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Peut-on ubériser les guides touristiques?

Lors de mes derniers congés, j’ai passé plus de temps à consulter mon smartphone que les guides touristiques que j’avais emportés. Avec quelques applis, j’ai pu organiser mes vacances au jour le jour. Est-ce à dire que le Routard ou le Lonely planet sont voués à disparaître? Ou bien à être réinventés?

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Guide | JoshBerglund19 via Flickr CC License by

Temps de lecture: 6 minutes

Bardé d’applis, un téléphone peut-il remplacer votre bon vieux guide touristique? Faut-il encore débourser une vingtaine d’euros pour s’encombrer de 500 grammes de papier bientôt ravagés par l’humidité et le sable? Les renseignements distillés dans les Routard, Lonely Planet, Guide vert, Petit futé, encore moins ceux du trop rare Guide bleu, ne sont évidemment pas obsolètes, mais ils ont tendance à devenir accessoires.

L’évidence s’impose. Aussi soigneusement mis à jour qu’il soit, votre guide a un défaut majeur: il est imprimé, donc daté, donc en retard. A fortiori s’il est acheté d’occasion. Ce n’est pas forcément un détail. Mieux vaut se fier à des informations fraîches pour les éventuels risques sanitaires ou politiques. Même puisées aux meilleures sources, celles des guides, forcément, datent un peu.

Renseignements pratiques: pas de Brexit cette année

Au Routard, on fait appel à un «spécialiste de parasitologie tropicale», indique Philippe Gloaguen, son fondateur, mais sans pouvoir réagir à «l’actualité des deux derniers mois». Ce guide bénéficie pourtant de «deux ou trois réimpressions dans l’année, toujours avec des corrections», lorsque le Lonely Planet est réédité à fréquence moindre: «un à deux ans pour les villes, deux à trois ans pour le pays», précise Frédérique Sarfati-Romano, directrice France du guide né en Australie.

Autre exemple: à quoi bon chercher dans un guide le cours de change lorsque, avec une appli comme Xe.com, on peut calculer (hors connexion) la moindre dépense au centime près? Solution de facilité? Ben oui, on est en vacances. «C’est à quelques euros près, tempère Philippe Gloaguen. Tout le monde s’en fout!» Sauf en cas de Brexit, avec la forte chute du cours de la livre britannique.

Renseignements pratique… ment inutiles

Qui a encore besoin de regarder la liste des compagnies aériennes desservant tel ou tel pays pour préparer son voyage? C’est évidemment avec un comparateur de prix que l’on achète son billet. Et, s’agissant des formalités d’entrée, il est prudent de vérifier en ligne les informations délivrées par les autorités du pays concerné, voire acheter un visa en ligne. Quant à la liste des agences de voyages ou les indications pour se rendre à Roissy… Autant suivre RER B sur Twitter pour être informé des pannes de signalisation quotidiennes.

Il en va de même avec les lexiques qui permettent de prononcer approximativement quelques phrases. Non seulement ils correspondent rarement à votre situation, mais ils ne vous disent presque rien sur la prononciation. Les mots, le contexte, le son: à l’écrit comme à l’oral, de nombreuses applis de traduction simultanée vous seront bien plus utiles.

Un guide a fourni un gros travail éditorial, les auteurs sont connus, l’information est vérifiée… Surtout, les voyageurs ont appris à croiser les informations

S’il apparaît que les renseignements pratiques contenus dans les guides ne présentent plus guère d’intérêt, il reste néanmoins impensable de les supprimer. Surtout, se contenter du numérique, c’est prendre le «risque de passer son temps le nez sur sa tablette, tant sont nombreux les sites à consulter», renchérit Philippe Gloaguen. C’est l’avantage des guides: tout y est regroupé. «Le livre est encore l’objet le plus facile à utiliser», souligne Frédérique Sarfati-Romano, et aucun site «disponible ne remplit aujourd’hui cette fonction».

