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La réforme des lycées qui vient d'être présentée est censée moderniser et améliorer le fonctionnement des établissements du secondaire. Mais à un moment où tout le monde s'entend pour parler de «révolution Internet», le thème reste étrangement absent — ou extrêmement vague — de la sphère éducative. De quoi s'interroger sur cet acharnement des différents ministres de l'Education à maintenir quinze années de retard entre l'Ecole et la société.
Il y a une quinzaine d'années, le seul moment dans sa scolarité où un élève touchait un ordinateur était le cours de technologie. Pour un collégien, une année de techno, se résumait à: 1er trimestre fabrication d'un porte-crayon (deux points de soudure), 2e trimestre apprendre à allumer un ordinateur (ma propre prof nous avait bien expliqué que si on se trompait dans l'ordre d'allumage entre la tour et l'écran, l'ordinateur risquait d'exploser. Son moyen mnémotechnique était simple: vous adorez la télé, c'est donc ce que vous allumez en premier, or l'écran c'est une télé — et on voit déjà tous les présupposés faux qu'on nous fourrait dans la tête). Au 3e trimestre, on apprenait à fabriquer un testeur de piles. Et tout au long de ces apprentissages, on se demandait à quoi servait exactement cette matière bizarre qui nous prenait une heure par semaine en module. Accessoirement, on se demandait aussi ce qu'était au juste un «module».
C'était donc les balbutiements de l'informatique à l'école. Ce que le ministère, peut-être mû par un souci d'honnêteté, appelait «une initiation». Mais avec l'entrée dans le XXIe siècle, c'est-à-dire depuis 2006, les choses ont heureusement changé. Désormais, tous les élèves passent le b2i (brevet informatique et Internet).
C'est sans doute parce que le b2i existe que les différentes ministres ne voient pas la nécessité d'instaurer un véritable enseignement informatique. Pourtant, s'ils s'y intéressaient, ils se rendraient compte que notre b2i national n'est au mieux qu'un vague concept théorique qui concrètement emmerde élèves et professeurs. Ce brevet est divisé en trois niveaux : école primaire, collège, lycée. Depuis 2008, pour les collégiens, il est impératif de le valider pour avoir son brevet de fin de 3e.
Pas d'heures précises, pas de profs... Autant dire pas de moyens
L'initiative de rendre obligatoire l'acquisition d'un certain savoir-faire informatique à l'école est certes une bonne chose, tendant à réduire la fracture numérique. Le problème du b2i c'est que personne n'y comprend rien. Il ne s'agit pas de cours d'informatique mais simplement d'un test permettant de valider le niveau de chaque élève. La question est dans quel cadre doit se dérouler cet apprentissage. Réponse en langage ministériel: «il faut le valider au cours d'activités pédagogiques à caractère disciplinaire». Il est précisé que «tous les enseignants sont susceptibles de participer à la validation de ces compétences.»
Il n'y a donc pas de professeur désigné pour (et encore moins recruté), pas d'heures précises qui y soient consacrées, autant dire pas de moyen. L'apprentissage informatique est sensé être partout, autrement dit nulle part. Il doit être intégré au sein des autres matières et, pour se faire, l'équipe éducative se débrouille, se répartit les tâches comme elle peut. Par exemple le prof d'histoire doit profiter d'un exposé pour vérifier que l'élève a su mener à bien des recherches sur Internet et vérifier la fiabilité de ses sources. Et autant dire que pour des professeurs qui doivent faire avaler la culture européenne à des ados en dix mois, ce genre de vérification passe souvent à la trappe. D'autant qu'ils sont nombreux à ne pas savoir eux-mêmes comment fonctionnent réellement le principe de validation des entrées dans (par exemple) Wikipédia.
