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Le destin du capitaine Khan prouve que l'islam est aussi une religion de paix

Cité en exemple à la convention démocrate de Cleveland, cet officier américain, fervent musulman, s'était sacrifié pour ses hommes. Avant lui, de nombreux épisodes de l'histoire, de la Shoah au génocide rwandais, avaient été marqués par des actes d'héroïsme de membres de la communauté musulmane.

La tombe du capitaine Khan au cimetière d'Arlington (Virginie). MARK WILSON / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP.
La tombe du capitaine Khan au cimetière d'Arlington (Virginie). MARK WILSON / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP.

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Depuis le 28 juillet et leur apparition à la Convention démocrate de Cleveland, les parents du capitaine Humayun Khan, Khizr et Ghazala Khan, ont essayé d'expliquer aux Américains ce que leur fils avait fait pour les États-Unis et comment il s'était sacrifié pour son pays. Le 8 juillet 2004, à l'âge de 27 ans, le capitaine Khan est mort en Irak: lors de l'inspection d'un véhicule suspect, il avait demandé à ses subordonnés de s'éloigner –la voiture explosera et le tuera, ses hommes en réchapperont. Un acte d'héroïsme qui lui vaudra de recevoir à titre posthume la Bronze Star et la Purple Heart.

Pour les parents du capitaine Khan, le sacrifice de leur fils relève de son sens du devoir, de son patriotisme et de son amour des États-Unis –des arguments d'autant plus forts qu'ils répondent aux insultes répétées de Donald Trump envers les musulmans américains, qu'il accuse de manquer de loyauté et de fiabilité.

Mais il y a une autre explication à l'héroïsme de leur fils qui mérite qu'on s'y attarde –ne serait-ce que parce qu'elle est la réfutation la plus catégorique possible des dires de Trump. L'altruisme absolu du capitaine Khan, un fervent musulman selon son entourage, lui a peut-être été directement inspiré par sa foi. De fait, bien des indices pointent vers le rôle essentiel, et non accessoire, que l'islam a pu jouer dans son sacrifice.

Altruisme, empathie et courage

Depuis quelques années, aux États-Unis et au-delà, il est couramment fait mention de l'islam comme d'une «religion de violence». Bien évidemment, ce sont des musulmans extrémistes qui se sont rendus coupables de certains des pires massacres commis ces deux dernières décennies. Et les terroristes ne sont pas les derniers pour justifier leurs crimes odieux par des versets du Coran.

Depuis le 11 septembre 2001 et dans le monde entier, l'islamophobie a crû de manière exponentielle. Les attentats les plus récents –aux États-Unis, en France, en Inde, au Mali, au Nigeria, au Royaume-Uni, au Pakistan, partout au Moyen-Orient et ailleurs encore– n'ont fait que renforcer les préjugés qui pèsent sur les musulmans. Le racisme et la xénophobie qui en découlent en sont venus à infuser la vie et les propositions politiques. Il suffit de penser à l'idée de Trump d'interdire aux musulmans, a minima temporairement, d'immigrer aux États-Unis.

Mais l'histoire démontre que la pratique et les enseignements de l'islam offrent à leurs adeptes d'estimables ressources pour les inciter à l'altruisme total, à l'empathie et au courage. A l'heure d'abominables crimes contre l'humanité, les musulmans ont été nombreux à s'adosser à leur foi pour protéger les fidèles d'autres religions, y compris des chrétiens et des juifs.

«Quiconque sauve une personne, c’est comme s’il faisait le don de sa vie à toute l’humanité»

Prenez le cas d'Abdelkader, éminent chef politique et religieux musulman, qui sauva, à Damas en 1860, des milliers de chrétiens de la folie meurtrière de fanatiques et de pillards. Il justifia son acte par le devoir islamique d'assistance aux innocents. De fait, le Coran stipule: «Quiconque sauve une personne, c’est comme s’il faisait le don de sa vie à toute l’humanité.» Un geste si admirable qu'Abraham Lincoln offrira un coffret de pistolets Colt à Abdelkader, avant qu'une ville de l'Iowa ne soit baptisée en son honneur. Selon le New York Times de l'époque, Abdelkader méritait «d'être classé parmi les premiers des plus grands hommes du [XIXe] siècle».

Lors de l'Holocauste, si le grand mufti de Jérusalem, Hadj Amin al-Husseini, conseilla effectivement Hitler sur la destruction des Juifs d'Europe, d'autres de ses coreligionnaires en Albanie, Bosnie, Allemagne, dans l'ex-URSS et en Turquie, ont en réalité sauvé des Juifs. Le mémorial Yad Vashem consacre en effet plus de 70 musulmans comme «Justes parmi les Nations» –des non-juifs ayant mis leur vie en péril pour sauver celles de juifs durant ce génocide. Par exemple, l'Albanie (qui était le seul pays à majorité musulmane à l'époque), a vu survivre quasiment tous ses 200 juifs autochtones et les quelque 1.800 réfugiés qui vivaient sur son sol. Un élément du code de l'honneur albanais, la «besa» exhorte en effet tous les individus à protéger les nécessiteux. Une garantie de sécurité qui se fonde sur des principes islamiques accordant un caractère sacré à la défense d'une vie. Le fils d'un Albanais honoré comme «Juste parmi les Nations» par Yad Vashem avait ainsi expliqué que son père avait caché quatre familles juives parce qu'«en tant que musulmans fervents, nous étendons notre protection et notre humanisme aux juifs. Pourquoi? A cause de la besa, de l'amitié et du Saint Coran». Albert Einstein lui-même allait profiter de l'assistance albanaise pour fuir l'Europe et rejoindre les États-Unis.

