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Comment fabriquer son propre gin dans sa baignoire

C’est «le» spiritueux en vogue, le chouchou des apéros d’été une fois noyé dans le tonic. Mais pour vous éviter de cramer la CB dans l’un de ces flacons craft aux prix indécents, on vous explique comment coudre main votre gin home made, avec les conseils avisés de Nicolas Julhès à La Distillerie de Paris. Voyage au pays des arômes.

Crédit: Christine Lambert
Crédit: Christine Lambert

Temps de lecture: 4 minutes

«J’aide Christine à écrire un article sur comment nous mettre au chômage.» La réponse à la question «Qu’est-ce que tu fous?» a fusé sans même qu’il lève la tête. Nous sommes dans la cour de la Distillerie de Paris, un samedi matin à l’heure du café-croissant, à goûter les gnôles, à renifler les macérations, à mélanger les botaniques en chassant les abeilles en vadrouille (les ruches perchées sur le toit…), tout ça parce que Nicolas Julhès ne refuse jamais de répondre à une question, fût-elle parfaitement idiote.

C’était quoi la question? Ah oui: comment fabriquer son propre gin, l’un des rares spiritueux qu’on peut créer à son goût sans le redistiller, atout qui en fit la star de la Prohibition sous forme de «bathtub gin» –quand on jetait dans la baignoire tout ce qui pouvait macérer dans l’alcool neutre distillé à l’arrache pour le civiliser avant qu’il ne vous ponce les amygdales? Oui, oui, j’aurais pu googler, mais c’eût été moins amusant.

Vous pouvez craquer pour des agrumes insolites, des herbes rares ou des épices originales | Crédit: Christine Lambert

1.Arracher une vodka à son triste destin

Le gin n’est jamais qu’une vodka pomponnée au genièvre et, éventuellement, habillée d’herbes, écorces, zestes et épices. Alors on commence par le commencement, et on achète une bouteille de vodka, de préférence titrant entre 50 et 65% (si le pourcentage d’alcool est trop mou ou trop violent, l’extraction des composés aromatiques des botaniques vous arrachera une grimace très Prohibition).

Pourquoi une vodka et non un gin de base? Pour garder la maîtrise du dosage en genièvre, colonne vertébrale de votre gnôle de salle de bain. Et pour sauver une vodka de son triste destin sans saveur –ça changera des pandas en danger. Commencez modestement avec une bouteille, pas une baignoire.

2.Où vais-je? Dans quel état j’erre?

Avant même de commencer, essayez d’avoir une idée du gin que vous avez envie de créer. De cette décision dépendra le choix et le nombre des botaniques. «Tu dois avoir une vision de ton produit, résume Nicolas Julhès. Et tout ce que tu ajoutes dans ton alcool doit arriver au service de cette vision. Au début, mieux vaut rester simple, presque binaire, et travailler avec deux ou trois ingrédients.»

Attention, les baies de genièvre fripées et rabougries apportent des notes de terre humide, de vieux sapin qui pourrit sur pied

C’est le moment de craquer pour des agrumes insolites, des herbes rares ou des épices originales car vous les utiliserez en très faibles quantités, sans vous ruiner –pensez-y quand vous craquerez pour un gin à 50 euros, qui, lui, vous prend pour un gogo.

3.D’abord, le genièvre (et après on verra)

L’intensité en genièvre sculpte l’essentiel du caractère d’un gin. C’est donc l’étape à ne pas saborder. N’achetez pas de baies déshydratées: vous avez besoin du gras, des huiles essentielles qu’elles renferment. Et faites le tri pour écarter toutes celles qui ne sont pas bien lisses et rebondies. Impératif, ce délit de sale gueule, car les baies fripées et rabougries apportent des notes de terre humide, de vieux sapin qui pourrit sur pied.

Quelle quantité de baies? Tout dépend de votre interprétation du gin. Commencez pépère, avec 25 grammes de genièvre pour 70 centilitres de vodka. Si les baies sont entières, laissez macérer une journée ou au-delà, mais un conseil: goûtez très souvent –il faut parfois savoir se sacrifier quand la quête le mérite. Si vous émiettez les baies pour en extraire les arômes huileux logés dans le cœur, quinze à trente minutes suffisent; au-delà, le boisé rafle la mise. Pour gagner en complexité, divisez la vodka diluée à différents degrés dans plusieurs récipients, en émiettant ou non le genièvre, et jouez sur plusieurs temps de macération pour créer ensuite un assemblage.