Hébergements et déplacements: les autocollants ont changé

Hier, les hôtels affichaient fièrement un «recommandé par Le Routard». Désormais, le badge est de plus en plus remplacé par la note obtenue sur TripAdvisor. Un site qui, comme Agoda ou Booking, a bouleversé l’organisation des vacances. Fini le temps où l’on errait dans les rues, un guide à la main, en cherchant désespérément un hôtel, qui était déjà complet parce que s’y retrouvaient tous ceux qui avaient le même guide! On peut désormais gérer les hébergements six mois à l’avance ou bien au jour le jour: repérage des chambres disponibles, vérification des appréciations, réservation.

Un progrès? Philippe Gloaguen en doute: «Ce sont des sites où les avis sont en grande majorité émis par des Anglo-Saxons. Les Français y sont très minoritaires, de l’ordre de 10 à 15%. Et, comme les goûts des Américains et des Anglais ne sont pas partagés par les Français, on peut souvent être déçu.» Il invite aussi à se méfier des éventuels liens publicitaires, et déplore le «cannibalisme» pratiqué par les plateformes hôtelières (1).

Même prudence pour Frédérique Sarfati-Romano, qui invite à interroger la «crédibilité d’un commentaire. Sur internet, il n’y a pas forcément de date ni même d’identité. Un guide a fourni un gros travail éditorial, les auteurs sont connus, l’information est vérifiée… Surtout, les voyageurs ont appris à croiser les informations.»

Des applis à la carte

Distances non indiquées, orientation aléatoire, échelle déformée, localisation incertaine… Les cartes des guides sont le plus souvent inutilisables. Et je me demande souvent quelle est leur utilité en tentant vainement de les déchiffrer.

Malgré des approximations, Google Maps rend finalement un bien meilleur service. On sait très vite si l’on va dans le mauvais sens, sans avoir à vérifier la description du bas-relief (même hors connexion, l’appli permet de s’orienter à peu près partout). Mieux: pour qui affectionne les vacances itinérantes, savoir à quelques minutes près les temps de parcours, conditions de circulation comprises, est un précieux atout pour planifier une visite, réserver un hébergement, faire un détour… Avec la meilleure volonté du monde, aucun guide ne pourra vous aider à ce point. J’ai trouvé des applis qui donnent les plans de métro, il y en a d’autres pour faire des randonnées… Ce n’est qu’un début. La cartographie papier a pris un coup de vieux. Le numérique prend le pas et cela s’accroîtra dès 2018, avec la suppression du roaming en Europe, estime Frédérique Sarfati-Romano.

Le guide de demain: papier et numérique?

Aujourd’hui, les ventes «papier» restent conséquentes (1,7 million d’exemplaires du Lonely Planet, 2,5 millions pour le Routard, 2 millions pour le Petit futé). Mais les éditeurs réfléchissent tous au guide de demain, l’impact du numérique se faisant déjà sentir, ne serait-ce que par l’accélération des rééditions.

Nos guides ont changé: il y a de plus en plus de photos, l’arborescence a été modifiée… Dans la collection “En quelques jours”, nous n’indiquons plus d’hôtels parce que les lecteurs les cherchent ailleurs

Prudent, Philippe Gloaguen indique avoir perdu «beaucoup d’argent» en créant des applis et se contente de faire du «teasing par rapport au papier» avec Routard.com, un site avec des forums très actifs. Une logique «freemium» également en place au Petit Futé, où le site détaille la première partie des guides, mais omet l’essentiel (les sites, restaurants, hôtels…).

Chez Lonely Planet, l’impact d’internet est déjà visible: «Nos guides ont changé: il y a de plus en plus de photos, l’arborescence a été modifiée… Dans la collection “En quelques jours”, nous n’indiquons plus d’hôtels parce que les lecteurs les cherchent ailleurs.» L’éditeur réfléchit à des guides couplant papier et numérique, ou vendus par chapitres, lorsque le pays est vaste (Chine, États-Unis…).

