Santé

Finissons-en avec l'épisiotomie systématique et non consentie!

De plus en plus de voix s'élèvent pour dénoncer la généralisation d'une pratique symbolique d'un certain patriarcat du monde médical.

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Épisiotomie | Juliannasanvia Flickr CC License by

Temps de lecture: 7 minutes

«Épisio». L’épisiotomie est à ce point banalisée qu’elle a hérité de son petit surnom, rendant ainsi la pratique, sinon inoffensive, en tout cas, presque anodine dans son énonciation. Elle est même tellement intégrée dans l’imaginaire collectif qu’elle est devenue source de blagues, parfois hilarantes, sur les blogs, dans les sketchs de Florence Foresti ou simplement au cours d’une discussion entre jeunes mères: «J’ai eu une épisio, j’en chie. Littéralement. Elle s’est déchirée jusqu’à l’anus.»

Dès qu’il est question d’accouchement, le mot est assez vite lâché, mais un peu comme on parlerait d’une anesthésie dentaire un peu costaude, ou de n’importe quel acte chirurgical pénible mais inévitable.

Pourtant, il n’en est rien. L’épisiotomie n’a rien de drôle (même s’il faut continuer de tâcher d’en rire jaune) mais n’a surtout strictement rien d’insignifiant ou de léger. Elle pèse même de tout son poids sur la psyché des jeunes ou futures accouchées, sur leur corps, leur santé physique, leur sexualité, le rapport à leur enfant, aux soignants, à la confiance que l’on est censé accorder à ces derniers. Elle n’a surtout rien d’inévitable. Elle peut être synonyme de douleur, de complications atroces, de bafouement du consentement. Bref, de violences gynécologiques. Pour s’en rendre compte, et s’écarter un instant de l’aspect quasi insignifiant que l’on a fini par allouer à l’acte, il suffit déjà, de savoir exactement en quoi consiste une épisiotomie.

«Mutilation inutile»

«Épisio», ça sonne mieux et moins flippant que «intervention chirurgicale qui consiste à sectionner la muqueuse vaginale et les muscles superficiels du périnée afin d’agrandir l’orifice de la vulve et de faciliter l’expulsion du fœtus lors de l’accouchement». Car c’est exactement ce dont il s’agit. Le sexe de la femme va être littéralement agrandi à l’aide de ciseaux chirurgicaux ou d’un scalpel.

Et si quelques médecins et sages-femmes ont commencé à dénoncer la standardisation de cette pratique (30% des accouchements en France) et même à parler de «mutilation inutile», il est urgent de prêter enfin l’oreille à la parole des premières concernées: les femmes, et en particulier, celles qui dénoncent leur douleur restée secrète et ce qu’il convient d’appeler une «violence médicale délibérée». Ce sont les termes employés par Emma, auteure du blog Check ta chatte, qui s’est très judicieusement intéressée aux récits de ces femmes et confie à slate.fr:

«Comme tout le monde, j’ai longtemps cru que l’épisiotomie était un “passage obligé”, contre lequel on ne peut rien faire (c’est ce que ma sage femme m’avait dit pendant mes cours de préparation aussi). J’ai eu un super accouchement avec une petite déchirure et je me suis juste dit que j’avais eu de la chance.

C’est ma copine Fabienne, qui est journaliste scientifique, qui m’a donné des infos sur les taux pratiqués et les recommandations. Je suis tombée des nues. Et puis j’ai rencontré Cécile, assez vite on s’est raconté nos accouchements, et son histoire m’a révoltée.

Si l’épisiotomie avait été inévitable, j’aurais été désolée pour elle, mais comme en plus je savais que ce qu’elle a subi venait juste de la mauvaise volonté (ou formation) du personnel médical qui l’a suivie, oui, je pense qu’on pouvait sans souci parler de violence médicale délibérée»,
raconte l’illustratrice.

Contre son gré

Emma a alors décidé de mettre en image le récit de Cécile, «son accouchement rêvé et une épisiotomie contre son gré». En 2013, Cécile a choisi d’accoucher dans une maternité prônant l’accouchement naturel, et avait pris soin de refuser de façon explicite de subir une épisiotomie. Il est, en effet, de plus en plus fréquent que les femmes soient invitées à rédiger un projet de naissance (ce qu’elles veulent, ce qu’elles ne veulent pas). Et tout aussi usuel que leur vœux ne soient pas écoutés, et même franchement niés.

