Monde

Les États-Unis sont-ils en train d'imploser ou, enfin, de se réveiller?

Les leçons à tirer après une semaine de violence

A San Francisco, le 08 juillet 2016. Josh Edelson / AFP
A San Francisco, le 08 juillet 2016. Josh Edelson / AFP

Temps de lecture: 5 minutes

Les tragédies se sont vite succédé et il convient de s'arrêter un moment sur chacune d'entre elles. Mardi, Alton Sterling, 37 ans et père de cinq enfants, était tué lors d'une confrontation avec la police devant un supermarché de Bâton-Rouge, en Louisiane. Selon un appel anonyme aux secours, Sterling brandissait une arme avec un air menaçant (une version que réfute le gérant du supermarché). A leur arrivée, les policiers font face à Sterling, cherchent à l'immobiliser avec un taser et le clouent au sol. Lorsqu'ils essaient de lui passer les menottes, ils trouvent un pistolet dans sa poche. Ils ouvrent alors le feu. Sterling, qui s'était visiblement calmé, meurt.

Chaque acteur endossera ensuite le rôle qui lui incombe dans ce genre de dramaturgie. Les autorités policières suspendent les agents de leurs fonctions. La famille de la victime fait part de son accablement et demande justice. Les dirigeants politiques expriment leurs condoléances et assurent que la procédure suivra son cours en toute équité. Le gouvernement fédéral annonce son implication. Hillary Clinton fait une déclaration.

Mais tandis que nous venions à peine d'apprendre l'existence et la mort prématurée de Sterling – alors que les militants en étaient à se mobiliser et les journalistes à analyser – un autre événement similaire est survenu. Une autre homme a été tué par la police. Dans cette deuxième vidéo, Philando Castile est en sang, penché contre Diamond Reynolds, la femme qui enregistre la scène sur son téléphone. Sa fille de quatre ans est sur le siège arrière. On voit un policier, à l'extérieur de la voiture, pointer son arme vers l'homme. Reynolds déroule alors son récit, avec un calme sidéré. Castile était son petit-ami. Il avait dit au policier qu'il avait un pistolet sur lui, avant de porter une main vers sa poche pour chercher son permis de conduire et de port d'arme. C'est là que le policier allait tirer à plusieurs reprises. «S'il vous plaît, Monsieur l'agent, ne me dites pas que vous venez de lui faire ça», déclare Reynolds. «Vous lui avez tiré quatre fois dessus, Monsieur. Il était juste en train de prendre son permis de conduire et de port d'arme, Monsieur».

Encore plus choquante que la vidéo de Bâton-Rouge, celle-ci allait susciter une colère et une indignation encore plus considérables. A son arrivée à Varsovie, pour le sommet de l'OTAN, le Président Obama s'est adressé au public, déplorant à la fois les homicides et l'ampleur du problème racial au sein des forces de l'ordre américaines. A travers tout le pays, des manifestations ont été organisées pour exiger la justice. A Washington, New York et Dallas, les manifestants étaient plusieurs milliers.

A Dallas, une manifestation pacifique et presque festive –rassemblant groupes religieux, représentant des forces de l'ordre et citoyens ordinaire – s'est transformée en cauchemar quand un sniper (ou plusieurs) s'est mis à viser des policiers. Cinq agents trouveront la mort, dans une fusillade qui allait durer une bonne partie de la nuit. Le suspect –Micah X. Johnson, 25 ans– sera finalement tué par la police, à l'aide d'un explosif monté sur un robot. Trois autres personnes ont été arrêtées, sans qu'on sache aujourd'hui quels sont leurs liens avec la tuerie. La police n'a pour le moment rien trouvé qui pourrait attester d'une relation entre Johnson, ancien combattant de l'armée américaine, et le mouvement Black Lives Matter, ni même avec aucun autre groupe militant. Selon le chef de la police de Dallas, David Brown, Johnson «voulait tuer des blancs et notamment des policiers blancs».

L'impression d'implosion de la société américaine

En quelques jours, nous avons assisté en condensé à toute l'horreur que peuvent représenter les États-Unis

Les morts de Sterling et de Castile nous rappellent, une nouvelle fois, combien les inégalités raciales affligent l'Amérique et combien la police américaine est un vecteur de premier plan de ces inégalités –parce ses officiers se méfient davantage des noirs et parce qu'un tel profilage flatte l'opinion. La tuerie de Dallas nous rappelle, une nouvelle fois, combien la violence par armes à feu semble définir la vie américaine contemporaine. En quelques jours, nous avons assisté en condensé à toute l'horreur que peuvent représenter les États-Unis.

