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Elle ne cachait pas sa joie, lundi 4 juillet, Laurence Rossignol, invitée de Public Sénat et de Sud Radio. La ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes y confirmait un engagement du président de la République; un engagement «sociétal» dont le caractère technique ne doit pas masquer l’importante politique et symbolique.
À l’avant-veille de la Marche des fiertés du samedi 2 juillet, lors d’une «réunion de travail à l’Élysée» –y assistaient Laurence Rossignol, et le directeur de cabinet du Garde des Sceaux, François Hollande a annoncé aux représentants des associations LGBT (SOS homophobie, inter-LGBT et centre LGBT Paris Île-de-France) l’abrogation prochaine d’un texte visant à prévenir le développement d’une forme de tourisme médical procréatif. Cette annonce ne figure pas dans le communiqué officiel de l’Elysée.
Les trois associations ont expliqué la décision en ces termes: «Le président s’est engagé à abroger la circulaire rappelant la loi de 2012 faisant encourir aux gynécologues qui conseillent et orientent les femmes ne pouvant pas recourir à une PMA en France (car n’étant pas en couple avec un homme) vers des cliniques étrangères, un risque de cinq ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende. Cette circulaire a eu comme conséquences d’entraîner une frilosité des gynécologues à suivre des couples lesbiens et femmes célibataires pratiquant une PMA à l’étranger, certains refusent de les suivre.»
A priori satisfaites, les trois associations ont toutefois dénoncé la faiblesse de la position de la présidence de la République sur la PMA. «Aucun engagement n’a été pris quant à l’ouverture de la PMA à toutes», observent-elles. Elles ajoutent, concernant l’abrogation de la circulaire, «que les articles correspondant du Code pénal ne sont pas abrogés pour autant, et menacent toujours potentiellement les gynécologues». Elles regrettent, enfin, que les pouvoirs publics continuent d’attendre pour agir dabs ce domaine un avis du Conseil national consultatif d’éthique (CCNE) «dont la publication ne cesse d’être repoussée». Un avis, nous indique-t-on de bonne source, qui ne sera pas publié avant plusieurs mois, et peut-être pas avant la fin de cette année. «Nous ne sommes pas soumis aux contingences politiques et nous préférons travailler sur le fond et pour le long terme», précise-t-on.
Pour autant reste l’essentiel: l’initiative présidentielle vient, de manière et sous une forme assez surprenante, s’attaquer au dispositif législatif français de bioéthique. L’une des clefs de voûte de ce dernier est d’inscrire de manière exclusive l’ensemble des techniques de PMA aux couples composés d’un homme et d’une femme en âge de procréer et souffrant de stérilité ou de risque de transmission d’une maladie génétique. C’est dans ce cadre, et au titre de la thérapeutique, que ces actes sont pris en charge intégralement par l’assurance maladie.
«Discriminer les couples homosexuels»
C’est à partir de cette donnée, qui n’a jamais varié en France, que sont nées toutes les polémiques centrées sur l’accès des femmes homosexuelles aux services médicaux de PMA; des polémiques amplifiées par l’arrivée de la gauche au pouvoir, la loi sur le «mariage pour tous» et la lecture qui pouvait être faite des engagements du candidat Hollande à la présidentielle.
La décision de menacer de cinq ans de prison et de 75.000 euros d’amende les médecins français qui «orientent» leurs patientes vers des établissements privés étrangers à but lucratif pour une PMA n’était pas centrée sur le cas des femmes seules homosexuelles ou des couples lesbiens
Les commentaires, sur Public Sénat, de Laurence Rossignol témoignent de l’affrontement idéologique qui caractérise toute évocation d’un droit individuel à pouvoir procréer hors toute notion d’infertilité. La ministre a notamment fait la leçon aux journalistes expliquant que l’on ne pouvait pas, ici, parler de «PMA sans père». Selon elle, seuls les extrémistes de la Manif pour tous et l’ensemble des «conservateurs» usent de cette formule.
La ministre des Familles fait aussi une lecture assez personnelle de la loi de bioéthique. Elle estime qu’en France seule la «grossesse pour autrui» est effectivement (et dans tous les cas) interdite. Il n’en serait pas de même, selon elle, pour la PMA avec insémination artificielle avec sperme de donneur (IAD). Laurence Rossignol est «favorable à ce qu’elle soit aussi ouverte aux couples homosexuels, aux couples de lesbiennes, aux couples de femmes qui peuvent se marier et construire une famille». Et elle «sai[t] très bien que cette ambition a été freinée par la violence des réactionnaires et des conservateurs».
De ce point de vue, le président de la République «n’a fait que dire ce que nous pensons les uns et les autres: il n’y a aucune raison de discriminer les couples homosexuels, les couples lesbiens par rapport aux couples hétérosexuels en leur refusant l’accès à une technologie qui est ouverte aux couples hétérosexuels». «Bien entendu il a fait cette proposition à la demande des associations, a ajouté la ministre. C’est une proposition qui est juste par ce qu’il n’y a aucune raison de compliquer la vie [des couples lesbiens]. Et moi je souhaite à titre personnel, mais comme de nombreux membres du gouvernement et comme une grande majorité de la gauche, que cette interdiction soit levée.»
Or il est un peu excessif de vouloir réduire l’affaire à une vie compliquée et à la violence des réactionnaires. Il est également bien délicat de faire dire au texte abrogé ce qu’il ne dit pas. La décision de menacer de cinq ans de prison et de 75.000 euros d’amende les médecins français qui «orientent» leurs patientes vers des établissements privés étrangers à but lucratif n’était pas centrée sur le cas des femmes seules homosexuelles ou des couples lesbiens.
