France

Extension (minutieuse) du domaine symbolique de la lutte terroriste

Daech, qui revendique l'attaque contre une église de la banlieue de Rouen, ne parvient heureusement pas à augmenter le nombre de victimes de chaque attentat. Mais poursuit son travail de sape en variant les cibles et les symboles.

Derrière l'église de Saint-Etienne-de-Rouvray où a eu lieu la prise d'otages. CHARLY TRIBALLEAU / AFP
Derrière l'église de Saint-Etienne-de-Rouvray où a eu lieu la prise d'otages. CHARLY TRIBALLEAU / AFP

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La stupeur qui a suivi l'attentat de Nice qui a fait 84 victimes est à peine retombée qu’une nouvelle attaque a eu lieu, cette fois sous la forme d’une prise d’otages à l’arme blanche dans une église d’une ville de la banlieue rouennaise, Saint-Etienne-de-Rouvray. Le bilan est d’un mort et un blessé grave, tous deux égorgés. La victime était un prêtre auxiliaire de 84 ans.

Avec cet attentat rapidement revendiqué par l’État islamique dans l’un de ses désormais traditionnels communiqués, et perpétré par deux individus dont au moins un était fiché S et a tenté de se rendre en Syrie, l’action terroriste se déploie un peu plus sur le plan géographique, mais aussi symbolique et de notre rapport au temps.

N'importe quand

On sait désormais —même si le doute n’était pas franchement une option– que le découpage social du temps en parties cohérentes et différenciées (l’été / l’hiver, la semaine / le week-end, les périodes d’activité / les vacances) ne nous protège pas de la menace.

Alors qu'on estime à plusieurs mois à un an le temps pour qu'une société mette à distance le choc d'une attaque terroriste d'ampleur, l'horreur avait frappé juste au-delà de ce délai, un jour de fête nationale, alors que le déroulement de l'Euro laissait croire que la menace était derrière nous. 

A nouveau, le pays se trouve confrontré à une attaque à une période où la classe politique et la classe médiatique qui la commente ont coutume d’interrompre leurs activités pour se prélasser au bord de la mer ou à la campagne quelques semaines avant la «rentrée» (politique / institutionnelle / littéraire / culturelle, etc.). Les assauts répétés du terrorisme perturbent cet agenda institutionnel qui, par son caractère prévisible et récurrent, fonctionne comme un rempart au sentiment d'urgence permanente –et à la fatigue qui s'ensuit. 

A chaque fois, des lieux qu'on considère comme anodins ou paisibles se chargent d'associations nouvelles, faites de violence et de désespoir

N'importe où

Après avoir cruellement repeint la carte mentale de la France en frappant une grande ville touristique azuréenne, point d’entrée du Sud Est de la France, l’EI étend sa toile sur le territoire français en ciblant une petite ville normande. A chaque fois, des lieux qu'on considère comme anodins ou paisibles se chargent d'associations nouvelles, faites de violence et de désespoir. De nouveaux lieux et monuments de souvenir viennent compléter une carte toujours en construction des points d'impact.

Comme à l’accoutumée, la découverte de la cible est l’occasion d’une petite mise à jour socio-spatiale qui a de quoi surprendre le lecteur. Qui s’imagine qu’en Seine maritime, entre la commune de Saint-Etienne-de-Rouvray et celle voisine d’Elbeuf, un embryon de «filière djihadiste» vers la Syrie a été mise au jour par les renseignements dans la foulée des attentats du 13 novembre? Un enfant du pays, Maxime Hauchard, originaire d’un village de l’Eure, fait d’ailleurs partie des recrues de Daech en Syrie, où il officierait comme bourreau de l’organisation. Un nouveau récit, certes partiel mais bien réel, des villes et villages de France fait se cotoyer Daech et Le Bonheur est dans le pré, Groland et l'armée de «soldats» radicalisés. Comme les rues les moins fréquentées du pays voient des Pokémon faire irruption sur des surcouches de réalité virtuelle, le terrorisme a pour effet de planter des membres du GIGN en premier plan de photos comme détournées de la France de Raymond Depardon.

N'importe qui

Que Daech n’ait pas frappé plus tôt les «Croisés» en leurs lieux de prière paraît aujourd’hui presque surprenant. Le choix de la cible est de nature à appuyer sur la plaie déjà béante de la défiance inter-communautaire qui sévit en France. Bien sûr, les élus et associations s’assureront dans leur majorité de mentionner la «communauté catholique» du pays. La distinction est heureuse, et on identifiera sans trop de marge d’erreur possible la minorité politique tentée par l’affrontement inter-religieux à l'opposition qui sera pointée entre les lieux sacrés de la chrétienté et l'islam.

Contrairement à ce qu'on peut lire ou entendre, il n'y a pas vraiment de palier supplémentaire franchi par le choix de l'attaque. Pour autant cette prudence ne mettra pas à distance l’idée, encore puissamment ancrée, que dans le pays le catholicisme est une sorte de fond culturel par défaut. Une évidence dont les innombrables héritages patrimoniaux, coutumiers ou même juridiques portent la marque, y compris quand cette identité s'est construite contre l'emprise religieuse. C'est jusque dans l’inconscient des Français que ce rapport particulier et contrarié à l’église continue de faire son effet selon certains démographes et sociologues. Ce fond culturel dormant et démonétisé est comme ravivé par l'importance que lui porte l'assaillant. En cela, Daech continue en s'attaquant à une église, d'épuiser les défenses psychologiques et spirituelles, au sens large, de la société.

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