Et au final, faute de temps, le test se fait souvent depuis un ordinateur du CDI ou même depuis chez soi. Les élèves n'ont alors qu'à se connecter sur un forum pour demander à leurs copains les bonnes réponses. Comme ici (où un enseignant/documentaliste tente vainement d'intervenir au milieu de la gruge généralisée).
En définitive, tout le monde s'en fout un peu. Sur un forum, un ado résume assez bien le sentiment général «Brevet d'Informatique et d'Internet, j'ai du le passer sans m'en rendre compte moi».
Questions destabilisantes
En outre, le niveau de compétences requises est très faible. La difficulté essentielle pour les élèves est de décrypter le langage institutionnel. Souvent ils ne comprennent pas la formulation des questions. Pourtant, ils savent faire tout ce qu'on leur demande. Mais, nuance de taille, au b2i on ne leur demande pas de le faire mais de le raconter. C'est-à-dire qu'on attend qu'ils verbalisent des actions qu'ils effectuent machinalement. Exemple de question du test : «Je sais m'identifier sur un réseau ou un site et mettre fin à cette identification». Plutôt que de leur demander d'en faire la démonstration, ils doivent répondre: «Pour m'identifier sur un réseau ou un site, je tape mon login et mon mot de passe, et je valide. Pour y mettre fin, je me déconnecte ou ferme ma session.» Aussi simple que cela paraisse, ce genre de formulation déstabilise nombre d'élèves. Au point que beaucoup de professeurs décident de les «aider»...
Pourtant, on parle de plus en plus des possibilités nouvelles qu'offre Internet à l'éducation, de l'usage des outils multimédias qui pourrait faire évoluer la pédagogie. Mais c'est toujours comme médium pour l'enseignement à distance qu'Internet est considéré et rarement comme une matière méritant en elle-même d'être enseignée. Peut-être parce que c'est une matière qui se divise en deux parties: d'une part les connaissances purement techniques, telles que la programmation, et de l'autre l'utilisation du web. Et là, Internet souffre d'une vision de l'école où sa mission première serait de former les élèves à un travail. On vous enseignera l'informatique si vous voulez devenir informaticien.
L'algèbre en 5e, Java en seconde
Pourtant, il devrait être acquis qu'apprendre aux élèves à comprendre ces outils, informatique et internet, rejoint en réalité l'autre grande mission de l'école: former des citoyens éduqués et responsables, concourant au bon fonctionnement d'une cité qui s'est étendue sur un nouvel espace dit virtuel. Ce que les élèves d'aujourd'hui auraient besoin d'apprendre pourrait être, par exemple, un cours intitulé «skyblog et droit d'auteur».
De même, alors que la plupart des élèves utilisent Wikipédia, notamment pour leurs recherches documentaires, il faudrait leur apprendre les règles de fonctionnement, de vérification des entrées. Un contrôle consisterait à faire des recherches sur un autre élève de la classe. Il serait alors noté à la fois sur sa capacité d'investigation et sur sa gestion de son identité numérique, des traces laissées sur le web. Les élèves apprendraient des choses que finalement peu de gens savent, ces expressions qu'on entend partout comme web 2.0, la différence entre un navigateur et un moteur de recherche, le système d'indexation des contenus...
Aux Etats-Unis aussi, le débat sur la place de l'informatique dans l'enseignement a lieu. Mais à un niveau un peu différent puisque les associations de chercheurs ont des suggestions telles que: «Si les élèves de 5e-4e doivent avoir des connaissances avérées en algèbre, ils devraient, en seconde, être capables de programmer en Java.»
Pendant ce temps-là, en France... l'absence de vrai volet informatique dans la réforme des programmes du lycée est d'autant plus déconcertante de la part d'un gouvernement qui prétend lutter contre «l'utopie libertarienne» qui règnerait sur le Net. Quand il s'agit d'Internet, on punit sans éduquer - sans doute parce que pour nombre de politiques, cet univers est perçu comme un ennemi à faire plier.
Titiou Lecoq
Image de une: CC Flickr OliBac