Économie

Dans les télécoms, des réorganisations à la hache

La décision de supprimer 5.000 postes chez SFR illustre la perte de valeur ajoutée dans un secteur où une concurrence exacerbée oblige à réduire encore les coûts. La question de la responsabilité de l’État est posée.

PHILIPPE HUGUEN / AFP
PHILIPPE HUGUEN / AFP

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Une réduction d’un tiers des effectifs! Le couperet est tombé sur SFR avec une brutalité qui ne doit pas étonner puisque Patrick Drahi, qui a acquis le deuxième opérateur français en 2014 via sa société Numéricable, l’avait annoncé à demi-mots.

«C’est un peu comme chez Darty quand vous avez une garantie de trois ans. Au bout de trois ans, la machine à laver tombe en panne, on fait comment? On paie. Ils (les salariés) savent qu’on est en sureffectifs», avait-il déclaré à Libération (dont il a pris le contrôle).

Le délai de grâce auquel il avait consenti pour emporter SFR sera respecté, mais pas plus. Le guichet de départ sera ouvert dès l’an prochain. Objectif: 5.000 postes en moins. Et si les candidats ne sont pas assez nombreux d’ici à 2019, Michel Combes, PDG de la société, déclenchera alors un plan de licenciements, aucun doute là-dessus. L’État n’étant pas au tour de table, la gesticulation habituelle ne pourra empêcher la direction de l’opérateur de mener sa stratégie à son terme. 

Les télécoms, comme les autres secteurs

Qu’est-ce qui peut justifier une telle violence? Certes, les télécoms ne sont pas le seul secteur où des coupes claires massives sont opérées. Dans le nucléaire, Areva doit se séparer de plusieurs milliers de collaborateurs, en France, et l’ex-branche énergie d’Alstom reprise par General Electric réduit ses effectifs de 20% en Europe (soit 6.500 postes dont près de 800 en France, alors que son ex patron Patrick Kron a pour sa part reçu une prime exceptionnelle de plus de 4 millions d’euros pour avoir bouclé la vente à l’américain). 

L’énergie est touchée, mais l’automobile également avec une réduction d’un tiers du nombre des salariés de cette industrie en quinze ans, note l’Insee. Logique, puisque la production cumulée en France de véhicules légers de Renault et PSA a baissé de 25% en sept ans et que les usines françaises ne fabriquent plus qu’une voiture sur quatre des productions mondiales des deux groupes.

L’ouverture du marché à un quatrième opérateur de mobiles en 2012 a bouleversé les équilibres

Dans les transports, les plans sociaux d’Air France sont à l’origine de grèves qui ont marqué les esprits. La logistique avec MoryGlobal, la grande consommation avec Intermarché, la pharmacie de Sanofi… n’ont pas été épargnées. On pourrait surtout mettre en avant la sidérurgie qui a perdu 90% de ses emplois en quarante ans, une descente aux enfers que les engagements pris par Mittal au moment de son raid boursier sur Arcelor il y a dix ans n’ont pas enrayée. 

Le secteur des télécoms est donc soumis au même régime que les autres pans de l’économie. Il présente toutefois un caractère particulier: alors que, pour l’automobile comme pour la sidérurgie, les restructurations partent du constat que les secteurs historiques de l’industrie ont eu besoin de réaliser des gains de productivité pour s’adapter à la compétition internationale, les télécoms sont à l’inverse un secteur réputé porteur, à la pointe des applications de hautes technologies avec de forts potentiels compte tenu des marchés nouveaux qui s’ouvrent aux opérateurs. 

Une pression plus forte pour les salariés

Les salariés pouvaient espérer que, intégrant Orange, SFR ou Bouygues Télécom, leur carrière serait aspirée par la dynamique du marché. Ils ont appris à déchanter à cause de la forte pression née de l’hyper concurrence dans le secteur, et des objectifs toujours ambitieux qu’ils doivent atteindre à toutes les fonctions, notamment dans le service à la clientèle aussi bien des particuliers que des entreprises. 

On se souvient, à ce titre, du débat qui éclata après plusieurs suicides de collaborateurs survenus chez Orange. En réalité, depuis l’explosion de la mobilité et l’avènement de l’internet, les vagues de consolidation et de réorganisation se succèdent dans les télécommunications avec, à chaque fois, de nouvelles coupes claires pour diminuer les coûts fixes –la réduction des effectifs demeurant la principale variable d’ajustement. Même dans un secteur de pointe, les vieilles pratiques de gestion des ressources humaines ont toujours cours. Surtout depuis que l’entrée fracassante du low cost dans le bal des télécoms avec Free.

