France

Attentat de Nice: que s'est-il passé cette nuit-là?

Démêlons les deux polémiques en cours, sur les failles de sécurité, et l'acte commis par Mohamed Lahouaiej-Bouhlel.

La Promenade des Anglais, le 20 juillet 2016. VALERY HACHE / AFP
La Promenade des Anglais, le 20 juillet 2016. VALERY HACHE / AFP

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Après l'attentat de Nice, le 14 juillet 2016, la France se retrouve plongée dans deux polémiques: la première concerne l'acte en lui-même, jugé au départ commis par un fou sans réelle préparation, avant que l'on ne se rende compte qu'il avait été prémédité et préparé pendant des mois. La seconde concerne le dispositif de sécurité: des failles dans le dispositif mis en place cette nuit là apparaissent. Retour sur les faits, point par point. 

1.La préméditation de l'attentatUn long chemin de révélations

Au lendemain de l'attentat de Nice, la France se réveille avec la gueule de bois et beaucoup de questions. Dans une allocution, le président François Hollande parle d’une «attaque, dont le caractère terroriste ne peut être nié, est encore une fois d'une violence absolue» avant d’évoquer une menace «terroriste islamiste». Pour autant, aucune revendication n’a encore eu lieu et des débats vont très vite s'ouvrir sur la nature terroriste de l'attentat. Des vois pour prétendre que le terroriste n'est peut-être qu'un fou pas si religieux que ça.

Dès le 15 juillet, le procureur François Molins confirme l’identité du tueur: Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, connu de la police pour des violences et des vols mais pas des services de renseignements. Pour l’heure, Molins précise qu’aucun élément ne permet de dire si Lahouaiej-Bouhlel a bénéficié de l’aide de complices ou s’il est en lien avec des organisations terroristes. Dans le camion, seul un pistolet automatique a été retrouvé à côtés d’armes factices. L’ex-épouse et un homme de l’entourage du tueur sont placés en garde à vue par les autorités.

Daesh revendique l’attaque près de 36h après les faits, dans la matinée du 16 juillet.

Entre le 16 et le 17 juillet, des révélations s’enchaînent et sèment le trouble sur la personnalité du tueur. Lahouaiej-Bouhlel est présenté par beaucoup de ses proches comme étant un homme «violent qui n’a pas toute sa tête», qui ne pratique pas la religion musulmane et qui aurait une sexualité «débridée». Dans le même temps, cinq personnes sont interpellées, notamment un homme suspecté d’avoir fourni le pistolet automatique au tueur.

Le 18 juillet, le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, note encore l’absence de liens démontrés entre l’auteur de «cet attentat abject» et les «réseaux terroristes». Le ministre de l’Intérieur ajoute:

«On ne peut pas exclure qu’un individu déséquilibré et très violent, et il semble que sa psychologie témoigne de ces traits de caractère, ait été à un moment, dans une radicalisation rapide, engagé dans ce crime absolument épouvantable».

Dans l'esprit de nombreuses personnes, il devient donc possible qu'il ne s'agisse pas réellement d'un attentat terroriste, que Daech se soit adonné à une revendication purement opportuniste. Les experts des questions djihadistes sont pourtant affirmatifs: il s'agit d'un attentat terroriste, «être déséquilibré n’a jamais empêché d’être djihadiste» explique David Thomson dans Nice Matin.

Ce que l'on sait désormais: la préméditation de l’attentat est établie, l'attentat est indéniablement terroriste. Il n'y a aucun doute possible. Des images de vidéosurveillance montrent Lahouaiej-Bouhlel à deux reprises près de la promenade des Anglais et son ordinateur contient des traces de recherches sur des accidents de voitures mortels et des sites de location de poids-lourds. Il est aussi établi, a expliqué le procureur Molins le 21 juillet «qu'il pu bénéficier de soutiens et de complicités dans la préparation et la commission de son acte criminel».

L’exploitation téléphonique a permis la découverte sur le téléphone du terroriste de «plusieurs autres clichés révélateurs du caractère prémédité de son attentat», selon Le Monde, dans son compte-rendu«ont notamment été retrouvés la photographie d’un article sur le captagon, un stupéfiant parfois utilisé par les djihadistes (...) des photographies de feux d’artifice, les 14 et 17 juillet 2015, avec des zooms sur la foule; un article du quotidien Nice-Matin intitulé "Il fonce sur la terrasse d’un restaurant", et encore un article du 9 janvier 2016 relatif aux faits commis à Paris dans le commissariat du 18e arrondissement, titré "L’homme tué devant le commissariat de Barbès est un Tunisien"».

Cinq personnes sont placées en détention provisoire et une instruction a été ouverte contre eux par le parquet pour «participation à une association de malfaiteurs terroristes, en vue de la préparation d’un ou plus crimes d’atteinte aux personnes». Leur identité est désormais révélée: il s’agit de quatre hommes et d’une femme, interpellés dès le début de l’enquête.