En 1994, pendant le génocide rwandais, des musulmans ont héroïquement sauvé des Tutsis –musulmans ou non– et, comme à Damas et en Albanie, ont attribué leurs actes à leurs principes religieux. Ces musulmans ont caché des Tutsis, entre autres lieux, dans leurs mosquées, qui se sont révélées bien plus sûres que les églises chrétiennes. Yahya Msengiyuma fut l'un de ces héros et sauva la vie d'au moins cinquante Tutsis. Contrairement à l'usage et à l'interprétation du «djihad» devenus la règle après le 11-Septembre, bon nombre de chefs musulmans au Rwanda se sont référés à cette «guerre sainte» pour qualifier «notre guerre contre l'ignorance entre les Hutus et les Tutsis. Notre lutte pour la guérison». Par gratitude, beaucoup de Rwandais se sont convertis à l'islam dans les années qui suivirent le génocide, tant et si bien que le pays vit sa population musulmane doubler. «S'il n'y avait eu les musulmans, toute ma famille serait morte», affirme Aisha Uwimbabazi, l'une de ces redevables convertis.

L'énumération des héros musulmans pourrait se continuer encore longtemps. En décembre dernier, au Kenya, les shebab, connus pour tuer les non-musulmans, s'en sont pris aux passagers d'un bus. Alors que les terroristes leur ordonnaient de se classer par religion, les musulmans ont refusé, en passant des hijabs aux femmes chrétiennes et en cachant d'autres personnes derrière une pile de bagages. Les djihadistes allaient quitter les lieux et le massacre de chrétiens fut évité. Un membre du gouvernement kényan célébra le courage des passagers musulmans et l'unité religieuse dont ils avaient fait montre en déclarant: «C'est un très beau message pour mes frères et sœurs de la communauté musulmane». Le 1er juillet, lors de l'attentat dans un restaurant de Dacca au Bangladesh, Faraz Hossain, un musulman étudiant à l'Université Emory, allait se retrouver parmi les victimes de la fusillade. Les terroristes, qui cherchaient à tuer des étrangers, avaient permis à Hossain de partir sain et sauf. Mais il refusa d'abandonner ses amies, habillées à l'occidentale, originaires d'Inde et des États-Unis.

Citer en exemple

Ces musulmans, hommes comme femmes, ont tous voulu protéger leurs congénères au péril de leur vie, de leur famille et de leur communauté –non pas en dépit de leur religion, mais souvent en raison de leur foi. A l'heure où des dirigeants occidentaux cherchent à impliquer les musulmans dans leur combat contre des extrémistes violents, une campagne qui s'appuierait sur cet instinct protecteur inhérent à l'islam serait une arme supplémentaire contre les radicaux, que les «musulmans modérés» condamnent et combattent.

Le rôle protecteur significatif, quoique sous-estimé et rarement célébré, joué par des musulmans en des temps de conflit, y compris lors de génocides et autres atrocités, devrait nous rappeler combien les musulmans, à l'instar de tout groupe religieux, n'ont rien d'homogène. De même, le Coran, à l'instar de tout texte religieux, peut être interprété de plusieurs façons –parfois pour faire le mal, mais aussi et souvent pour faire le bien. Les actions humaines sont des choix individuels et des héros peuvent émerger de groupes stigmatisés.

Les décideurs politiques, s'ils espèrent être efficaces, doivent comprendre que les individus sont plus complexes que les stéréotypes planant sur les groupes auxquels ils appartiennent. De fait, on ne pourrait qu'inciter les gouvernants à mettre en avant les cas d'héroïsme illustrés par des musulmans pratiquants. Non seulement cela permettrait de mieux rendre compte de l'histoire, au plus près de sa réalité, mais des individus –musulmans ou non– pourraient ainsi être motivés à suivre l'exemple donné par ces musulmans aux pires heures de l'humanité.

Le capitaine Khan aura courageusement fait don de sa vie aux États-Unis. Ce faisant, il a rejoint une longue liste de musulmans ayant mis leur existence en péril pour sauver leurs semblables. En plus de se plonger dans la Constitution américaine, comme le lui a conseillé Khizr Khan, Trump devrait aussi mieux s'informer sur le rôle historique de l'islam dans le pays, et le monde, qu'il espère un jour diriger.

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