Pour justifier leurs décisions, les opérateurs mettent en avant la nécessité de réinventer leur modèle économique en tenant compte de l’évolution des technologies, de la demande des utilisateurs et de la pression de la concurrence. Le refrain est le même que dans les autres secteurs. Mais il prend une tonalité particulière dans les télécoms. L’ouverture du marché à un quatrième opérateur de mobiles en 2012 a bouleversé les équilibres. Le discours officiel posait comme axiome que plus de concurrence serait finalement avantageux pour le consommateur. 

Les télécoms ne paient plus

En réalité, les opérateurs ont aujourd’hui bien du mal à dégager les marges qui doivent leur permettre d’investir pour demeurer à la pointe des technologies. La guerre des tarifs d’abonnement depuis que Free, le dernier entrant, a conquis des parts de marché en bradant ses prestations, est à l’origine de cette situation. Ainsi, en 2013, les prix des services mobiles ont dégringolé de 26% et encore de 10% en 2014, remarquait l’Arcep, l’agence de régulation des télécoms, en 2015. Et pourtant, le trafic des données sur les réseaux ne cesse d’augmenter, et les besoins vont aller crescendo. Le low cost et l’investissement ne font pas bon ménage. Pas d’autre solution que de réduire encore les coûts. À la fin, c’est l’emploi qui trinque.

Car l’investissement, lui, est incontournable. Sans nouvelles capacités pour faire passer plus de données, impossible de progresser dans la voie de la convergence qui implique de faire passer toujours plus de voix et toujours plus d’images vers un nombre toujours plus grand de foyers. 

L’objectif consiste pour chacun à pouvoir proposer à un même client de plus en plus de prestations afin de dégager de nouveaux leviers de valeur ajoutée

Sans parler des services toujours plus nombreux que les entreprises veulent proposer aux consommateurs pour les solliciter en continu sur leur téléphone portable, à commencer par les banques et la grande distribution. Au point que des banques comme le CIC ou le Crédit Mutuel, et des grands distributeurs comme Auchan ou Leclerc, se sont mis à proposer également des prestations téléphoniques grâce à des partenariats avec les opérateurs de mobiles qui mettent leurs réseaux à leur disposition. Et deviennent peu ou prou des offreurs de services financiers ou autres. 

Le retour de la convergence

L’objectif consiste pour chacun à pouvoir proposer à un même client de plus en plus de prestations afin de dégager de nouveaux leviers de valeur ajoutée lorsque l’offre télécom, en elle-même, en génère de moins en moins. Pour les opérateurs télécoms, trouver ces relais de croissance est devenu vital. Mais pour offrir plus de services, toujours plus rapidement et avec toujours plus de sécurité, il faut plus de capacités, et des moyens pour les installer. On tourne en rond.

C’est d’ailleurs sur la base de ce constat que le gouvernement ne semblait plus considérer que la présence d’un quatrième opérateur sur le marché français était forcément salutaire lorsque Bouygues Télécom et Orange entrèrent en discussion pour fusionner. L’opération n’a pu aboutir, mais elle a révélé une approche à géométrie variable de l’État à propos de l’optimisation du marché des télécoms en France.

Et la consolidation du secteur n’a pu être réalisée. Pourtant, tout le monde le souhaitait. Déjà, en 2014, lorsque Vivendi mit sur le marché SFR, on pensait qu’un rachat par Bouygues aurait permis de réorganiser le secteur avec un opérateur de moins. Finalement, Numéricable mit la main sur l’opérateur. Le marché français conservait ses quatre opérateurs, le même nombre qu’aux États-Unis.

Dans ce contexte, Patrick Drahi se positionne dans la convergence théorisée par Jean-Marie Messier il y a quinze ans, avec ses acquisitions dans le câble, les télécoms les médias. Il se projette à dix ans. Et restructure son groupe en conséquence. À la hache. Le problème, c’est que c’est que cinq mille salariés vont faire les frais du manque d’anticipation des directions précédentes et de l’État dans leur vision du marché des télécoms et les moyens de le mettre en place. 

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