2.La sécurisation de la zone piétonneUn doute sur les effectifs déployés

 

Dans les jours qui ont suivi l'attentat de Nice, une autre polémique a vu le jour, cette fois à propos du dispositif de sécurité mis en place le soir du drame sur la zone piétonne aménagée à l'occasion du feu d'artifice du 14-Juillet et sur le nombre véritable de policiers déployés pour sécuriser la Promenade des Anglais. Étaient-ils aussi nombreux que ce qu'a annoncé la préfecture des Alpes-Maritimes? Bernard Cazeneuve a-t-il «menti»? Le minitre de l'Intérieur s'est-il arrangé «avec la réalité»?

Les accusations d'Estrosi. Tout commence le 16 juillet, deux jours après le drame, lorsque Christian Estrosi, premier adjoint au maire de Nice (LR), a accusé Bernard Cazeneuve de mensonges sur le dispositif de sécurité déployé sur la Promenade des Anglais. «Il n’y avait pas les 64 policiers nationaux annoncés par la préfecture. Bernard Cazeneuve a menti. L’enquête le démontrera», a-t-il ainsi déclaré. Des accusations qui ont poussé la préfecture des Alpes-Maritimes a réagir, par communiqué, en détaillant les effectifs en poste ce soir-là, rappelle Le Monde. Christian Estrosi, de son côté, demande une enquête pour «comprendre comment la préfecture des Alpes-Maritimes [avait] organisé le dispositif».

Le bras de fer Libération/Bernard Cazeneuve. Il y avait trois barrages pour protéger la zone piétonne ce soir-là. C'est le premier, le Point Gambetta, qui va cristalliser la polémique.

Le 20 juillet, celle-ci change de dimension: Libération publie une enquête et révèle que, contrairement à ce qu'a affirmé le ministère de l'Intérieur, le Point Gambetta (qui constitue l'entrée de la zone piétonne de la Promenade des Anglais) n'était protégé que par une voiture de police municipale, et pas par la police nationale, au moment du passage du camion conduit par Mohamed Lahouaiej Bouhlel.

Le gouvernement n'a pas tardé à réagir. Dans la nuit, par communiqué, Bernard Cazeneuve s'est dit «indigné» par des «contre-vérités» qui «interrogent la déontologie des journalistes» à l'origine de cet article «aux ressorts du complotisme». Dans la foulée, les auteurs de l'enquête ont publié un nouvel article confirmant leur version des faits. Johan Hufnagel, directeur délégué aux éditions de Libération [co-fondateur de Slate.fr, et ancien rédacteur en chef], insiste de son côté sur le «grand respect de la déontologie» de ses enquêteurs et sur «un dysfonctionnement dans les transmissions d’informations qu’il convient de pointer et de régler»

Cafouillage. Libération explique que Bernard Cazeneuve a menti sur le dispositif policier présent sur le premier barrage «Gambetta», surveillé par la police municipale. Bernard Cazeneuve s'est toujours défendu en disant que la police nationale était «très présente». Elle l'était effectivement, mais au second barrage près de la Prom'Party jugé plus à risque. Dans son communiqué de presse, il ne répond pas à l'attaque de Libération, semblant plutôt la confirmer: «L'accès à la zone piétonne de la Prom'Party [soit le deuxième barrage] sur la Promenade des Anglais était sécurisé par un barrage de la police nationale (...) C'est ce que la préfecture, le Ministre de l'Intérieur et le Premier Ministre ont affirmé avec constance, dans leurs communiqués comme dans leurs déclarations». 

Ce que l'on sait désormais: Bernard Cazeneuve a demandé le 21 juillet une enquête administrative auprès de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) en vue d'effectuer «une évaluation technique du dispositif de sécurité et d'ordre public». Pour le ministre de l’Intérieur, il s’agit surtout de mettre fin à des «polémiques inutiles», comme le rapporte France 24.

L'enquête administrative, décisive à ce point du débat, va rendre ses conclusions dès la semaine prochaine

Les accusations qui planent désormais sur Bernard Cazeneuve ont suscité l'émoi, à gauche comme à droite. François Hollande salue avant tout «le sang-froid, la rigueur et la compétence de Bernard Cazeneuve dans une période où nous avons vécu l'Euro, un certain nombre de manifestations, de menaces très sérieuses sur notre pays et des attentats déjoués». Jean-Marie Leguen, secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement, a appelé au micro de RTL, à «arrêter ce jeu délétère» et réaffirme son soutien au ministre. A contrario, Marine Lepen dans un communiqué appelle à sa démission tandis que Eric Woerth (LR) explique dans Le Monde, que «si certains ont menti, il y a une chaîne de commandement et les responsabilités doivent être engagées ». Eric Ciotti, député des Alpes-Maritimes et Guillaume Larrivé, député de l'Yonne (LR) demandent eux des «auditions publiques» pour faire toute la lumière sur cette affaire. 

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