4.Ensuite, les botaniques (et après on verra encore)

À cette étape, laissez votre imagination poser les limites. «Le gin, c’est le truc le plus facile à créer, car il n’y a pas de règles, tu disposes d’une liberté totale. Et c’est aussi ce qu’il y a de plus difficile à faire, car il n’y a pas de règles, tu disposes d’une liberté totale», ironise l’ami Julhès. Jusqu’à quel point user ou abuser de cette liberté (vous avez trois heures et je ramasse les copies)? Allez, un peu d’aide.

Gin making

Vous pouvez laisser macérer tous vos ingrédients dans le même saladier de vodka ou les travailler un par un ou à plusieurs en vue d’un futur assemblage. Avec l’avantage de ne pas tout balancer si vous vous ratez sur une infusion; et l’inconvénient de devoir goûter régulièrement (j’insiste, le timing est crucial) chaque macération. J’ai dit «inconvénient»? My bad.

Pour élaborer un gin dry et frais, jouez sur les zestes (non séchés) d’agrumes, la coriandre fraîche (30 à 40 minutes de macération dans l’alcool suffisent), le concombre tranché, le thé vert genmaicha…

Pour un boisé tempétueux, privilégiez une macération longue des baies de genièvres non émiettées. Et misez sur une infusion rapide de thé noir dans l’alcool, du rooibos, de la réglisse pour calmer l’astringence. Les fleurs de jasmin séchées apporteront en sus un toucher de bois ciré précieux.

Un gin floral appréciera un genièvre délicat, des fleurs de jasmin fraîches, d’acacias, d’oranger, des pétales de rose, du gingembre frais émincé (en macération rapide), de la bergamote…

Pour un gin méditerranéen, forcez sur le genièvre et piochez dans le répertoire frais et anisé: les écorces d’agrumes, les herbes de Provence (estragon, basilic, thym, romarin), une pointe d’anis étoilé, qui déposera nonchalamment un peu de profondeur en fin de bouche.

5.Les vrais amis et les faux frères

Alerte vigilance, certains ingrédients se montrent un peu traîtres à travailler. La gourmande vanille est de ceux-là. Faites-la toujours macérer à part. La cannelle et la girofle deviennent très vite astringentes; ne les quittez pas d’un œil. Quand ils macèrent trop longtemps, le basilic vire à l’estragon, la lavande à la lessive et la menthe à la pisse de chat. De rien…

Inversement, d’autres botaniques vous transformeront chaque essai. Pour électriser un gin en berne, rien de tel que des graines de cardamome (sorties de leur cosse) ou du poivre du Sichuan. Pour une patine chaleureuse, quelques grains d’orge. Pour apporter de la tension, des écorces d’agrumes, dont la macération se compte en minutes seulement.

6.Les astuces qui font la différence

Le gin, c’est le truc le plus facile à créer, car il n’y a pas de règles, tu disposes d’une liberté totale. Et c’est aussi ce qu’il y a de plus difficile à faire, car il n’y a pas de règles, tu disposes d’une liberté totale

Nicolas Julhès

Terminé? Filtrez le contenu du saladier dans un banal filtre à café pour stopper net l’activité des plus petites graines (cardamome ou miettes de genièvre); laissez reposer. Puis, procédez à la réduction à la Volvic si votre vodka titrait à plus de 40%. Diluez lentement, sur une semaine si possible, en oxygénant à chaque fois le mélange. Cette étape va donner de la cohésion à l’assemblage.

Embouteillez dans un joli flacon sombre si la robe jaune orangé due aux macérations vous plonge dans le désarroi. Si les 70 centilitres de vodka de départ remplissent tout juste une bouteille de 50 centilitres de votre gin maison, pensez à espacer les étapes de contrôle qualité du work in progress la prochaine fois.

 

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