Inversement, au Petit futé, Dominique Auzias met résolument le cap sur le numérique. Présent en Chine, il distribue gratuitement son guide (en format numérique et en chinois) aux Chinois qui demandent un visa via Green pass. «On en a distribué 15 millions. Tous les Chinois qui viennent en France l’ont sur leur tablette, s’enthousiasme-t-il. Et c’est financé par la pub.» À la rentrée, il lancera une appli «ready to go», permettant de trouver un restaurant à proximité d’un monument, de recevoir une confirmation de réservation, et même de traduire un menu, par reconnaissance des caractères. Une appli gratuite dans sa langue, payante si l’on en télécharge une autre!

Le guide futé sur mesure

Surtout, il propose depuis peu des guides touristiques sur mesure, partant du principe qu’un «guide est un peu comme un smartphone : on ne l’utilise qu’à 10, 20 ou 50% de ses capacités». Sur le site Mypetitfute.com, chacun sélectionne les informations qui l’intéressent pour composer son propre guide. Tandis que l’internaute sélectionne son point d’arrivée, établit un parcours, choisit de conserver ou non certaines informations (uniquement les hôtels de charme ou les restos à petit budget), le site lui suggère des compléments (un détour pour visiter tel ou tel monument…).

«On monte un bouquin de 300 ou 400 pages en quelques minutes», indique Dominique Auzias –démonstration faite devant l’auteur de cet article. Une fois personnalisé (on choisit son titre, les couleurs, on met sa photo…), le livre est édité aux différents formats numériques (e-pub, PDF et mobipocket, pour environ 6 euros) et peut aussi être imprimé, pour être livré 2 à 3 jours plus tard. Un exemplaire unique, avec impression numérique, revient en moyenne à 20 euros (plus les frais de port).

«C’est environ 20% plus cher que le livre classique. Ca correspond au prix accepté pour une personnalisation.» Car ce guide «à la carte» répond aussi aux demandes spécifiques: un itinéraire dans deux ou trois pays ou bien un week-end limité à une région. «Pour le mariage de sa fille, une dame a élaboré un guide recensant les hébergements en Dordogne, et en a fait imprimer 80 exemplaires personnalisés, avec la photo de chaque invité!» Plus de 1.750 exemplaires ont été vendus depuis fin mars, date du lancement de l’offre.

Le papier sert aussi à se déconnecter

Paradoxe: le Petit futé recourt ainsi au numérique pour mieux vendre du papier? Les vacances 100% smartphone ne sont sans doute pas pour demain. «Les gens préparent le voyage sur internet mais l’accomplissent avec le guide à la main», observe Frédérique Sarfati-Romano. Domingue Auzias observe que les guides personnalisé jouent en faveur du papier. «La personnalisation joue à plein, avec l’envoi de dédicaces, par exemple. Au départ, on commande en numérique puis si l’on compose un autre guide, on le fera éditer en papier.»

Évidemment, les vacances peuvent aussi être l’occasion de déconnecter vraiment. Cet été, j’ai croisé un couple de Belges qui partait au Turkménistan pour un mois. «On part sans téléphone, on coupe totalement et on se débrouille sur place. Avec un guide, mais pas toujours.» Précision: tous les autres touristes avec qui j’ai discuté avaient des smartphones. Et des livres.

«Le livre a de nombreux avantages, conclut Philippe Gloaguen. Vous pouvez le consulter sans être raccordé, sans adaptateur, il supporte le sable, peut tomber par terre, se lit facilement à l’extérieur et sera bien plus efficace qu’une tablette pour écraser un moustique dans votre chambre.»

Sauf à télécharger –si, si ça existe– une appli anti-moustiques.

1 — Les commissions prélevées sont très élevées. Pour éviter à l’hôtelier de les payer, repérez son établissement sur Boooking, puis appelez-le pour réserver une chambre, en négociant le tarif (petit déjeuner gratuit par exemple). Retourner à l'article

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