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En dépit des apparences, toutes les affaires sanitaires ne se ressemblent pas. Celle de la Dépakine, par exemple, n’est en rien comparable à celle du Mediator. D’un côté, une molécule dont l’efficacité antiépileptique n’a jamais été discutée; de l’autre, une molécule dénuée de tout intérêt, laissée plus de trente ans sur le marché alors que de nombreux éléments laissaient redouter une possible toxicité.
Pour autant, l’affaire de la Dépakine a, une nouvelle fois, mis en lumière plusieurs des failles majeures du système français de sécurité du médicament: un réseau de pharmacovigilance chroniquement défaillant, une agence spécialisée (l’ANSM) qui peine encore à exister, des prescripteurs mal formés ou, plus souvent, peu soucieux d’informer leurs patients des risques potentiels auxquels les exposent certains médicaments. Sans oublier les entreprises pharmaceutiques qui estiment que leur responsabilité ne peut, pour mille et une raisons, jamais être engagée. Ces sont ces différents éléments qui expliquent l’absence de réactivité des autorités sanitaires françaises.
L’antiépileptique Dépakine (valproate de sodium) est commercialisé en France par la multinationale Sanofi depuis 1967. Il l’est aussi sous d’autres noms commerciaux (Dépakote, Dépamide, Micropakine et génériques). Outre l’épilepsie, ce médicament est aujourd’hui fréquement prescrit chez les personnes souffrant de troubles bipolaires (maladie maniaco-dépressive).
C’est dès le début des années 1980 que certains spécialistes ont commencé à suspecter que ce médicament pouvait être à l’origine de malformations congénitales (anomalies de fermeture du tube neural –spina bifida), dès lors qu’il est prescrit chez des femmes enceintes souffrant de maladies épileptiques.
Plus récemment, au début des années 2000, on a observé une augmentation du risque de retards du développement et de troubles du spectre autistique chez certains des enfants qui avaient, in utero, été exposés à ce médicament. La confirmation du lien de causalité et la prise de conscience n’ont toutefois été que progressives. La dernière alerte actualisée de l’ANSM sur ce sujet date de mai 2015. Parallèlement, l’administration sanitaire centrale avait sans trop tarder pris la mesure du sujet –grâce, notamment, à l’activité déployée par l’association APESAC (Aide aux parents d'enfants souffrant du syndrome de l'anti-convulsivant).
En juin 2015, Marisol Touraine saisissait l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et, en février dernier, un rapport était rendu public par le Pr Benoît Vallet, directeur général de la Santé. Selon l’IGAS, extrapolant des données obtenues dans la région Rhône-Alpes à la France entière, la prise de Dépakine par des femmes enceintes pouvait, avec le recul, être associée à au moins quatre cents cinquante cas de malformations congénitales à la naissance. L’Inspection précisait aussi que les prescriptions de Dépakine chez les femmes en âge de procréer (15-49 ans) ont baissé de 25% entre 2006 et 2014 (leur nombre est passé de 125.000 en 2006 à 93.000 en 2014, dont 56.000 traitées pour des troubles bipolaires). Il faudra attendre le mois de mai pour avoir une «mesure plus précise de l’impact des prescriptions de valproate sur la descendance des femmes exposées», précisait encore l’IGAS, qui dénonçait aussi l’«inertie» des autorités sanitaires françaises et du laboratoire Sanofi:
«Le constat de la mission est celui d’un manque de réactivité des autorités sanitaires et du principal titulaire de l’autorisation de mise sur le marché [le groupe Sanofi-Aventis]. Les alertes ont été, au plan français et européen, motivées d’avantage par des signaux exogènes, notamment médiatiques, que par une prise en compte des données de pharmacovigilance et des publications scientifiques.»
Ce sont ces données, actualisées, que vient de rendre publiques le Pr Benoît Vallet. On apprend ainsi que, sur la base des données de l’Assurance maladie, cette étude montre qu’entre 2007 et 2014, 14.322 grossesses ont été exposées à la Dépakine.
Comme elle s’y était engagée, Marisol Touraine a confirmé la mise en place d’un dispositif d’indemnisation pour les victimes, qui sera voté au Parlement d’ici la fin de l’année dans le cadre des lois de finance –le gouvernement fera pression sur Sanofi, multinationale française, pour qu’elle participe activement aux indemnisations. Plus généralement, la ministre de la Santé annonce l’élargissement des mesures de précaution aux autres traitements de l’épilepsie et des troubles bipolaires. C’est ainsi que l’ANSM réévaluera prochainement 21 substances actives utilisées dans le traitement de l’épilepsie. Un dispositif équivalent sera également mis en place pour les traitements des troubles bipolaires.
Ainsi donc, les autorités sanitaires tirent (une nouvelle fois) les leçons des failles du système de sécurité du médicament. Mais (et c'est nouveau), elles cherchent aussi à mettre en lumière des éléments qui pourraient, aujourd’hui, conduire à de nouvelles précautions. Il n’en reste pas moins que les deux pathologies concernées (l’épilepsie et les troubles bipolaires) existent et doivent être traitées par voie médicamenteuse. Le rapport qui vient d’être rendu public établit qu’entre 2007 et 2014, les prescriptions de Dépakine chez les femmes enceintes ont nettement baissé. Mais cette baisse a coïncidé avec une augmentation de prescriptions d’autres médicaments du même spectre, notamment la Lamotrigine (on est passé de 1.340 à 2.116 femmes enceintes traitées par an), le lévétiracétam (270 à 819), l’aripiprazole (323 à 823) et la quétiapine (0 à 481).
La question peut d’ores et déjà être posée de savoir si toutes les femmes enceintes concernées ont reçues une information éclairée des risques potentiels auxquels, du fait de leur traitement, étaient exposés leur enfant.