Au cours de son accouchement, et alors qu’elle maintient son refus de l’épisiotomie, et qu’elle et le bébé vont bien, celle-ci va être pratiquée contre son gré. S’en suivent 13 points de suture, une mauvaise cicatrisation –l’épisiotomie demande des soins ardus qui n’empêchent cependant pas les complications–, des problèmes de sexualité, et surtout, une longue et douloureuse dépression dont elle ne parviendra à s’extraire qu’avec une aide psychologique.

Le témoignage, on s’en doute, a suscité moult réactions. D’abord, d’autres femmes ont elles aussi confié à Emma le récit de leur épisiotomie non consentieFleur estime que la décision de pratiquer une épisiotomie a été prise «parce que ça n’allait pas assez vite pour l’équipe médicale». D’ailleurs, des morceaux de placenta ont été oubliés après l’expulsion et ont été récupérés, en, urgence, «au bras», après une hémorragie.

Le récit d’Ania a ceci de révoltant qu’elle raconte clairement que l’équipe médicale s’est littéralement foutu de sa gueule: «C’est lorsque ma puce est arrivée et que je voyais encore le médecin entre mes jambes et que je lui ai demandé si j’avais eu une déchirure, il s’est foutu de moi en me disant que non, j’avais eu une épisio.»

Le risque de la double peine

La déchirure de la zone périnéale est souvent présentée par l’équipe médicale comme «pire» qu’une épisio, et donc le risque d’être déchirée justifierait l’acte chirurgical. Et ce, en dépit du fait que le collège national des gynécologues obstétriciens a émis des recommandations précisant que l’épisiotomie ne prévient pas les déchirures graves: 

«Lorsque le périnée semble sur le point de se rompre au moment de l’expulsion, une pratique systématique de l’épisiotomie n’est pas nécessaire. Dans cette situation, une politique restrictive de l’épisiotomie permet de multiplier par trois le taux de périnées intacts sans pour autant augmenter le risque de déchirures du troisième degré.»

On peut donc écoper de la double peine: déchirures + épisiotomie.

Précision importante: l’épisiotomie systématique n’améliore pas non plus l’état néonatal, même en cas de rythme cardiaque non rassurant du bébé. Alors pourquoi donc l’épisiotomie reste-t-elle tant pratiquée en France quand d’autres pays comme la Suède ou l’Angleterre ont radicalement fait baisser les statistiques?

La vie, ce n’est pas facile parfois mais que sans déconner y a des trucs plus grave que ça

réaction à un témoignage

Certains arguent le fait que l’acte fait parfois l’objet d’une facturation supplémentaire dans certains établissement privés. Ou encore qu’il s’agit de pallier le manque de moyens en libérant les lits le plus vite possible. Mais la politique libérale de l’épisiotomie semble davantage reposer sur l’alliance d’une idéologie patriarcale et de la force de l’habitude.

«Y a pas mort d’homme»

Les procédures obstétricales d’antan semblent difficiles à faire évoluer: de la position à l’accouchement (sur le dos, les fers en l’air), au rasage du pubis, en passant par le sondage urinaire, on ne compte plus les actes qui continuent a être pratiqués de façon systématique alors même qu’ils ont été catégorisés comme «inefficaces», «utilisés à tort», ou «à utiliser avec précaution» par l’OMS.

Les pratiques routinières autour de l’accouchement sont décriées par les patientes, les experts, les militants mais continuent à perdurer. Les ardents défenseurs de ces protocoles n’hésitent pas à taxer ceux qui les dénoncent de «chipoteurs». Parce que «hé, ho!, y a pas mort d’homme».

C’est la teneur d’autres réactions suscitées par les récits rapportés par Emma. Des femmes ayant elles-même subi des épisiotomie qui se targuent d’aller très bien, merci. Des hommes, dépourvus d’utérus, mais dotés de certitudes inébranlables:

-«Bah ouais, tout le monde sait qu’il est préférable de traumatiser le bébé plutôt que la fierté et la sexualité de la mère.»

