France / Culture

De Jean Vigo à Romain Gary, retrouver Nice loin de l'horreur

Chaque tragédie fait ressurgir des images, des sons, des mots produits par les artistes et qui nous racontent autrement le lieu touché.

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À chaque drame dans le monde surgissent et recirculent des images, des sons, des mots attachés au lieu touché, ceux produits dans les années ou décennies qui ont précédé par les artistes, et qui nous le racontent d'une autre façon, loin de l'horreur ou de la désolation. Pour le Bataclan, cela avait pu être, par exemple, le «Hallelujah» de Jeff Buckley. Pour Nice, touchée par la dramatique attaque au camion-bélier qui a fait au moins 84 morts le 14 juillet, cela peut-être, par exemple, les nombreux tableaux où Marc Chagall, Henri Matisse ou Raoul Dufy ont peint la capitale azuréenne:

Ou, en littérature, quelques lignes de Romain Gary, qui s'était installé dans la ville à quatorze ans en arrivant de Pologne, et l'a peinte dans son merveilleux La Promesse de l'aube (1960):

«Après le spectacle, j'offrais mon bras à ma mère et nous allions nous asseoir sur la Promenade des Anglais. Les fauteuils étaient payants, là aussi, mais c'était un luxe que nous pouvions à présent nous offrir. En choisissant bien son fauteuil, on pouvait se placer d'une telle façon que soit l'orchestre du Lido, soit celui du Casino, vous était accessible sans bourse délier.»

Si c'était une chanson, ce pourrait être «Nice in Nice», des Stranglers, single ironique extrait de l'album Dreamtime (1986), inspiré d'une mésaventure qui était survenue aux membres du groupe britannique dans la capitale azuréenne six ans plus tôt, quand ils avaient été emprisonnés pendant une semaine pour incitation à l'émeute après que leur concert dans l'université de la ville ait été interrompu par une panne électrique.


Tous ces artistes ont écrit à propos de Nice –comme le titre du tout premier film, tourné en 1929, du cinéaste Jean Vigo, alors âgé de seulement 24 ans. Un documentaire muet influencé par le cinéma russe (le coréalisateur du film, Boris Kaufman, est le frère du grand théoricien du montage Dziga Vertov) et Un chien andalou de Luis Bunuel, sorti l'année précédente, avec ses cadrages et son montage audacieux, où la mer qui lèche les galets vient se superposer à des jetons à une table de roulette. Et qui a suscité deux œuvres dérivées, Nice – À propos de Jean Vigo (1984) de Manoel de Oliveira et le film collectif À propos de Nice, la suite (1995).

«À propos de Nice relève du documentaire social ou, plus exactement, du point de vue documenté [...] qui se distingue du documentaire tout court et des actualités de la semaine par le point de vue qu'y défend l'auteur», disait Vigo. Le fils de l'anarchiste Miguel Almereyda y dépeint les contrastes sociaux de la ville, entre les riches oisifs en villégiature et les habitants qui doivent travailler pour vivre, qu'il s'agisse de laver du linge ou de la vendre la socca, cette spécialité locale. Cette ville qu'il «déteste», comme l'écrit le critique Joël Magny, Vigo la magnifie aussi par la poésie de sa mise en scène: dans un texte publié après l'attaque du 14 juillet, la romancière niçoise Maryline Desbiolles écrit que le cinéaste «chahute» la ville «en se moquant des bourgeois trop assis, mais il la chante aussi, il se laisse prendre par le rivage, son dessin, et la mer qui dévore tout».

Ce contraste, Vigo lui-même l'avait souligné dans le texte de présentation du film: «Ciel bleu, maisons blanches, mer éblouie, soleil, fleurs multicolores, coeur en liesse, telle apparaît d’abord l’ambiance niçoise. Mais ce n’est là que l’apparence éphémère, que la mort guette, d’une ville de plaisirs.» Ces plaisirs tel celui, qui a pris une terrible connotation cette semaine, qui constitue le tout premier plan du film: un feu d'artifice dans le ciel.

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