Médias / France

Les médias doivent-ils jouer un rôle actif dans la guerre psychologique contre Daech?

Le Monde annonce qu'il ne publiera plus les photos des auteurs d'attentats en France ni d'images produites par Daech. Les médias peuvent-ils par ces pratiques juguler la propagation de la terreur?

ERIC CABANIS/AFP
ERIC CABANIS/AFP

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Prompts à distribuer bons et mauvais points (y compris Slate.fr paraît-il...), les médias font depuis l’intensification des attentats en France eux-mêmes partie des institutions auxquelles les citoyens demandent, à juste titre, des comptes. Ils sont périodiquement accusés de perdre leur sang-froid et de céder à la passion triste pour le sang dont on les soupçonne habituellement. Après l’attentat au camion de Nice, les télévisions françaises ont cruellement manqué de la déontologie dont la profession s’enorgueillit par temps calme.

A force d'être accusée de tous les maux, la profession prend conscience qu’elle a aussi son rôle à jouer dans le combat contre la paralysie par la peur, objectif poursuivi par le terrorisme. Dans l'éditorial publié le 27 juillet, le directeur du journal Le Monde Jérôme Fenoglio annonce que le quotidien participe à sa manière à la contre-offensive psychologique en cessant de publier des «images extraites des documents de propagande ou de revendication de l’EI». Depuis l'attentat de Nice, le journal renonce aussi à publier des photographies de terroristes «pour éviter d’éventuels effets de glorification posthume».

Alors qu’un «débat» sur les «pratiques» du Monde est par ailleurs en cours selon le même article, les nouvelles règles qu’il annonce sont l’écho des tiraillements de la profession, ainsi qu'une porte de sortie acceptable au dilemme fondamental entre informer et... démoraliser ses audiences. La chaîne d'info en continue BFM-TV, volontiers prise comme symptome d'une course aveugle à l'image, a annoncé qu'elle allait faire de même. «Nous voulons éviter de faire une mise en avant involontaire de ces gens, avec des photos qui, de plus, sur l’antenne d’une chaîne d’information en continu, reviennent plusieurs fois dans la journée», a expliqué au Monde Hervé Béroud, le directeur de la rédaction de la chaîne. Nous voulons aussi éviter de mettre les terroristes au même niveau que les victimes, dont nous diffusons des photos, comme celle du prêtre Jacques Hamel tué mardi à Saint-Etienne-du-Rouvray».

Dans la foulée, Europe 1 a également décidé de ne pas citer les noms des terroristes sur son antenne.

Comme le terrorisme est par définition l’action qui recherche à maximiser sa portée au-delà des dommages commis, la médiatisation de ses actes est une condition nécessaire à son succès. Pas de terrorisme sans population terrorisée, donc exposée aux images de cette terreur.

Certains vont au-delà et attendent des médias qu'ils jouent un rôle actif dans la guerre psychologique qui oppose la société à l'État islamique et ses «soldats». Le psychiatre Richard Rechtman conseille, dans une interview à Télérama, de décréter l'anonymat des auteurs d'attentat dans les médias. Bernard-Henri Lévy va dans le même sens en demandant aux médias de ne plus diffuser ni le nom, ni la photo, ni le parcours des djihadistes après une attaque.

Le risque d’une confirmation des thèses complotistes

Les tenants d’une liberté absolue des médias opposent à cette volonté de retenue le risque d’un confortement de la mentalité complotiste. La «jihadosphère» comme la nomme l'expert en djihadistes Romain Caillet, aurait alors un discours différent de celui des médias mainstream, et le monopole de la nomination du monde, accréditant la thèse que les médias mainstream «nous mentent». 

Le complotisme a transformé des pans entiers d'une population en machine à douter par principe de ce qui émane des organes de presse, considérés comme des relais d’un pouvoir lui-même corrompu, fourbe et manipulateur. Mais ceux qui ont adopté cette posture ont déjà rompu avec les «médias officiels», pratiquent quotidiennement la «réinformation» sur des sites «dissidents». En clair ils ne sont déjà plus exposés aux messages des principaux médias écrits, audiovisuels ou en ligne. Une retenue supplémentaire n’aliènerait donc qu’une partie du public qui a déjà fait sécession, ravie de voir dans ces éléments passés sous silence de nouveaux indices et une confirmation de ses croyances conspirationnistes

Il y a aussi la crainte qu’un black-out concerté sur certains aspects d’un attentat, comme les photographies des suspects, soit inadaptée à la situation: l’État islamique et ses relais ont fait prospérer la publicité de leur cause en se dotant de leurs propres canaux et contenus: agence de presse, récits vidéos, comptes Twitter, magazine traduit en plusieurs langues, etc. L’organisation peut donc continuer de propager ses messages et maximiser le retentissement de ses actes par ses propres moyens, sans l'aide des médias traditionnels. A la nuance près qu’elle ne touche que ceux qui font la démarche de s’informer par elle, ce qui réduit déjà considérablement l’audience de tels messages.

L'art de la sobriété résistera-t-il longtemps à la curiosité du public, toujours ambigu quand il reproche à des médias qu'il consomme d'oeuvrer dans le sensationnel...

Mais qui est qui? | Europe1.fr

Comme l'explique le directeur de la rédaction de BFM au Monde, il serait évidemment naïf de penser que ces mesures démobiliseront des candidats au djihad. Elles sont, au final, plus pensées pour le public des médias de masse français, dont la perception du conflit en cours aura un impact sur son issue.

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