu-el (Dieu est avec nous). D’ailleurs, lorsqu’on parle de modes des prénoms, on parle des prénoms «les plus donnés en France», et pas de prénoms français, ce qui est en soi un indicateur.
Jusqu’au XIXe siècle, le choix des prénoms se faisait dans un «stock», assez restreint. «Dans les campagnes, les prénoms étaient plutôt stables et se transmettaient de père en fils et de mère en fille. On reprenait les prénoms des ancêtres pour faire perdurer une lignée», explique le chercheur en onomastique. Des familles se sont ainsi retrouvées avec des Pierre ou des Marie dans toutes les générations. Une décision de la Cour de cassation en 1981 puis une réforme du Code Civil en 1993 vont permettre aux parents de pouvoir choisir les prénoms dans un éventail beaucoup plus large.
Ils se retrouvent par ailleurs davantage soumis à des effets de mode. On a connu par le passé des générations entières de Virginie, Nathalie, Stéphane, et aujourd’hui, on assiste à une vague de Léo, Gabriel, Emma et Louise. Mon propre prénom, Camille –du latin camillus– a été attribué 7.467 fois en 1998, alors qu’en 2013, on ne compte qu’un peu plus de 3.000 nouvelles petites Camille.
Français par l’usage
Mais ces prénoms susnommés sont bien considérés comme français, peu importe qu’ils soient latins ou étrusques, et c’est bien évidemment à cela que fait allusion Éric Zemmour lorsqu’il parle de patronyme français. «Un prénom français, est un prénom qui a été porté au fur et à mesure des siècles», explique Stéphane Gendron.
Prenons le prénom Kevin. Du gaëlique Caoimhim «bien aimé», il est au départ majoritairement porté par les Anglo-saxons, avant de faire une entrée fracassante dans l’Hexagone. En 1991, 13.712 Kevin ont vu le jour. Et contrairement au grinçant imaginaire collectif, tous les Kevin ne sont pas issu de classes populaires.
«Ce prénom a été porté par tout type de famille, et cette adoption très large a conduit Kevin a être intégré dans toute la lignée des prénoms français, ce fameux stock de prénoms», précise Gendron.
Il faudrait ainsi que le prénom soit largement popularisé dans des familles de toutes origines culturelles pour que le prénom soit assimilé comme «français». «Si je décide d’appeler mon enfant Mehmet, alors que je suis pas de cette tradition culturelle, cela va interpeller, mais ça ne va pas aller plus loin. Il faut qu’il y ait un mouvement de masse», ajoute le spécialiste. En gros, ce sont les Français qui font que le prénom n’est plus rattaché à une origine. «On se trompe si on parle d’étymologie des prénoms, il faut parler d’appropriation», conclut Stéphane Gendron.
Dans Le Nom des gens, film de 2010 traitant des questions d’identité, Bahia (Sara Forestier) et Arthur (Jacques Gamblin) décident de donner à leur nouveau-né un prénom asiatique, ce qui n’est pas du tout leur culture, afin de montrer que l’origine des prénoms n’est finalement qu’une question politique. Il ne peut pas par définition être rattaché à une origine religieuse ou ethnique, ce qu’avait défendu Nadia Daam, collaboratrice de Slate. Viendra peut-être un temps où Fatima, Mehmet, Santiago, Fatoumata, Yoko, Li, Wladislaw, Pilar ou Vito seront intégrés dans les prénoms français, n’en déplaise à Monsieur Zemmour.