Santé / Monde

Voici venu le temps des terroristes «amoks»

Le profil psychiatrique du meurtrier de Munich semble acquis: un «amok», une personnalité submergée par une «folie meurtrière». Avant lui: Andreas Lubitz, le pilote suicidaire de la Germanwings. Et demain?

Fleurs et bougies le 24 juillet 2016 devant le centre commercial de Munich où a eu lieu la fusillade du 22 juillet, qui a fait neuf morts | Christof Stache/AFP
Fleurs et bougies le 24 juillet 2016 devant le centre commercial de Munich où a eu lieu la fusillade du 22 juillet, qui a fait neuf morts | Christof Stache/AFP

Temps de lecture: 4 minutes

Quels démons, quelle folie, l’habitaient? Qui était Ali David Sonboly, Germano-Iranien de 18 ans qui le 22 juillet s’est suicidé après avoir, dans sa ville de Munich, abattu froidement neuf personnes et blessé seize autres. Un attentat commis dans un centre commercial. Pour l’heure tous les témoignages semblent converger. Un jeune homme d’apparence normale, souvent affable mais comme intérieurement torturé. Rien toutefois qui n’avait jusqu’ici véritablement alerté. Dès le lendemain de l’attentat Thomas Steinkraus-Koch, procureur de Munich, parlait de «l’acte d’un forcené» –un meurtrier agissant manifestement sans motivations politiques.

Hubertus Andrä, chef de la police de Munich, a complété le tableau apolitique: «Nous avons trouvé des éléments montrant qu’il se préoccupait des questions liés aux forcenés. Il n’y a absolument aucun lien avec le groupe État islamique.»

Est-ce si simple? L’équation ainsi posée, les questions soulevées n’en apparaissent pas moins d’une particulière complexité. One ne peut pas ne pas être frappé du lien existant entre Ali David Sonboly et Anders Behring Breivik –terroriste d’extrême droite qui, cinq ans jour pour jour avant la tuerie de Munich, avait, en Norvège, abattu soixante-dix-sept personnes (et blessé cent-cinquante et une autre). Selon certains témoignages, Ali David Sonboly utilisait un portrait de Breivik comme photo de profil sur WhatsApp. Comment dès lors soutenir, comme le font les autorités allemandes, que la tuerie de Munich ne répond en rien à des motivations «politiques»?

Une piste spécifique semble se dessiner: les enquêteurs ont découvert chez le tueur de nombreux documents ayant un rapport avec les amoks –à commencer par un exemplaire de l’ouvrage Why Kids Kill: Inside the Minds of School Shooters du psychologue Peter Langman. Les enquêteurs ont aussi trouvé des coupures de presse et des textes colligés sur internet et consacrés à Tim Kretschmer, un lycéen de 17 ans qui avait en mars 2009 abattu quinze élèves de sa classe à Winnenden (Bade-Wurtemberg).

La tuerie de Munich est aussi intervenue quatre jours seulement après une attaque à la hache dans un train régional également en Bavière commise par un jeune demandeur d’asile de 17 ans qui a revendiqué son geste au nom du groupe État islamique. Selon le chef de la police de Munich, des éléments ont été découverts montrant qu’Ali David Sonboly avait aussi suivi de près cette attaque.

Risque de contagion épidémique

«Amok»? On désigne ainsi un comportement meurtrier, toujours individuel, observé en de nombreux endroits du monde, qui a d’abord intéressé les ethnographes puis les psychiatres avant d’être vulgarisé par Stefan Zweig dans une nouvelle datant de 1922 et devenue célèbre: «Amok ou le fou de Malaisie». Le mot a été introduit dans la langue français il y a près de 200 ans; «amok» provient du mot malais amuk («rage incontrôlable») et peut désigner aussi bien la personne atteinte que l’accès lui-même. Il a été popularisé en anglais par par les récits coloniaux de Rudyard Kipling et peut nommer tout aussi bien un comportement meurtrier sans discernement que des agissements d’animaux (domestiques ou sauvages) insensés et destructeurs. On le retrouve dans l’expression «to run amok», décrivant plus largement un comportement ou une situation devenant hors de contrôle.

Le caractère «enragé» de l’acte meurtrier d’un amok n’est nullement incompatible avec ce qui peut être interprété comme une planification

En Allemagne, la piste amok avait été évoquée en mars 2015 au décours du crash de la Germanwings provoqué par le pilote Andreas Lubitz. Le 27 mars, le tabloïd allemand Bild publiait un cliché de Lubitz pris en 2013 lors d’un semi-marathon organisé par la Lufthansa à Francfort en demandant s’il était un «pilote amok».

Tous ces éléments ne fournissent pas une lecture claire de ces passages à l’acte meurtrier, qu’il s’agisse de leur genèse psychopathologique, de leurs causes premières et des actions médicales qui permettraient de les prévenir. Comment faire la part entre une action terroriste totalement dissociée de motivations politiques ou idéologiques et une autre qui, sans revendiquer une cause, emprunte néanmoins à une forme de résonance mimétique? Sous une autre forme cette question se pose, en France, pour Mohamed Lahouaiej Bouhlel, l’auteur de la tuerie de Nice.

Il faut ici bien comprendre la dimension psychiatrique, qui fait que le caractère «enragé» de l’acte meurtrier d’un amok n’est nullement incompatible avec ce qui peut être interprété comme une planification. Le fait avait été observé dans le cas de Lubitz. C’est tout particulièrement vrai dans le cas du meurtrier de Munich, qui avait fait des repérages depuis plusieurs mois, qui avait organisé un piège sur Facebook et qui est passé à l’acte cinq ans très précisément après la tuerie d’Anders Brejvik, en Norvège. Nous sommes, à Munich, étrangement confrontés à une forme de mise en abyme, un amok se documentant sur les amoks avant de devenir l’un d’entre eux... Se pose alors la question, centrale, de la nature des derniers éléments qui poussent au passage à l’acte. Serait-ce, dans le cas d’Ali David Sonboly, l’attaque à la hache dans le train régional de Bavière?

On observe ici l’une des limites des actions de santé publique dans le champ de la psychiatrie. Or tout indique que la situation actuelle présente un risque potentiel de contagion épidémique: tout se passe comme si chaque attentat terroriste, du fait notamment de ses traitements médiatiques, augmentait la probabilité de sa réplication à court ou moyen terme. Et ce, quelles que soient les motivations (individuelles-pathologiques ou collectives-idéologiques) avancées. «Dans les dix jours qui suivent un amok, on compte systématiquement d’autres cas, explique, dans Le Journal du Dimanche, le professeur Armin Schmidtke, psychiatre à l’Université de Würzburg. Ces sombres héros sont portés au pinacle par les autres qui veulent les imiter.»

Le phénomène que nous observons aujourd’hui conduit ainsi à prendre la mesure de la dimension collective et contagieuse de certaines pathologies psychiatriques. Les histoires mêlées de la littérature, du romantisme allemand et de la psychiatrie sont ainsi à l’origine de l’effet Werther –référence à la vague de suicides ayant suivi le succès des Souffrances du jeune Werther, de Goethe. On désigne ainsi un mimétisme du suicide, mimétisme médiatiquement induit. Les terroristes «amok», qui se suicident (directement ou non) après avoir tué massivement sont-ils l’expression moderne, le prolongement, de cette rage incontrôlable et mortifère observée depuis longtemps en différents endroits du monde?

cover
-
/
cover

Liste de lecture