Dans tous les cas, un tel déchaînement de violence, en si peu de temps, n'aurait pas pu laisser intacte la politique américaine. Mais cette année, on est en droit d'attendre le pire. Voici à peine un mois, nous pleurions la mort de dizaines d'individus, tués à l'arme automatique dans un club gay d'Orlando, en Floride. Nous avons assisté à un reflux de haine, de préjugés et d'appels à la division, et nous avons un candidat à l'élection présidentielle, Donald Trump qui cautionne et encourage une telle rhétorique, vu que sa malencontreuse campagne peut en tirer profit. Par conséquent, les barrages que nous avions érigés pour protéger la politique du racisme et de la violence sont en train de rompre. Le contexte international – où la rancoeur et l'intolérance disloquent des unions qui semblaient indislocables – ne fait rien pour calmer nos angoisses. Des groupes et des individus pensent tirer leur épingle du jeu et se remettent, une nouvelle fois, à souffler sur les braises de la haine raciale. L'impression, dans tout ce qu'elle peut avoir de viscéral et d'instinctif, c'est que notre monde est en train d'imploser.

L'espoir

Sauf que ce n'est pas le cas. Nous ne sommes pas en 1968, quand des guerres, des assassinats et des émeutes allait mettre notre pays à genoux, à un tel point que nous avons aujourd'hui énormément de mal à nous en souvenir. Nous ne sommes pas en 1992, quand une autre affaire de violences policières allait enflammer une ville américaine comme jamais une ville américaine n'avait été enflammée.

Il semblerait que nous assistions aujourd'hui au réveil du grand public –le public blanc

Si la question des brutalités policières et des discriminations raciales n’avait jusqu’à présent généré que peu de mouvement politique dans le grand public —le public blanc– il semblerait que nous assistions aujourd'hui à son réveil. Des journalistes conservateurs, comme Matt Lewis du Daily Caller ou Leon Wolf de RedState admettent l'ampleur et le caractère systématique des violences policières. Même Newt Gingrich —celui qui avait qualifié Obama de «président des coupons alimentaires»– est de cet avis:

«Il est plus dangereux d'être noir en Amérique», a-t-il déclaré. «Vous avez beaucoup plus de risques de vous retrouver dans une situation où la police ne vous respecte pas».

Dire qu'il y a de l'unité dans la vie américaine serait bien trop exagéré. Au niveau national, les policiers tuent autant de gens qu'ils en tuaient avant Ferguson, mais le problème a été détecté. Sauf qu'être conscient de la violence policière n'est pas suffisant. Il faut que les Américains –et notamment les Américains blancs– s'accordent à la combattre. Ce qui demande d'arrêter de croire qu'être noir est un signe de criminalité et exige de repenser, au sens large, le rôle de la police. Nous sommes toujours dans une impasse totale sur la question du contrôle des armes, sur la manière de remédier à cette idée voulant que la violence serait au cœur de notre société. Sans oublier le phénomène Trump. Il est toujours vrai que sa campagne est un vecteur de racisme et d'anti-sémitisme. Toujours vrai que son programme cible des minorités raciales et religieuses. Toujours vrai qu'il a généré et entériné un élan de nativisme dégueulasse dans tout le pays.

Reste que les événements de la semaine écoulée – et peut-être, cette impression générale d'être au pied d'un mur quelconque – ont cédé le pas à une bienséance minimale. Le mouvement Black Lives Matter a fermement condamné la tuerie de Dallas, et à part les vaguelettes d'usage dans les marigots d'extrême-droite, personne ne semble vouloir l'en accuser. Au risque de pateauger dans la mollesse du consensuel, le fait est que cette semaine aura autant révélé la force de la société américaine qu'elle en aura éclairé les recoins les plus sombres et les plus fragiles.

Ce qui ne veut pas dire que l'implosion est à jamais impossible. Cela veut simplement dire qu'à l'heure actuelle, nous sommes encore suffisamment nombreux à croire à l'intérêt et à la valeur de notre assemblage. 

cover
-
/
cover

Liste de lecture