«Obtenir des gamètes contre un paiement»
Ce texte avait été diffusé en janvier 2013 par la direction générale de la santé (DGS) via les différents échelons disciplinaires de l’Ordre des médecins. Son existence avait été révélée par Le Parisien en février de la même année. C’était l’Agence de biomédecine, informée par des professionnels, qui avait alors alerté le ministère de Marisol Touraine.
Il s’agissait d’un «rappel à la loi» rendu public en plein débat sur le mariage pour tous à l’Assemblée nationale. La DGS s’inquiétait alors «du démarchage de plus en plus offensif des établissements et praticiens français par des cliniques et des organismes étrangers». Ces pratiques, bien qu’«ultra minoritaires», sont condamnables, avait estimé la porte-parole du gouvernement, Najat Vallaud Belkacem au micro de France Info. On se retrouve dans des situations où «certains profitent de la souffrance de ces femmes qui souhaiteraient pouvoir créer une famille et qui ne peuvent pas le faire en France».
Bien plus que l’IAD bénéficiant aux femmes seules ou homosexuelles, la DGS pointait la pratique de la fécondation in vitro (FIV) à partir d’ovocytes de donneuses rémunérées à l’étranger. Et le rappel à la loi renvoyait à une disposition du code pénal (511-9):
«Le fait d’obtenir des gamètes contre un paiement, quelle qu’en soit la forme, à l’exception du paiement des prestations assurées par les établissements effectuant la préparation et la conservation de ces gamètes, est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende. Est puni des mêmes peines le fait d’apporter son entremise pour favoriser l’obtention de gamètes contre un paiement, quelle qu’en soit la forme, ou de remettre à des tiers, à titre onéreux des gamètes provenant de dons.»
Marisol Touraine a pour sa part confirmé vendredi 8 juillet qu’elle venait d’abroger ce texte; un texte qui émanait de ses services et qui avait selon elle été «interprété comme pénalisant les gynécologues prenant en charge des patientes ayant bénéficié d’une PMA à l’étranger». Personne n’avait, de bonne foi, fait cette interprétation et le texte était, sur ce point, très clair.
«Voncoqués pour se faire “gronder”»
Cette lecture ajoute à la confusion mais permet à la ministre de botter en touche. «Toutes les femmes enceintes, quel que soit le mode de conception auquel elles ont eu recours, ont dans notre pays le même droit: celui de bénéficier d’un suivi médical de qualité, partout sur notre territoire», déclare-t-elle. Qui oserait soutenir le contraire?
On supprime à grands bruits un texte promulgué il y a moins de trois ans par le même gouvernement. Et en même temps on réprimande les médecins qui n’ont d’ailleurs jamais cessé de faire leur travail en conscience
Professeur Israël Nisand, spécialiste de gynécologie-obstétrique au CHU de Strasbourg
«Les gynécologues français sont en droit de s’étonner, explique à Slate.fr le professeur Israël Nisand, spécialiste de gynécologie-obstétrique au CHU de Strasbourg. Ils sont actuellement convoqués individuellement devant leurs conseils de l’Ordre respectifs pour se faire “gronder” d’avoir osé avouer, dans un manifeste récent, qu’ils aidaient leurs patientes à trouver à l’étranger ce qui leur était impossible en France. Or c’est pourtant leur devoir d’informer et de guider vers les meilleures structures les patientes en souffrance. Les médecins s’étonnent donc mais, surtout, ils sont consternés. On supprime à grands bruits un texte promulgué il y a moins de trois ans par le même gouvernement. Et en même temps on réprimande les médecins qui n’ont d’ailleurs jamais cessé de faire leur travail en conscience.»
Cette polémique trouve pour partie ses racines dans le fait qu’il existe, en France, une pénurie chronique d’ovocytes disponibles –pénurie due en partie à l’interdiction qui est faite de rémunérer (d’«indemniser») les jeunes femmes pouvant être tentées par ce geste qui réduit leur capital reproductif. Aujourd’hui le groupe médical privé espagnol IVI , très actif, ne cache nullement offrir, en toute légalité, environ un millier d’euros par prélèvement aux femmes volontaires. Ces dernières doivent avoir entre 18 et 35 ans, ne pas avoir d’antécédents génétiques contraires à la législation en vigueur, ne pas souffrir de maladies sexuellement transmissibles, avoir un appareil reproducteur normal et être en bonne santé physique et mentale. Au vu du développement du marché, IVI et ses concurrents espagnols souhaitent d’autre part pouvoir assouplir leurs critères de recrutement.
Où l’on voit, au final, que l’abrogation annoncée de cette circulaire ne peut être réduite à faciliter l’accès à l’étranger à une technique (l’IAD) interdite en France (en dehors de la thérapeutique des infertilités masculines). Le souci de donner des gages sociétaux aux associations LGBT et à une fraction de la gauche progressiste vient brouiller dangereusement la situation.
Quelles seront les conséquences, pratiques et politiques, de l’abrogation d’un texte qui était un «rappel à la loi»? «Tout ceci cache un grand désarroi de la classe politique sur les questions si fondamentales de la bioéthique, résume le professeur Nisand. Et si on laissait les citoyens s’approcher de ces questions et donner leur avis au lieu d’essayer de décider à leur place? Et si on acceptait enfin de faire confiance aux Français au lieu de manier si maladroitement un autoritarisme teinté d’un paternalisme d’un autre temps?»
L’assurance maladie prenant pour partie en charge les frais des femmes se rendant, pour une PMA, à l’étranger, on ajoutera que le temps semble aussi venu de préciser, au plus vite, ce qu’il en est des conséquences économiques des différences de législations bioéthiques dans l’Union européenne.