-«Beaucoup d’intolérance et de manque d’ouverture d’esprit, je vous laisse entre filles.»

-«On en conclut que Cécile n’est pas morte et que son bébé non plus... Que la vie ce n’est pas facile parfois mais que sans déconner y a des trucs plus grave que ça.»

Ou encore, et il s’agit de réactions les plus déprimantes et surtout les plus éloquentes: des médecins et des sages-femmes qui se sentent injustement mis en cause et qui entendent bien faire entrer dans la tête des femmes que EUX, ils savent.

Des medecins qui ricanent sur «le sacro-saint périnée», une sage-femme qui assène que «c’est pas parce que t’as pondu que tu sais tout sur tout», des médecincs qui hurlent à la «victimisation».

Le «point du mari»

Ces réactions en disent long sur les rapports entre les soignants et les soignés, en particulier quand il s’agit des femmes. Pour Emma, «il s’agit de la réaction typique de la classe dominante. La première réaction de ses membres est de venir clamer qu’ils ou elles ne participent pas à ce problème. Comme si c’était important pour les victimes...»

Sur son blog Marieaccouchela, Marie-Helène Lahaye avait amplement décrit le déni régnant autour de ces questions et comment «la dénonciation des violences obstétricales conduit à un renversement des responsabilités, en transformant la victime en coupable et l’agresseur en victime».

«Entendre le témoignage accusateur d’une femme qui vient de mettre son enfant au monde n’est pas aisé tant il heurte l’image bienveillante du médecin et les représentations mentales de la dangerosité de l’accouchement. Il est souvent difficile pour l’interlocuteur, si compréhensif soit-il, de lui apporter une réponse qui ne soit pas une agression supplémentaire.»

On reconnaît bien cette volonté de vouloir bricoler dans un corps peinard comme on le ferait avec une voiture

Emma

Un phénomène que l’on avait pu observer après la dénonciation du «point du mari» par la sage-femme et écrivaine Agnès Ledig. Elle y détaillait ce geste pratiqué par certains médecins consistant à ajouter quelques points de suture près une épisiotomie pour resserer le vagin et «faire plaisir à monsieur». Une pratique dégueulasse qui avait pourtant été décrite par la suite, comme un mythe ou une «affabulation de bonne femme».

«Il faut lui interdire d’approcher un vagin à moins de 100 mètres»

Pour Jean Marty, président du Syndicat national des gynécologues-obstétriciens de France (Syngof), le «point du mari», c’est surtout «dans la tête des femmes» que cela se passe.  Pourtant, le point du mari, et par conséquent l’épisotomie en disent long sur la façon dont certains professionnels se figurent le corps des femmes:

«Lui, il faut lui interdire d’approcher un vagin à moins de 100 mètres. Ce manque d’empathie est sidérant, encore plus pour un médecin. On reconnaît bien cette volonté de vouloir bricoler dans un corps peinard comme on le ferait avec une voiture», analyse Emma.

Le point du mari, et plus largement l’épisiotomie, interrogent les mécanismes patriarcaux d’une partie des protocoles obstétricaux. Leur pratique semble démontrer, selon Emma, et bien d’autres, «un manque total d’intérêt pour la sexualité des femmes. Le vagin sert à accoucher et à faire plaisir à l’homme, c’est tout».

En témoignent ces nombreux conseils distillés aux femmes sur la sexualité après l’accouchement qui les enjoignent à ne pas trop tarder à s’y remettre parce que «l’appétit vient en mangeant».

Plus rageant encore, les touchers vaginaux pratiqués sans consentement et parfois sur des patientes endormies justifiés par une partie du coprs médicale par le fait qu’«on est pas dans l’intime, mais dans l’anatomie».

Pratiquer un acte chrirugical sans le consentement de la femme, en particulier une épisiotomie, c’est dénier à l’accouchement sa part profonde d’intimité, déconnecter le corps féminin de la psyché, et placer encore davantage la femme qui accouche dans une position (physique et psychologique) de soumission extreme. Tout cela est profondément malfaisant et sexiste en ce que cela continue d’exiger des femmes qu’elles donnent la vie, envers et contre tout, et même contre elles s’il le faut.

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