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Le coup d'État à Ankara, la version turque de l'incendie du Reichstag?

Un professeur de sciences politiques à l'université Sabancı à Istanbul dresse un parallèle entre le coup d'état raté du 15 juillet en Turquie et ce qui est considéré comme l'acte de naissance du régime nazi.

Un père drapé dans le drapeau turque et son père face au Parlement bombardé le 15 juillet à Ankara | DIMITAR DILKOFF / AFP
Un père drapé dans le drapeau turque et son père face au Parlement bombardé le 15 juillet à Ankara | DIMITAR DILKOFF / AFP

Temps de lecture: 2 minutes - Repéré sur Open Democracy

Pour la cinquième fois depuis 1960, des militaires turcs ont tenté un coup d’État. Mais à la différence de ceux de 1960, 1971, 1980 et 1997, ces putschistes ont échoué, rappelle notre journaliste Ariane Bonzon. Bilan: 265 morts, 1.400 blessés et déjà des centaines d’arrestations.

Ce coup d’État très improvisé a été mené par un groupe d’officiers opposés au régime du président Erdogan, lesquels avaient visiblement imaginé qu’une fois le putsch lancé, le reste de l’armée les soutiendrait, ce qui n’a pas eu lieu. A l’opposé, ce sont les forces de police et les nervis et militants de l’AKP (Parti de la justice et du développement), pour l’essentiel, qui se sont confrontés aux putschistes.

Ayşe Kadıoğlu est professeur de sciences politiques dans une université d'Istanbul, il raconte comment il a vécu la soirée, sur le site Open Democracy:

«Au soir du 15 juillet, vers 22h30, un ami m'a appelé et m'a dit que les deux ponts qui liaient la rive asiatique et européenne du pays étaient bloqués par des barricades militaires. Des avions militaires volaient au dessus d'Ankara. Vivant sur la rive européenne, je me rends chaque jour sur la rive asiatique (...) j'ai tout de suite sur que la fermeture des ponts signifiait que quelque chose d'inhabituel était en train de se passer.»

Lorsqu'il a vu les images du parlement turque en partie détruit par les bombes d'hélicopters militaires, l'universitaire s'est rappelé d'une autre image histoire, celle du Reichstag, le Parlement allemand, après la nuit du 27 février 1933.

1933-2016

Le bâtiment à Berlin est incendié, les nazis récemment au pouvoir –Hitler est chancelier du Reich depuis le 30 janvier 1933– accusent les communistes. La police trouve sur les lieux un Hollandais de 24 ans, Marinus Van der Lubbe, ex-membre des jeunesses communistes. Il sera jugé à Leipzig en septembre 1933, puis condamné à mort en décembre de la même année. 

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Le professeur stambouliote ne dresse pas seulement un parallèle entre les deux images à cause des dommages faits aux bâtiments. L'incendie du Reichstag était aussi la dernière chance pour le peuple de conserver des libertés et la possibilité d'un esprit critique en Allemagne. Au lendemain de l'incendie, l'ordre a été donné par décret du dirigeant du Reich d'ignorer sept articles de la constitution.

«Ce décret a permis au gouvernement de prendre contrôle de toutes les régions allemandes et d'imposer la peine de mort pour de nombreux crimes», continue le professeur.

«Aujourd'hui, j'ai entendu une journaliste demander au Premier ministre en direct à la télévision s'il pensait à remettre en place la peine de mort au lendemain de ce coup d'État. Le Premier ministre a répondu qu'il considérait la possibilité de mesures préventives. Il semblait aussi faire l'éloge la foule, parfois violente, qui s'est opposée de manière violente au coup d'État dans la rue.»

Il voit dans le décret passé en Allemagne en 1933 des ressemblances avec les mesures que veut prendre le gouvernement aujourd'hui. Les libertés individuelles, la liberté de la presse, le droit de se rassembler, les communications privées avaient été remises en cause. Pour Ayşe Kadıoğlu , il y a des points communs et des signes déjà du recul des droits des Turcs, à l'heure où des douzaines de membres du Conseil d'État et de la Cour de Cassation turcs ont été arrêtés moins de 24 heures après le coup d'État. 2700 juges vont en effet être démis de leur fonctions, ont annoncé les autorités judiciaires.

«Après ce 15 juilllet, nous parlons à présent d'une consolidation d'un nouveau type d'autoritarisme en Turquie», conclut le professeur. De la même manière, selon lui, que l'incendie du Reichstag en février 1933 avait apporté des arguments au régime nazi pour renforcer ses pouvoirs.

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